LE TEMPS QU’IL FAIT LE 6 MARS 2015 – (retranscription)

Retranscription de Le temps qu’il fait le 6 mars 2015. Merci à Olivier Brouwer !

Bonjour, nous sommes le vendredi 6 mars 2015. Et je voudrais vous parler de deux choses : la première, c’est la Grèce, et ensuite, un peu de l’influence ou non du blog.

A propos de la Grèce, vous vous souvenez, il y a eu des élections législatives, c’était le 25 janvier de cette année, en Grèce, et qui ont amené au pouvoir le parti Syriza qui a fait une alliance à ce moment-là avec un petit parti des Grecs indépendants pour constituer un gouvernement. Je ne sais pas si vous vous souvenez de cette époque lointaine, mais nous étions extrêmement appréhensifs, nous ne savions pas combien de temps allait durer ce gouvernement, nous ne savions pas comment l’opinion publique internationale allait recevoir ce gouvernement. Dans les premiers jours, il y a eu pas mal de commotion (vous vous souvenez ?) liée au fait que Monsieur Tsipras, à la tête du gouvernement, et Monsieur Varoufakis, à la tête de son ministère des Finances, faisaient des propositions qui paraissaient vraiment irrecevables par le reste de la zone euro.

Si vous vous souvenez aussi de ce que moi j’ai dit à l’époque, j’avais dit la chose suivante : avant les élections et au moment où on a connu les résultats, j’ai dit : « Eh bien, ils n’ont pas beaucoup le choix ! » Ils n’ont pas beaucoup de choix. De toute manière, des deux côtés, il faut que ça marche. Il faut que ça marche, pourquoi ? Parce que, eh bien, au niveau européen et au niveau grec il n’y avait aucune volonté d’arrêter la partie, de faire que cette zone euro s’effondre. Pourquoi ? Parce que ça coûterait beaucoup trop cher à tout le monde dans la situation dans laquelle nous sommes. Et donc, ça devait marcher. Mais on savait aussi que les différentes parties campaient sur leurs positions, les Allemands et certains dirigeants de la zone euro en Europe, disant : « Eh bien, on va voir ce qu’on va voir, les engagements sont les engagements, les élections, même démocratiques, ça ne remet pas en question des traités ou des engagements sur le plan de la dette ! », et ainsi de suite, et, de l’autre côté, eh bien, il y avait le parti de Tsipras, Syriza, qui avait un programme, un programme extrêmement, je dirais, on a employé l’expression « radical », souvent, parce qu’on traduisait « radical » de l’anglais. Un programme, en tout cas, qui proposait autre chose que le TINA, que le « There Is No Alternative » dans la zone euro, [qui permettait] de dire : « Il y a moyen de faire autre chose que le détricotage de l’Etat-Providence, il y a moyen de faire autre chose que cet alignement des salaires sur ceux du Bangladesh qu’on appelle « la compétitivité », il y a moyen de faire autrement que ce programme économique qui nous est légué depuis l’école autrichienne, en passant par l’école de Chicago, c’est-à-dire, en fait, eh bien un grand programme de rétablissement d’une aristocratie, mais d’une aristocratie fondée sur l’argent. Voilà.

Alors, on se disait : « Eh bien, ça ne va pas marcher du tout ! » Et dans les premiers jours, effectivement, on nous a dit que ça ne marcherait pas.

Et puis, petit à petit, on a mis de l’eau dans son vin, mais pas tellement, comme on a essayé de nous le dire, du côté grec : c’est essentiellement du côté des Européens. Il y a eu un vote au parlement allemand, où il y a eu une quasi-unanimité à voter pour des mesures qui étaient nécessaires pour qu’on puisse soutenir la Grèce, et puis, ce monsieur Schäuble, qui avait vraiment fait des rodomontades avant les élections, qui avait – vous vous souvenez peut-être de cette conférence de presse où il battait froid à Monsieur Varoufakis, ils regardaient chacun dans une direction différente bien qu’ils étaient assis l’un à côté de l’autre – et puis Monsieur Schäuble a commencé à dire des choses relativement aimables, Monsieur Juncker, etc., aussi, euh, voilà. Et donc, ça, c’est une excellente chose.

Alors, si on s’attendait, si on s’attendait à ce que Monsieur Tsipras transforme l’eau en vin, si, pour reprendre un autre exemple de notre littérature, on s’attendait à ce que Monsieur Varoufakis transforme des citrouilles en carrosses, non, ça, ça n’aura pas lieu ! Il y a un certain nombre de contraintes qui sont liées, je dirais, à l’existence du monde physique, qui fait que tout n’est pas possible, mais quant aux exigences, et quant à la plate-forme d’un gouvernement avec le parti Syriza, eh bien, ils sont toujours sur les rails. Ils sont toujours sur les rails quoi qu’on dise, et bon, vous voyez bien sur le blog, nous ne faisons justement pas de défaitisme sur ce plan-là. On apprend ce matin qu’un certain nombre de mesures qui avaient été proposées sur la plate-forme, justement, de Syriza, vont être probablement votées au parlement grec, et donc ça a l’air de marcher.

