Billet invité.
L’euro devient politique
L’actuelle confrontation de la Grèce à ses créanciers étatiques de la zone euro est capitale pour la Grèce, pour l’euro, pour l’Union Européenne contre le système monétaire libéral fondé sur la libre circulation du capital en monnaie bancaire irréelle. « Capitale » au sens où il faut décider qui est propriétaire du capital sur quoi doit s’imputer la fraction non remboursable de la dette publique grecque qui est actuellement une dette publique des États solidaires de la Grèce par l’euro.
Formellement et officiellement, les banques ont déjà renoncé au remboursement de leur créance en « revendant » leurs titres à prix cassé à la BCE et aux fonds de soutien mis en œuvre par le capital public de l’Eurogroupe (États de l’Union participant à l’euro). La dette publique grecque est donc adossée à du capital public en euro détenu par les États membre de l’euro. La détention européenne publique exclusive de la dette de l’État grec permet à l’Eurogroupe de négocier les paiements d’intérêt de la Grèce en dessous du prix de marché des investisseurs et prêteurs privés.
Contre une réduction de ses intérêts sur la dette en euro, l’Eurogroupe impose à la Grèce par l’intermédiaire des « experts » de la Troïka des réformes de structure : suppression de services publics, diminution des prestations sociales et vente d’actifs grecs à des non-résidents. La « Troïka » est un procédé d’habillage de la politique européenne d’effacement de la responsabilité politique au profit de la technocratie financière libérale. La politique est dictée à la Grèce par la comptabilité d’une pseudo-communauté des gouvernements nationaux de l’euro. Les gouvernements nationaux agissent comme des actionnaires des institutions financières de l’euro. La rentabilité budgétaire et comptable de l’euro est inconvertible en responsabilité légale et politique.
La situation que le gouvernement Syriza conteste est la subordination de la souveraineté grecque à la technologie financière, bancaire et monétaire de l’euro. Cette subordination revient à déterminer la politique du gouvernement grec par une mécanique financière que ni les citoyens grecs, ni les citoyens européens ne maîtrisent ni ne contrôlent en aucune façon. Le nouveau gouvernement grec a été explicitement mandaté par les électeurs grecs pour récuser le pouvoir technocratique des créanciers en euro sur l’économie des gens grecques et européennes. Alexis Tsipras et Yanis Varoufakis prennent soin d’interpeller directement les gouvernements de l’Eurogroupe comme si les techniciens de la Troïka mandatés par la Commission Européenne, la BCE et le FMI, n’existaient plus.
La machine infernale désamorcée par les démineurs grecs
L’enjeu de la négociation politique actuelle est devenu constitutionnel. La zone euro est-elle un empire monétaire appliquant une mécanique financière ou est-elle une communauté politique multinationale d’intérêts généraux européens ? Le gouvernement grec a remporté un premier succès en obligeant Allemands et Français à débattre de la question qu’ils ont éludée depuis l’origine de l’euro. Le désaccord sur la nature de la monnaie unique se révèle dans toute sa profondeur culturelle entre le nord et le sud de l’Europe. Comme l’a révélé Wolfgang Schaüble, le désaccord est tel que les termes de formulation du désaccord ne sont pas négociables.
Le gouvernement grec a remporté un second succès en orientant la discussion de l’Eurogroupe sur l’acceptabilité politique de tout accord technique que la souveraineté grecque s’imposerait en contrepartie des avances de liquidité de la BCE. Une fiction implicite au traité de l’euro s’effondre : le gouvernement grec pas plus qu’un autre, ne peut être réduit à une agence administrative d’application des mesures dictées par des créanciers politiquement inconscients.
En apparence, les Grecs ont mis en défaut l’austérité allemande. En réalité, le défaut est avéré depuis la faillite de 2010. Et l’austérité attribuée aux Allemands est le déni de réalité des gouvernements de l’euro engagés dans une monnaie commune sans gouvernement fédéral pour décider et mettre en œuvre la fiscalité commune. Fiscalité européenne multinationale sans quoi la stabilité monétaire n’est pas assurée ; sans quoi les dettes non remboursables ne sont pas prise en charge par une solidarité politique réelle mesurable en monnaie par des citoyens responsables de leurs biens communs.
