Billet invité.
Si Paul Jorion qualifie l’économie ultralibérale de « religion féroce », comment pourrions-nous définir son incarnation extrême, le « libertarianisme » ?
Dans sa bible satanique, Anton Szandor LaVey, libertarien objectiviste convaincu et surtout philosophe sataniste, modernise le mythe de Satan en lui donnant les attributs du parfait « homo oeconomicus » rationnel. Les neuf affirmations sataniques sont :
– Satan représente l’indulgence, plutôt que l’abstinence.
– Satan représente l’existence vitale, et non des promesses spirituelles irréalistes.
– Satan représente la sagesse immaculée, au lieu de l’hypocrisie dans laquelle se complaisent les hommes.
– Satan représente la bonté pour ceux qui la méritent, au lieu de la prodigalité gaspillée pour des ingrats.
– Satan représente la vengeance, plutôt que le pardon.
– Satan représente la responsabilité à ceux qui savent l’assumer, plutôt que de se soucier des vampires psychiques.
– Satan représente l’homme simplement comme un animal parmi tant d’autres, parfois mieux, souvent pire que ceux qui marchent à quatre pattes, qui, grâce à son prétendu « développement intellectuel et spirituel » est devenu le plus vicieux de tous les animaux.
– Satan représente les prétendus péchés, puisque ceux-ci mènent à la gratification physique, mentale, ou émotionnelle.
– Satan est le meilleur ami que les églises aient eu, puisqu’il les a maintenues en affaires depuis si longtemps.
Ces neuf affirmations impliquent une éthique de Satan, on trouve dans Wikipédia un résumé de la philosophie individualiste / sataniste de Lavey :
L’individualisme est au centre du satanisme, un individualisme éclairé où l’ego se réalise pleinement – « indulgence au lieu d’abstinence » disait A. S. LaVey, « mais pas compulsion », ajoutait-il. Le satanisme place l’humain comme la seule valeur supérieure, en cela il est un concept anti-théos, mais il se bat aussi contre le structuralisme conservateur de nos sociétés modernes qui étouffe l’essence de chaque homme. Le satanisme nie l’égalitarisme « démocratique », le qualifiant de mensonge pieux qui permet aux gouvernants de vendre de la liberté « formelle », posant comme acquis l’idée de tous les hommes égaux en valeur. L’égalité n’est pas une loi de la nature, ni en corps ni en esprit. Selon la doctrine sataniste, malgré son degré d’évolution, l’homme reste un animal, et de par ses instincts la loi de la jungle prévaut sur terre, malgré les bonnes manières « civilisées » de l’homo sapiens. La liberté est le bien le plus précieux pour un sataniste, c’est pourquoi « il est préférable d’être un maître en enfer, qu’un esclave au paradis ! »
Lavey déclarera que son satanisme « c’est juste la philosophie de Ayn Rand avec un habillage de rituels et de cérémonies ». Ayn Rand (1905 – 1982), la prophétesse de l’ultralibéralisme, dont Alan Greenspan, président de la Federal Reserve, la banque centrale américaine, de 1987 à 2006, fut à une époque l’un des proches et dont il demeurera un admirateur. Dans son autobiographie (The Age of Turbulence, 2007), Greenspan précise ses relations avec Ayn Rand :
Rand écrivit [son roman The Fountainhead] pour illustrer une philosophie à laquelle elle avait abouti, une philosophie qui mettait l’accent sur la raison, l’individualisme, et l’intérêt personnel bien compris. Elle l’appela ensuite objectivisme ; aujourd’hui nous l’appellerions libertarianisme (p. 40).
Ayn Rand devint une force stabilisatrice dans ma vie […] dans les années 50 et 60 je devins un habitué des réunions hebdomadaires dans son appartement (p. 51).
On ne manqua pas de noter qu’Ayn Rand était à mes côtés lorsque je prêtai serment [en tant que Président de la Federal Reserve] en présence du Président Ford dans l’Oval Office (p. 52).
Au moins Satan savait où était son intérêt bien compris. Si tous les libertariens ne sont certainement pas satanistes, l’un d’entre eux nous rappelle que la philosophie radicale de Ayn Rand peut personnifier le Diable en personne. Et si Dieu n’existe pas, le diable lui reste libéral : il vote libertarien !
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