Comme je disais, bon, il faut rester dans un cadre des choses qui sont possibles et pas impossibles. Mais jusqu’ici, jusqu’ici, eh bien, ce gouvernement grec a l’air de gagner, et en tout cas, une chose qu’il a pu imposer, c’est qu’il y a une alternative au TINA. On voit qu’il y a la possibilité de faire les choses autrement, alors que depuis des années – ça a commencé à la fin des années 70, on nous racontait (et dans beaucoup de pays, on continue de nous le raconter d’ailleurs) qu’il n’y a qu’une manière de faire les choses, qui est cette manière néolibérale, ultra-libérale, que moi j’appelle souvent un fascisme en col blanc, parce que c’est ça, un peu, qu’on nous impose, c’est effectivement la reconstitution d’une aristocratie fondée sur l’argent.

Alors, eh bien, jusqu’ici, je dirais qu’on peut être contents ! On aurait pu imaginer, on aurait pu imaginer dans les jours qui ont suivi le 25 janvier, que, eh bien que tout ça ne durerait pas très très longtemps, que les choses rentreraient dans l’ordre, dans l’ordre du TINA, justement, rapidement, eh bien, ce n’est pas le cas. Ce n’est pas le cas ! Les Grecs poursuivent leur petit bonhomme de chemin, et ça a l’air de marcher dans cette direction. Alors, comme je disais, il ne faut pas cracher dans la soupe en disant : « Ils ont déjà tout perdu, ils ont fait des compromis sur à peu près tout ! » Non, ce n’est pas vrai. Ce n’est pas vrai : on continue dans la bonne direction.

Alors, autre chose, sur laquelle je voudrais terminer, c’est qu’on découvre, on découvre ces jours-ci – vous voyez ça à la une des journaux – on découvre qu’il y a beaucoup de gens qui trichent sur leurs impôts, qu’il y a de l’évasion fiscale, qu’il y a des havres fiscaux, qu’on appelle aussi « paradis fiscaux ». On découvre que l’argent qui, de 2010 à 2012 a été donné à la Grèce, en réalité a été donné aux banques françaises et allemandes, et tout ça, ce sont des grands scoops, et les gens font des « Oh ! » et des « Ah ! », et comme vous le savez, bon, si vous avez lu le blog à cette époque-là, eh bien tout ça, on vous le raconte déjà au fil des années, la fraude fiscale… On vous a expliqué à l’époque que l’argent qu’on prétendait donner à la Grèce, en fait on le donnait pour sauver les banques françaises et les banques allemandes, tout ça, pour nous, ce n’est pas une découverte, ce n’est pas du neuf, vous avez pu le lire ici.

Alors, la question qui se pose, c’est : pourquoi le fait que nous le disions ici, on n’est pas dans l’opinion publique, puisque le fait qu’on fait des « Oh ! » et des « Ah ! » [maintenant] ça veut dire qu’on ne le savait pas. Je dirais, la grande majorité des gens ne le savait pas. Et ça met en perspective le fait qu’on a beau raconter ça, ici et peut-être à quelques autres endroits, ça ne percole pas, ça ne se diffuse pas à l’intérieur de la société. C’est comme si ça n’avait pas eu lieu.

Moi, ça me rappelle un petit peu aussi, je dirais, la sortie de mon bouquin où j’annonçais la crise des subprimes. D’abord, j’ai eu beaucoup de mal à le faire publier, et ensuite, quand il est sorti, ça n’a pas attiré l’attention. Ce livre a [été] vendu, je crois, à mille exemplaires, l’éditeur lui-même n’a pas voulu faire un [retirage] – finalement, il y a eu une réédition mais c’est un autre éditeur qui a accepté de le faire – tout ça, le fait qu’on explique, je dirais, avec une grande antériorité, un certain nombre de choses qui feront scandale par la suite, c’est un problème. C’est le fait que, malgré que vous soyez nombreux – c’est pas mal, pour un blog, d’avoir 100 000 lecteurs mensuels – eh bien, ça ne diffuse pas dans la société. C’est-à-dire, c’est vous, les 100 000, vous représentez une partie de l’opinion publique qui n’est pas négligeable, mais ça ne communique pas, ça n’arrive pas au niveau des – et je dirais à la limite, même quand j’en parle, moi, dans mes chroniques dans Le Monde, parce que, toutes ces choses, j’en parle dans les journaux quand j’ai l’occasion de le faire – eh bien, même là, ça tombe dans une indifférence générale, et il faut ensuite qu’il y ait une grande campagne de presse pour nous dire : « Ah ! Les gens trichent sur les impôts ! », ou : « Ah ! L’argent qui a été donné prétendument à la Grèce, en fait, ça allait aux banques françaises et aux banques allemandes ! » Il y a un problème de, comment dire ? Il y a deux types de populations. Il y a ceux où ce type d’information circule, et puis ça ne se diffuse pas à l’intérieur du reste du système. Ça, c’est évidemment un problème. Il faut qu’on réfléchisse à ça, et voir comment on peut dépasser, je dirais, ce petit cercle de gens qui savent toutes ces choses depuis pas mal d’années, et puis l’opinion publique qui, elle, découvre tout ça. Il n’y a pas de communication, je dirais, entre le blog de Paul Jorion et TF1.

Voilà. C’était la réflexion que je voulais faire pour cette semaine. À la semaine prochaine !

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