Les Grecs n’ayant absolument plus rien à perdre dans une mécanique financière qui rend leur solvabilité définitivement impossible, sont en position de neutralité face à la dispersion politique des intérêts de leurs créanciers. Les gouvernements de l’euro n’ayant jamais discuté des lois et des droits qui fondent la comptabilité des dettes gageant la monnaie commune ne peuvent qu’afficher leur débandade au moment de partager les pertes accumulées dans la réalité économique tangible.
Adosser les dettes en euro à une assurance politique confédérale
Dans la discussion constitutionnelle que les Grecs sont parvenus à provoquer, chaque gouvernement national de l’euro est écartelé entre sa position de légitimité nationaliste et son engagement dans la fiction comptable d’une union sans réalité politique économiquement efficiente. De ce dilemme, il n’y a de sortie que par le bas en prononçant la liquidation du capital du Système Européen des Banques Centrales ; ou par le haut en adossant une dette publique fédérale à un gouvernement monétaire fédératif de la zone euro.
La résolution du défaut grec par le haut est comptablement l’option la plus simple. Mais elle exige le plus gros travail politique. Pour éviter de comptabiliser 200 milliards de pertes grecques dans le système bancaire en euro, il faut en effet capitaliser ce prix dans un budget fédéral pluri-annuel de consolidation de l’euro. La contrepartie comptable de ce capital public européen ne peut être qu’une collecte confédérale à venir d’impôts prélevés :
- sur les banques au titre de la garantie des dépôts en euro par quoi elles financent leurs crédits et leurs investissements financiers ;
- sur les entreprises au titre de la garantie confédérale des investissements et dépenses publics des États et collectivités locales nécessaires à l’infrastructure économique collective ;
- sur les citoyens au titre de la garantie comptable de tous les comptes en euro des transactions économiques conformes aux droits humains des Européens ;
- sur les consommateurs au titre de la vérification opérée par la Commission Européenne de la conformité aux normes communes de tous les produits vendus aux personnes physiques et aux personnes morales.
Les pertes accumulées en euro dans l’économie des pays membres de la monnaie unique sont du capital à la condition qu’une gouvernance financière fédérative y investisse la possibilité de biens nouveaux d’une démocratie commune. La définition des besoins du consommateur concrètement élargie à des exigences d’éducation, d’environnement et de justice propre à tous les citoyens hors de leurs propriétés privées et de leurs propriétés nationales, est la seule possibilité de relance de la croissance économique dans toute la zone euro.
Le problème posé par les électeurs grecs à l’économie libérale de la zone euro est dans la définition d’une créance perdue par l’impossibilité faite à toute personne privée d’en revendiquer la contrepartie réelle. La demande de la Grèce de transformer la zone euro en démocratie oblige les citoyens d’Europe, leurs gouvernements et leurs entreprises à transformer des pertes actuelles en bénéfices futurs communs réels. Pour investir dans une propriété publique européenne des biens communs de l’euro, il faut nécessairement un État confédéral pour gérer le capital du système monétaire collectif.
Défaut systémique d’un euro dissocié des droits du travail
Si la rémunération de tout travail utile au bien-être de tous les citoyens européens remplace l’objectif libéral de rentabilité du capital des seuls épargnants et actionnaires, une nouvelle demande peut être comptabilisée en euro qui vient accroître la rentabilité du capital actuel. Si la constitution de l’euro adosse le capital monétisable aux droits sociaux de tous les citoyens éduqués à travailler au prix de leur demande légitime, la transformation du capital par le travail s’accroît de tous les besoins humains actuellement non couverts.
L’insuffisance de la demande en euro vient d’une allocation exclusive des crédits bancaires en euro à du capital privé. Ce capital considère le travail des citoyens comme un coût improductif du fait que la production de bien-être collectif n’entre pas dans le calcul privé de la rentabilité du capital. Si une confédération de l’euro vient assurer les dépenses publiques de production collective du capital publicnécessaire à l’existence du capital privé, alors le plein emploi du travail de tous les citoyens devient moteur nécessaire de la rentabilité du capital privé par le capital public.
