ON N’EN A PAS FINI AVEC LES LUXLEAKS, par François Leclerc

Billet invité

Le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) cultive le sens de l’opportunité : l’équipe a choisi la veille de la prestation de serment de la Commission Juncker devant la Cour de justice européenne comme date pour la publication de ses nouvelles révélations dans une sélection de grands titres de la presse européenne !

Trente-cinq nouvelles entreprises figurent à ce palmarès d’un nouveau genre – parmi lesquelles Skype (Microsoft), Invista des frères Koch, Bombardier ou encore Walt Disney – pour avoir bénéficié d’une même complaisance fiscale de la part du Luxembourg, via le mécanisme du « tax ruling » (rescrit fiscal). Selon le quotidien belge Le Soir, on trouverait à la manœuvre le gratin des cabinets d’audit et de conseil : PricewaterhouseCoopers (PwC), KPMG, Deloitte et Ernst & Young. Leur rôle central serait enfin mis à jour. Au total, selon les précédentes révélations, quelques 340 transnationales auraient bénéficié de cette optimisation fiscale pratiquée à l’échelle industrielle, représentant des milliards d’euros de recettes fiscales évaporées en fumée.

Quatre enquêtes avaient été lancées par la Commission, en juin dernier, impliquant non seulement le Luxembourg, mais également l’Irlande et les Pays-Bas pour des pratiques similaires favorisant Apple, Starbucks, Fiat et Amazon. Sur la défensive, Jean-Claude Juncker fait valoir qu’il n’a « rien de plus à {se} reprocher que ce que d’autres auraient à se reprocher » et promet de ne pas interférer avec les enquêtes en cours, qui sont menées par Margrethe Vestager, la commissaire à la concurrence. « Je ne suis pas l’architecte du système (…) mais objectivement parlant je suis affaibli.», avait-il déjà reconnu, après avoir fait face à une motion de censure au Parlement européen, rejetée grâce au soutien réitéré manifesté par le groupe des socialistes et démocrates.

Pierre Moscovici, le commissaire aux affaires économiques et à la fiscalité, a réagi à une piqûre de rappel des ministres allemand, français et italien des finances demandant qu’une directive soit prête pour la fin de l’année. Pour n’annoncer que « dès 2015, une feuille de route », ne faisant pas preuve de la plus grande précipitation. Il serait question de promouvoir l’échange automatique des informations à propos des « tax rulings » accordés dans les pays de l’Union européenne.

C’est également à point nommé, mais sur un autre dossier, qu’une lettre d’une quarantaine de journalistes européens à Jean-Claude Juncker a été rendue publique. Elle concerne la directive anti-blanchiment qui a pour objet d’empêcher la circulation de l’argent sale au sein du système financier européen, notamment via les trusts, ces entités de droit britannique dont les ayants droit sont anonymes. Les signataires demandent que les informations sur les propriétaires effectifs de ces structures soient en accès public, afin de pouvoir exercer leur métier… Il ne faudrait pas que, selon une mauvaise habitude qui à tendance à s’instaurer, des restrictions d’accès soient également instituées à propos d’un futur échange d’informations concernant les « tax rulings » accordés…

On s’en doute, les enjeux sont d’importance et le jeu va être compliqué, car tout le monde s’en mêle ! Au premier rang l’OCDE, avec son projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting – érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices) ainsi que le Parlement européen. Ce dernier a décidé de mettre en chantier deux « rapports spéciaux » destinés à étudier « les stratégies fiscales des États membres » et à établir des « propositions concrètes à la Commission », afin de « mettre fin à l’évasion fiscale en Europe ». La proposition des Verts de créer une commission d’enquête a été préalablement rejetée, divisant les socialistes français.

La chambre des communes britannique pratique déjà l’art des auditions musclées sous la férule de la député travailliste Margaret Hodge, et le gouvernement britannique s’apprête à publier un projet de loi, surnommé « Google tax », visant à taxer les « arrangements artificiels » des entreprises présentes sur leur sol. On jugera sur pièce. Les entreprises françaises seraient quant à elles comme les banques, blanches comme neige, à voir le peu de curiosité que ce dossier suscite dans l’hexagone. Pourtant, les gouvernements français et belge auraient obtenu communication de leur homologue luxembourgeois des dossiers de « tax ruling » concernant leurs entreprises nationales, sans rien rendre public à ce jour.

Il se confirme bien que les gouvernements cherchent à améliorer leurs recettes fiscales pour éviter l’étranglement, tout en évitant que les transnationales soient, après les banques, mises à leur tour au pilori par l’opinion publique ! Le risque serait que les étroits intérêts communs – et participations financières concentrées des banques – ne finissent par apparaître au grand jour. Il ne manquerait plus ensuite que les dirigeants politiques responsables soient accusés de couvrir ces étroites connivences, et même d’en être partie prenante !

La question restera posée de savoir qui doit en priorité supporter cette charge, et les arbitrages à ce sujet semblent déjà avoir été effectués. Un rapport de l’OCDE apporte à ce sujet un éclairage intéressant. Toutes recettes confondues, le poids de la fiscalité exprimé selon le rapport rentrées fiscales/PIB aurait en moyenne retrouvé son niveau d’avant la crise, résultat des efforts des gouvernements pour renforcer leurs recettes budgétaires, même si de grandes disparités peuvent être constatées entre les pays. Mais d’autres détails de ce grossier cumul sont à relever : les cotisations sociales auraient davantage contribué que l’impôt des particuliers et des entreprises, et le poids de la TVA, discriminatoire par rapport aux revenus, aurait fortement augmenté.

Nous sommes toujours orphelins d’une grande réforme fiscale.

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