Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Le virevoltant ‘cavalier’ Varoufakis qui a entamé une longue semaine de contacts avec différents ‘partenaires’ a réussi à prendre des positions sur le jeu qui s’entame entre la Grèce et l’Union Européenne d’un côté, les Etats-Unis et la Russie de l’autre.
Il a ainsi neutralisé le FMI, une des instances composant la Troïka, en intégrant dès le départ que sur le dossier ukrainien la Grèce dispose d’un droit de veto quant à d’éventuelles sanctions supplémentaires à l’encontre de la Russie, forçant ainsi les USA qui souhaitent stopper l’avance des pions russes en Ukraine à prendre position ouvertement par le biais de son Président Barack Obama, pour un appel à une solution viable pour la Grèce comme pour l’UE sur la question de la dette publique. Les Etats-Unis étant l’acteur majeur au FMI, force est de constater que l’institution se tient coite depuis l’élection d’Alexis Tsipras en Grèce, laissant aux acteurs européens le soin de répondre au jeu en cours développé par le ministre des Finances grec.
La nomination du ministre des Affaires Etrangères grec M. Kotzias dont les relations avec la Russie sont patentes, la réaction officielle de la Grèce quant au rappel de la nécessité de tenir compte de l’avis du pays pour une éventuelle position unanime quant à des sanctions supplémentaires envers la Russie et la nomination de M. Kammenos en tant que ministre de la Défense, lui aussi en ‘contact privilégié’ avec la Russie, ont constitué un point d’appui pour l’ouverture du jeu du Premier ministre grec, lequel jeu s’est déroulé dès la nomination, le surlendemain de l’élection, du gouvernement grec.
Mais M. Varoufakis a aussi neutralisé les marchés et la City, lors de son déplacement à Londres, en soulignant que les (rares, ou très minoritaires) créanciers privés n’auraient pas à subir quoi que ce soit du jeu en cours, ce qui a permis de stabiliser d’éventuels mouvements spéculatifs de la part des marchés financiers. Il a aussi neutralisé dès le départ la Commission européenne, en décrétant ne pas avoir besoin du dernier versement de 7 milliards de la Troïka, ‘institution’ qu’il déclara comme définitivement morte, rappelant ainsi au Président de la Commission M. Juncker ses propres prises de positions sur le sujet. Pour compléter ce dispositif, M. Varoufakis s’est déplacé, avant que M. Tsipras ne le fasse par la suite, à Paris et à Rome, afin de s’assurer de la bienveillante ‘neutralité’ de la France et de l’Italie dans les positions développées.
Enfin, aujourd’hui, le ministre des Finances grec doit entrer en contact avec la position majeure de la ‘défense adverse’ européenne (symbolisée par la déjà défunte Troïka), celle de la BCE, qui détient les clefs financières du jeu grec en Europe. Voilà pourquoi il a réitéré son offre d’indexer la dette grecque sur la croissance, tout en dévoilant son ‘joker’ avec son offre de dette perpétuelle. Ces propositions interviennent d’ailleurs dans le contexte d’un QE lancé par Mario Draghi, contre l’avis de la Bundesbank et la position allemande.
Et quand toutes ces positions auront été validées au plus haut niveau, lors des rencontres entre M. Tsipras et MM. Juncker, Hollande et Renzi, M. Varoufakis s’en ira rencontrer M. Schäuble, ministre des Finances allemand demain, pour lui proposer un deal clef en main, à valider très rapidement, juste avant le Conseil européen de la semaine prochaine, ne laissant ainsi quasiment aucun délai à l’Allemagne pour développer une stratégie de contre-attaque.
En quelque sorte, une déclaration d’échec à Mme Merkel.
Et quand le ‘cavalier’ Varoufakis aura fini de tenir en échec la ‘ligne de défense’ européenne pendant que les ‘fous’ Kotzias et Kammenos sont positionnés extérieur (Russie-Ukraine) / intérieur (armée grecque), on verra alors ce que fera le ‘roi’ Tsipras : ira-t-il jusqu’à faire un roque, à savoir changer ses alliances en direction de la Russie sur un jeu plus large, ou aura-t-il la latitude de mener son propre jeu sur l’échiquier européen ?
À cette question, ce sont bien M. Draghi et Mme Merkel qui seront en charge de répondre dans un jeu qui leur est imposé pour la première fois, notamment en ayant intégré une dimension extra-européenne qui s’impose elle-même au jeu intra-européen : déjà, les Etats-Unis envoient un émissaire en Grèce, s’imposant dans le jeu face à celui que mènent les Russes actuellement en Ukraine, réduisant encore la marge de manœuvre des décisionnaires européens sur ce dossier …
Les pro-Russes (et les Russes) en Ukraine ont ainsi profité du fait que des élections cruciales se passeraient en Grèce le 25 janvier 2015, pour lancer leurs offensives en Ukraine et ce dès le 23 janvier 2015. Les Russes auraient ainsi simplement ‘anticipé’ les résultats en Grèce, sachant que les Européens auraient les yeux braqués ailleurs, pour pousser leurs avantages en Ukraine et ensuite participer au jeu européen qui allait ainsi immanquablement devoir se dérouler, proposant ‘amicalement’ leur soutien à la Grèce…
Poutine anticipa donc les ‘mouvements’ possibles géopolitiquement, tout comme Tsipras anticipa ceux de l’Europe : chacun sa partie, chacun chez soi, mais avec l’intérêt commun de mettre en échec le jeu européen dans leur propre partie.
En un peu plus d’une semaine, les choses auront ainsi été rondement menées, ce qui en dit long sur l’état de préparation du jeu par l’équipe de M. Tsipras et qui en dit long sur l’état d’impréparation de ‘ceux d’en face’.
Car l’Europe n’anticipe rien parce qu’elle n’a aucune stratégie ni aucun but dans et pour l’Europe, sauf à perpétuer un ordre d’orthodoxie néo-libérale qui semble d’ores et déjà aussi dépassé que la Troïka et une position illisible sur l’Ukraine, et plus largement, sur l’extension territoriale sans fin de l’Union européenne comme mode compensatoire imposé pour faire face à son état critique interne.
On peut d’ailleurs revenir aux théories de Tainter sur l’effondrement pour ce qui est en train de se passer en Europe : quand les acteurs périphériques commencent à dérouler, mieux encore, à imposer leurs mouvements, leurs buts propres au ‘centre’, quand l’expansion (économique, territoriale, politique) est stoppée et même le reflux constaté pour un système complexe, on ne peut que constater le processus d’effondrement en cours.
On peut dès lors voir l’intervention de Barack Obama comme une tentative d’enrayer ce processus, en forçant les Européens à reprendre à leur compte les buts et les risques ‘périphériques’ (aujourd’hui la Grèce, demain l’Espagne, ensuite l’Irlande, …) pour mieux les contrôler et stopper le recul de l’Europe en Ukraine en parallèle.
Mme Merkel et M. Draghi vont porter des responsabilités historiques pour l’Europe.
Une réponse nous sera très rapidement offerte sur l’avenir de l’Europe : consolidation, ou délitement accru.
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