Le capital public est constitué par la fiscalité investie dans le bien commun par les budgets publics contrôlés par les démocraties locales, nationales et possiblement confédérale européenne. La capitalisation publique de l’économie démocratique consiste à rendre tout citoyen capable de travailler à son bien être par la monétisation dans des transactions libres de sa capacité à produire une réponse économique à toute demande. La mutualisation des dettes publiques non remboursables dans la confédération de l’euro équivaut à créer un marché du travail en euro qui soit en même temps un marché de l’assurance universelle de la bonne vie des citoyens européens.
Pour que la solvabilité de tout emprunteur public ou privé soit effectivement garantie par le plein emploi des facultés de travail, il faut que la circulation du capital contienne l’assurance de tous les biens de la démocratie. Le capital doit être publiquement adossé à la Loi et au calcul de la quote-part publique de la production de tout bien. Le capital privé doit être systématiquement déposé et fiscalisé par un crédit bancaire intégralement assuré en liquidité du capital public de la souveraineté monétaire commune.
Bénéfices de la démocratie contre enfer de la religion féroce
Pour que l’euro subsiste, il n’est absolument pas nécessaire de procéder au moindre abandon de dette ni d’empêcher le gouvernement grec d’appliquer son programme politique. Par contre l’euro est clairement incompatible avec la circulation défiscalisée du capital dans les banques refinancées par la BCE. Et l’assurance des dettes en euro est rationnellement incompatible avec la parité fixe de l’euro entre des espaces juridiques différents. La Grèce remboursera toutes ses dettes si et seulement si :
- l’euro est dévalué en Grèce par une prime fiscale sur tout paiement d’un résident grec à un non-résident ;
- le capital en euro est systématiquement déposé et fiscalisé dans un État confédéral démocratique gestionnaire du capital public commun d’assurance des crédits étatiques et bancaires en euro.
La fonction de la fiscalité financière capitalisée dans la Confédération de l’euro est d’assurer par un budget commun tous les droits sociaux du travail dans tous les espaces juridiques distincts du marché unique en euro. La contribution fiscale des transactions dans chaque espace juridique national au budget confédéral est inversement proportionnelle à l’appréciation que les citoyens de l’euro ont de la qualité de vie réelle dans chaque espace juridique.
En pratique, l’appréciation de la crédibilité économique des gouvernements en euro consiste à rendre publiquement négociable à tout citoyen européen la prime de crédit des États, banques et collectivités publiques, actuellement négociée sur des marchés interbancaires privés. Pour interdire la spéculation sur la convertibilité en droit réel du crédit en euro, il suffit de surtaxer toute titrisation du capital dont le propriétaire n’est pas déclaré. La surtaxe provisionne la responsabilité du capital anonyme sur la conformité au bien commun des transactions qu’il effectue.
Le blocage apparent de la négociation entre les gouvernements de l’Eurogroupe est juste la manifestation de la faillite de l’euro libéral dont aucun gouvernement d’aucune sorte n’a réellement la responsabilité. Si aucun État confédéral n’est créé pour assurer et réguler le crédit en euro par une fiscalité financière commune, les États nationaux privés de ressources fiscales ne pourront pas éviter de fermer leurs frontières pour taxer leurs importations et leurs échanges de capitaux intérieurs et extérieurs.
Liquidité de la démocratie en euro
Si au contraire les États membres de l’euro se constituent en société européenne de démocraties nationales, non seulement ils pourront mutualiser des investissements communs qui sont aujourd’hui impossibles mais ils pourront remettre tous les Européens au travail là où ils habitent pour rembourser toutes leurs dettes en solidarité avec les compatriotes dont ils connaissent, comprennent et mesurent le crédit.
« En période de récession économique ou de crise politique, l’extrême gauche devient souvent l’extrême droite…! » Il faut changer de lunettes…