Billet invité.
CHANTS POUR LES PETITS
Paroles de Lucie Delarue-Mardrus
MON OMBRE
Mon ombre est un petit nègre,
Qui me suit toujours partout
En rampant comme un toutou
Un peu maigre.
Né là-bas au pays du rhum,
Dans la case de l’oncle Tom,
Me lécher les pieds, c’est son rôle.
Avoir un nègre Ah ! que c’est drôle !
Il y a nos Monstres mais il y a aussi nos Fantômes. Ces Fantômes sont ces images véhiculées dans notre enfance par la société, la culture familiale et le milieu social. Ils font partie de la construction de notre représentation du monde, c’est notre passé conscient ou inconscient. Certains de ces Fantômes pourront grandir jusqu’à faire partie de nos Monstres. Mais d’autres, resteront là, tapis dans l’ombre de notre mémoire. Ils participent des nombreux filtres qui modifient notre perception du monde. Dans notre mémoire, le passé n’est parfois pas si loin.
N’avez-vous pas trouvé charmante cette petite chansonnette ? Vous vous demandez peut-être d’où je la tiens. Je l’ai trouvée dans un recueil de chansons qu’un jour ma belle-mère m’a donné. Je venais de réussir mon concours d’entrée à l’IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres), ma belle-mère était enseignante elle aussi. Alors généreusement elle m’a transmis son livre de chant qu’on lui avait donné à l’Ecole Normale dans les années 50.
Oui, cette monstruosité ou plutôt ce Fantôme de chansonnette « pour les petits » est la « perle » que j’ai trouvée en feuilletant le livre de chant qu’on utilisait dans les années 50 pour former les enseignants du primaire de notre chère République. Si vous ne me croyez pas, voici les références exactes :
LIVRE à CHANTER
Pour la jeunesse
(solfège scolaire avec paroles)
Prix : 380 francs
(septembre 1958)
Edité chez Jean VILLATTE,
4, place de la Porte-de-Bagnolet
Paris (20ème)
Copyright 1958 by Jean Villatte
Made in France
Quand j’ai découvert ça dans les années 2000, j’ai réalisé combien ce passé colonial et raciste que je croyais antédiluvien, que je croyais loin de moi, faisait en fait partie de mes racines. Que je le veuille ou non, même que je sois outré, révulsé, cette monstruosité a fait partie de notre belle culture Républicaine.
Alors, quand j’entends dire aujourd’hui, après les derniers évènements : « Mais que fait l’école ? ». N’attendez jamais de l’école qu’elle représente l’avant-garde. Cette chère école pour laquelle je me bats chaque jour restera toujours une vieille dame un peu ringarde. L’école continuera de fabriquer de bons petits citoyens, tant qu’ils resteront sur les bancs de l’école. Mais n’attendez pas d’elle qu’elle change le monde.
Nous devons accepter de vivre avec nos Fantômes même si nous les désapprouvons, nous devons savoir d’où nous venons pour savoir qui nous sommes.
Aujourd’hui, quand je lis ces paroles, l’indignation qui monte en moi m’aide à comprendre le regard de l’autre, de mon voisin à la couleur de peau plus foncée que moi, de ceux qui ont vécu ou vivent encore au quotidien la discrimination, de tous ces jeunes Français a qui l’on demande régulièrement leurs papiers. A moi, ça ne m’est jamais arrivé, jamais personne ne m’a demandé mes papiers en dehors d’un contrôle routier.
Ils sont Français vous dis-je !
Oui, oui, mais pas comme nous, pas comme les autres et parfois même ce sont de « mauvais » Français. Enfin, on est déjà bien gentil de les accueillir…
C’est toujours la même chanson, la même chansonnette pour les petits.
Au départ, il faut remplir certaines conditions au sein d’une nation pour s’engager dans une guerre. Un consensus maximal. L’union…