Ma chronique dans l’hebdomadaire Trends-Tendances, parue le 18 décembre 2014 et que j’ai apparemment oublié de mettre en ligne ici.
Au jeu d’échecs, le « pat » renvoie à une situation où l’un des joueurs ne peut plus déplacer son roi car tout mouvement dans une direction ou une autre signerait son arrêt de mort. Le roi du joueur en difficulté est condamné à l’immobilisme, mais l’adversaire ne peut plus rien non plus. La partie est alors annulée. Dans le monde réel, l’annulation n’existe malheureusement pas et, comme nul ne l’ignore, qui n’avance pas, recule.
Aux États-Unis, le président a perdu sa majorité parlementaire au Congrès. Il ne peut plus mettre en œuvre son programme que par décrets, mesures que la majorité républicaine rendra sans effet sur le terrain en les privant des moyens pratiques de leur mise en application. Pas d’élections législatives en 2015, la prochaine élection présidentielle aura lieu en 2016. En 2015, les Etats-Unis seront donc « pat ».
En zone euro, les positions de Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne et de Jens Weidmann, président de la Bundesbank, sont désormais inconciliables, chacun accusant même l’autre de sabotage. Lorsque des divergences étaient apparues entre Axel Weber, prédécesseur de Weidmann à la Bundesbank et Jean-Claude Trichet, alors président de la BCE, et ensuite entre Jürgen Stark, représentant allemand au directoire de la BCE et Trichet, c’est la démission de chacun d’eux qui avait mis fin à la crise, Angela Merkel prenant parti pour le président de la BCE. Aujourd’hui, Merkel apporte son plein soutien à Weidmann, contre Draghi, successeur de Trichet.
Le différend porte sur la politique néo-keynésienne de Draghi, à l’instar de ce qui se fait, non sans un certain succès d’ailleurs, aux États-Unis depuis 2009, et la position strictement néo-libérale de Weidmann. Le combat des chefs entre Keynes et Hayek est ressuscité aujourd’hui au niveau de la direction financière de la zone euro.
Quels sont les arguments de part et d’autre ? L’Allemagne voit dans l’assouplissement quantitatif (la « planche à billets ») auquel Draghi veut s’adonner en grand, et plus particulièrement l’achat de dette souveraine des pays de la zone euro, un encouragement à l’irresponsabilité budgétaire, et une menace d’hyperinflation – dont l’Allemagne conserve un souvenir cuisant depuis 1923.
Draghi voit dans l’achat par la BCE d’instruments de dette publics, mais aussi privés, un moyen de conjurer dans l’immédiat la déflation qui menace la zone euro (0,3% d’inflation aujourd’hui, alors que l’objectif est de 2%). Le but est de voir réapparaître dans l’économie réelle les sommes injectées mais comme rares sont les emprunteurs capables de faire fructifier les sommes prêtées, et les rembourser ensuite, ces fonds ont pour seul débouché d’aller gonfler la bulle boursière.
Ni Draghi, ni Weidmann ne jettera l’éponge. Draghi feint de considérer l’avis de Weidmann comme quantité négligeable en soulignant que les décisions de la BCE ne requièrent pas l’unanimité de son directoire. Mais combien de temps pourra-t-il poursuivre sa politique contre la volonté de la banque centrale de la première puissance économique européenne ? Weidmann lui n’est pas près de pardonner à Draghi de s’être improvisé « président européen » de facto au plus chaud de la crise de l’euro.
Le « pat » de la zone euro en 2015 est déjà fermement établi. Le coût en sera incalculable.
Il existe bien un autre moyen de conjurer la déflation : augmenter les salaires. Mais cela, ni Weidmann, ni Draghi ne l’ont suggéré, victimes tous deux du préjugé comptable qui voit dans les avances faites en travail, des coûts – à réduire autant que faire se peut, et dans les avances faites en capital et dans la direction des entreprises – des parts de bénéfice, à faire grossir autant qu’il est possible. Tant que la zone euro, dont la part de commerce interne est de 44%, continuera à vouloir aligner ses salaires sur ceux du Bangladesh, le pouvoir d’achat de ses consommateurs continuera à baisser et sa situation économique de se détériorer.
C’est un missile balistique de portée intercontinentale, destinée uniquement à transporter des armes nucléaires. Qui n’a jamais été utilisée lors…