La gueule de bois, par Zébu

Billet invité.

On savait bien, en fêtant le 1er de l’an, que l’année qui venait n’allait pas être de tout repos, qu’elle serait encore usée par cette ‘crise’ qui n’en finit pas de ne pas en être une, mais une année qui promettait néanmoins des possibles que l’on n’avait plus revus depuis plusieurs années, n’était-ce que par le fait que des élections législatives en Grèce rouvraient les champs de ces possibles.

Et puis le 07 janvier 2015, les assassins ont frappé.

Ce même jour, quelques heures plus tard, le Président de la République François Hollande faisait une déclaration solennelle à la télévision, où il disait notamment ceci :

Nous devons répondre à la hauteur du crime qui nous frappe, d’abord en recherchant les auteurs de cette infamie et faire en sorte qu’ils puissent être arrêtés, puis ensuite jugés et punis très sévèrement. Tout sera fait pour les appréhender. Aujourd’hui, l’enquête avance sous l’autorité de la justice.

Il est difficile d’être plus clair quant aux intentions immédiates des autorités publiques, la première d’entre elles en tête, d’appréhender (« Saisir au corps, arrêter en vertu d’un pouvoir attaché à la fonction. ») les assassins et de les juger. Morts, c’est évidemment plus compliqué de le faire…

On peut toujours faire des procès d’intention quant à la véracité de cette pétition de principe, effectuée le soir même du massacre : il ne manque jamais d’exemples où les pouvoirs publics ont eu, pour le moins, des attitudes troubles quant à leurs intentions. On peut toujours débattre comme le fait Cédric Mas des nécessités de se donner les moyens techniques et de formation des policiers ou des militaires chargés d’appréhender des tueurs, on peut toujours souligner l’évidence de la nécessité, comme le fit François Hollande, de se saisir des assassins vivants, afin qu’ils répondent de leurs crimes devant la justice, pour les familles, pour que les citoyens puissent s’instruire des tenants et aboutissants de ces meurtres, pour comprendre, pour essayer aussi d’identifier les réseaux qui auraient pu les soutenir, pour les démanteler, pour comprendre les modes opératoires, enfin, pour mieux protéger à l’avenir les populations et agir contre le fanatisme meurtrier.

Mais on peut difficilement écrire que sans doute la peine de mort a été rétablie en France pour des preneurs d’otages terroristes, sous peine de provoquer des confusions qui n’ont pas lieu d’être, sous peine de voir fleurir à nouveau les théories complotistes les plus délirantes, sous peine aussi de conforter ceux-là mêmes qui ont tué ou commandité les assassinats, ouvrant une autre faille parmi toutes celles qu’ils essayent d’élargir (et il y en a beaucoup) en nous en soulignant ainsi l’incohérence, le paradoxe, le ‘deux poids deux mesures’ de ‘l’occident’ : l’abrogation de la peine de mort pour les meurtriers, l’exécution ‘séance tenante’ pour les terroristes.

Nous sommes dans un État de droit. La justice a pu faire son travail. ‘Pire’ pour les tenants des procès d’intentions, et sans doute de manière volontaire, le tout sous l’œil des caméras de télévision, du moins pour ce qui en était de la prise d’otage Place de Vincennes, sans doute pour couper court aux thèses qui ont pu surgir après l’assaut donné face à Mohammed Merah, dont l’opacité fut propice à toutes les supputations. On a également rarement vu un procureur de la République intervenir quelques heures à peine à la télévision pour donner un compte-rendu si étoffé sur des actions si violentes.

Il est bien évident qu’on ne saura jamais ‘tout’, et jusque dans ses moindres détails. Mais il y a cependant un gouffre à ne pas franchir, surtout en ce moment, qui permettrait à tous les ennemis de la République et de la démocratie d’instiller le doute sur des institutions (exécutif, justice, police, armée, médias) qui sont par ailleurs déjà suffisamment ébranlées par une ‘crise’ qui se rappellera très bientôt à notre bon souvenir, pour que l’extrême droite puisse profiter de cet amalgame en réclamant la peine de mort (puisqu’elle serait, de facto, rétablie face aux terroristes) ou pour que Daech ou ses pareils ne profitent de toute cette confusion.

Ce n’est pas parce que nos élus sont parfois, souvent, pitoyables que nous devons participer à cet immense amalgame où l’on irait fourrer justice, police, armée, médias dans un immense sac poubelle, à jeter dans un improbable dépotoir où giraient nos propres valeurs et dont les vautours se repaissent.

On a mieux à faire, demain, tous.

Déjà, certains, y compris aux plus hautes fonctions de l’État comme le Premier ministre, ont osé déclarer que nous sommes en « guerre contre le terrorisme »[1], que la France a connu son « 11 septembre », et déjà certains réclament des lois d’exception…

À tous ceux là nous devrions répondre comme aurait pu le faire Charlie Hebdo : « La guerre contre Conneries-Land est déclarée ! ».

[1]   « La France n’est pas dans une logique de guerre, sinon c’est notre société qui se transforme. Il faut continuer à vivre en société », Gilles Kepel, RTL, 10/01/2015.

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