SYRIZA : LE PREMIER DÉFI, par Cédric Mas

Billet invité.

Dans la séquence qui a suivi son accession au pouvoir en Grèce, SYRIZA a montré une grande habileté tactique, qui lui a permis de prendre le contre-pied de ce qui était attendu, et surtout d’accumuler un nombre intéressant de succès tactiques, qu’il s’agisse de l’alliance habile avec AN.EL. (si décriée ici-même il y a quelques jours), de la proposition d’un plan, du placement au centre du « Grand jeu » actuel Russie/USA/Europe, mais aussi de la déclinaison rapide (et symbolique) du programme électoral (remise en cause de la Troïka et suspension des mesures en cours du Mémorandum).

La meilleure description de cette séquence a été faite hier avec Zébu, mais j’avais déjà signalé dans un commentaire il y a deux jours à quel point ces succès tactiques étaient de petite envergure et que le plus dur était devant.

Or, la journée d’hier a été cruciale à deux niveaux :

  • SYRIZA n’a pas été en mesure d’obtenir un soutien ferme de la France, qui par l’intermédiaire de son Président est resté clairement de « l’autre côté » : on accepte le vote du peuple grec, on le comprend, mais le respect des engagements (antérieurs) doit primer (message identique sur le fond à celui de Juncker « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens« ).
  • Malgré une réunion avec le Ministre des finances du gouvernement grec, la BCE a décidé à 22h de cesser unilatéralement d’accepter en collatéral les « T-Bills » émis par le gouvernement grec pour son financement et achetés par les banques grecques.

Nous assistons là très clairement à la mise en place de la réaction ordo-libérale à l’offensive de charme lancée par SYRIZA.

Si la défaillance d’un soutien de François Hollande n’étonnera personne, tant l’aveuglement idéologique ordo-libéral et le manque de courage politique sont la marque de fabrique du pouvoir socialiste actuel, cette défaillance pose aussi la question de la stratégie adoptée par SYRIZA.

L’offensive de charme, basée sur un réalisme et un souhait de négociation, se révèle ainsi peut-être a posteriori une erreur : en renonçant trop vite aux mesures unilatérales, en offrant sans contreparties la négociation, SYRIZA a fait le choix de laisser l’initiative des mesures unilatérales aux Institutions européennes.

Y a-t-il une trop grande confiance dans le poids des opinions publiques (partant du postulat que les Institutions européennes n’oseraient affronter de face des opinions qu’il conviendrait donc de séduire en amont) ?

Le gouvernement grec s’est-il auto-convaincu que l’impuissance et l’incompétence des Institutions européennes les mettraient à l’abri d’un rapport de force trop brutal et leur laisserait du temps ?

Le fait est qu’il est important de rappeler que dans un ordo-libéralisme bien en place, le courage ne manque pas contre les faibles, mais seulement contre les forts, les puissants.

Relevons ainsi qu’au moment où la BCE coupe une partie de l’aide aux banques grecques, faisant brutalement monter la pression sur le gouvernement nouvellement élu, la Commission elle a validé, malgré ses réticences, les chiffres de croissance avancés par le gouvernement français.

La coïncidence des dates montre bien qu’il ne faut surtout pas sous-estimer le camp ordo-libéral, dont la puissance de la propagande est déjà pleinement à l’œuvre depuis deux semaines (SYRIZA est passé ainsi en quelques jours de « pas sérieux » à « allié objectif des Nazis » à « allié de Poutine »….).

Il est donc impératif que SYRIZA réponde à ce premier vrai défi :

Soit elle poursuit sa stratégie d’ouverture afin de se donner le beau rôle à l’égard des opinions. Est-ce un bon calcul face à sa position (c’est elle qui veut remettre en cause la situation actuelle, ce que ne manquent pas de rappeler tous les éditorialistes européistes), et à la puissance médiatico-financière des ordo-libéraux ?

Soit elle répond en changeant de pied : par exemple par une déclaration officielle sur le refus ferme et définitif de la Troïka; et surtout en se préparant à une sortie de l’euro. Comment se préparer à un Grexit ? Le plus simple serait l’adoption de mesures internes (confidentielles mais qui vont nécessairement fuiter) sur la mise en place d’un contrôle des changes à très brefs délais (recrutement de douaniers, circulaire sur les instructions au cas où, etc…).

Il convient de noter que les deux choix ne sont pas exclusifs l’un de l’autre.

En revanche, en continuant à adopter une posture « angélique », alors que l’objectif est quand même de tout remettre en cause, SYRIZA s’expose, et expose son pays, à de sérieuses déconvenues. Dans le rapport de forces actuel, il est indispensable de ne pas sous-estimer le camp d’en face, surtout en ce qui concerne son aveuglement et son obstination suicidaire, dont il a déjà montré de nombreuses manifestations dans le passé.

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