Dimanche dernier dans la soirée, j’ai envoyé à l’éditeur le manuscrit de mon livre « Rebâtir, à partir de Keynes (titre provisoire) ». Vous savez en gros ce qu’il y aura dedans : vous m’avez vu l’écrire ici à partir d’août 2013. Maintenant je vais me mettre au livre qui commençait à s’écrire dans ma tête pendant ce temps-là. Pour celui-là aussi vous savez déjà plus ou moins de quoi il s’agit : il sera question de robots, d’emplois qui disparaissent, du pouvoir que nous avons sur les choses et que les choses ont sur nous, de la machine que nous sommes et du rapport en général qu’ont les machines entre elles : celles en chair et en sang et celles en métal et en plastique.
Le message essentiel sera que la seule chose pour laquelle nous sommes véritablement équipés, c’est faire des bébés (pour de vrai ou pour du beurre), et respecter les conditions minimales pour que ce soit possible (boire, manger, ne pas mourir de froid…). Faire des bébés nous fait dérailler en permanence et nous passons une bonne partie de notre temps à essayer de remonter sur les rails. Comme en plus nous pouvons parler, nous passons le reste de notre temps à nous raconter à nous-même et aux autres que nous avons, en réalité et contre toute évidence, des intentions et que nous avons une volonté et que cette volonté nous permet de réaliser nos intentions. Les autres savent très bien que ce n’est pas comme ça que ça se passe mais ils ont la politesse de nous écouter parce qu’ils voudraient bien qu’un jour ou l’autre ce soit nous qui les écoutions déverser eux aussi leur boniment. Pourquoi nous racontons-nous de telles salades si nous ne sommes même pas prêts à les acheter ? Parce que ça calme un peu le tumulte intérieur, pendant qu’on continue de ramer.
Si pour une raison ou une autre je n’écris pas ce livre, ne vous inquiétez pas, il y a un film qui raconte la même chose et que vous pouvez tout aussi bien regarder. C’est l’histoire d’un type qui un jour où il avait trop bu n’a pas pu résister à l’envie de, sauf vot’ respect, vider ses c… avec une femme qui serait morte de solitude autrement et depuis il paie pour le fait que nous soyons comme ça, et il rame… et il rame… et il rame… et il rame…
On ne voit pas que ça dans le film : on voit aussi à l’œuvre notre héroïsme de créatures pas outillées du tout pour gérer en manuel un tel souk. L’héroïsme, c’est finalement la chose la plus répandue : on fait rarement autre chose. Encore heureux qu’il y ait le pilote automatique de l’ivresse pour qu’on ne soit pas obligé d’être héroïque en permanence ! Evidemment quand on se réveille après et qu’il faut gérer en manuel le merdier dans lequel on se constate, on dit comme le héros : « Je me suis conduit d’une manière qui n’était pas moi… mais maintenant je vais faire ce qu’il y a à faire… » (1m22s dans la vidéo ci-dessous).
Le film s’appelle Locke qui est le nom du type qu’on voit répondre au téléphone au volant de sa bagnole pendant 85 minutes : Ivan Locke. C’est un film de Steven Knight. C’est un chef-d’œuvre, et un des meilleurs chefs-d’œuvre que je connaisse, et ce le serait même si ça n’avait rien à voir avec le prochain bouquin que j’ai envie d’écrire.
P.S. De Locke émerge aussi une image splendide des travailleurs, immigrés et en général. Ça aussi, ça fait plaisir.
et Claude d’en rajouter : L’influence des « géniteurs » sur l’IA est limitée une fois que celle-ci atteint un certain niveau…