« L’intelligibilité du travail et du renseignement physique n’est plus assurée », par Stéphane-Samuel Pourtalès

Billet invité.

Je suis entré dans la chambre sans fenêtre avec mon bout de papier, tout chiffonné, marqué dessus : Stéphane a travaillé. Ils l’ont rangé sur l’étagère de gauche. C’est tout. C’était fini. Ils m’ont demandé de sortir.

Et mes sous, j’ai dit. Il n’y en n’a plus, ils m’ont répondu. On garde les papiers ici, mais comme ça, par habitude, à tout hasard.

Pour partir, c’était pas le même couloir. Je suis passé devant un petit bureau. J’avais la main sur la porte de sortie mais une femme a crié « Attendez ! » C’était une fliquette pas souriante. Elle m’a tendu un papier et m’a dit de le lire à haute voix. C’était un peu humiliant, mais je l’ai fait quand même, pour ne pas avoir d’ennuis. Ça disait : « Moi, Stéphane, je promets de travailler ».

J’ai protesté : de l’autre côté, ils disent que les papiers ne servent plus à rien.

Ça n’a rien à voir, elle m’a dit. D’ailleurs, regardez. Et elle a brûlé le papier devant moi, avec un briquet.

Alors j’ai plus besoin de travailler !

Si. Vous l’avez juré. Vous auriez honte, maintenant, de ne pas travailler.

Je ne voulais pas partir comme ça. Et les papiers dans la chambre, je lui ai demandé.

Elle a eu un petit soupir et m’a ramené devant la porte de la chambre sans fenêtres. Au dessus, il y avait un petit écriteau que je n’avais pas vu la première fois, fait à la main, maladroitement :

« L’intelligibilité du travail et du renseignement physique n’est plus assurée. »

Ah ben, j’ai dit. Mais c’est plus comme avant, on m’avait dit… Arrêtez de vous plaindre ! Elle m’a dit. Soyez logique : votre papier, c’est du passé. Moi, c’est le présent. Et votre serment, c’est l’avenir. Ici, on fait la distinction entre les choses. Ceux qui viennent pour l’avenir, comme vous, n’ont droit à aucune compensation. Il fallait y penser avant.

Elle m’a souri, finalement. Elle m’a reconduit elle-même dans ma cellule de travail. Elle était patiente : je lui faisais le coup à chaque fois. Pour qu’elle me raccompagne dans le couloir. Qu’elle me remontre la porte avec l’écriteau. C’était pour la faire sourire. Pour être avec une femme, un peu, même si c’était pas longtemps.

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33 réponses à “« L’intelligibilité du travail et du renseignement physique n’est plus assurée », par Stéphane-Samuel Pourtalès”

  1. Avatar de Stéphane-Samuel Pourtalès
    Stéphane-Samuel Pourtalès

    Ce billet est dédié à Pierre Sarton du Jonchay et notamment à son billet du 29 novembre sur ce blog.

  2. Avatar de AUGER
    AUGER

    Franz Kafka revient la situation est inquiétante.

  3. Avatar de Pierre Sarton du Jonchay

    Il s’agit d’une transcription allégorique de mon texte. C’est ciselé et parfaitement topique !

    1. Avatar de Jerome
      Jerome

      M’énerve ce système !! Envoyer le message avant qu’il ne soit rédigé !

      Bon, je reprends:
      @Pierre Sarton du Jonchay: vous écrivez dans un billet:

      tous les objets financiers qui font la complexité artificielle du système actuel sont modélisables dans une base de données relationnelles à huit tables et 27 variables

      Vous serait-il possible de nous faire l’organigramme de cette base de donnée (je comprends beaucoup mieux les relations tables, entités, champs etc.. sous forme graphique que par une description littéraire). J’aurais peut-être de ce fait une chance pour mieux comprendre vos idées.

      1. Avatar de TORPEDO
        TORPEDO

        @Jerome … et à qui veut entendre.

        Il semblerait en effet que « la traduction allégorique Pourtalèsienne » des doctes développements scientifiques (au sens de la « Science »-économique) de P.Sarton de J., n’en permette effectivement pas une lecture plus universelle.
        Ce qui signifie en gros, et pour mettre un peu les pieds dans ces pièces d’orfèvrerie où vous entendez nourrir (intellectuellement seulement) de fidèles internautes ébaubis, que le jour ou les intellectuels se mettrons à parler un langage que même leurs « inférieurs » pourront comprendre, non seulement, ils risqueront d’être compris par le plus grand nombre ( et pourquoi pas, suivis), mais en plus, ce plus grand nombre aura au moins la possibilité de juger si leurs idées sont dignes d’être suivies…
        Je pense malheureusement qu’on est encore loin du compte!
        Le survol à 20000 pieds des marguerites est une pratique robuste et révélatrice, j’en ai bien peur, d’un dangereux et fréquent travers élitiste dans ces pages…
        Je ne m’étonne plus désormais de ce que mes propos pour la mise en place d’une réflexion simplement un peu plus « humaniste » rencontre si peu d’écho…
        Pour ma part, c’est simple: j’ai comme l’impression d’avoir fait le tour du forum. C’est grave docteur Jorion?
        « Mais quelle mouche a piqué TORPEDO », allez vous dire!
        Pas grave, ça ira peut-être mieux demain…
        Sinon à beaucoup plus tard…je vais voir ailleurs si j’y suis.
        Bonne continuation, Eric.

        1. Avatar de Pierre-Yves Dambrine
          Pierre-Yves Dambrine

          Torpedo
          Ne vous désespérez pas.
          Si la prose de Stéphane était l’unique ingrédient de ce blog on pourrait se poser des questions.
          Car effectivement on ne se nourrit pas que d’allégories, de littérature. Mais on ne peut pas non plus limiter la vie, y compris intellectuelle, aux seuls exposés démonstratifs, aussi remarquables soient-ils. Notez tout de même que les billets analytiques sont de loin le plus nombreux sur ce blog. Tout le monde n’est pas sensible à la littérature, mais pourquoi ne pas y voir simplement un complément, non pas véritablement une transposition (car je pense pas que ce soit réellement l’objet de la littérature que de transposer littéralement des idées en des formes littéraires. La littérature part d’une réalité, mais elle va plus loin, en mobilisant nos affects, elle transporte notre imagination dans un monde qui n’existe pas, mais qui permet pourtant de nous faire voir sous un autre jour les choses qui d’habitude nous semblent les plus familières, ainsi par exemple à propos du travail, dans ce billet. Personnellement, l’interprétation que j’en ai fait, ne recouvre pas totalement sans doute l’intention de son auteur. Mais est-ce si important ? N’est-ce pas d’abord le déplacement de notre perception habituelle des choses, qui compte ? Si Pierre Sarton du Jonchay a trouvé dans la prose de Stéphane une illustration de son billet (et je pense qu’à un certain niveau d’analyse c’en est une) tant mieux, mais à mon sens ce n’est pas l’essentiel.

          Comme le rappelle souvent Paul Jorion la crise sociale que nous traversons est aussi une crise du langage, avec ce que comportent les mots d’affects qui renvoient à certaines croyances. Il y a donc des rapports de forces, mais pas que. Oo plus exactement ces rapports de forces si ils sont ce qu’ils sont, et qu’ils perdurent malgré les inégalités toujours plus grandes qu’ils impliquent, c’est qu’il y a pour les figer un ciment, une glue, qui permet de les maintenir en l’état. Or ce ciment, celle glue, ce sont nos croyances. IL y a bien sûr des mécanismes économiques, mais ceux-ci, en amont, sont portés par un univers de croyances.

          1. Avatar de TORPEDO
            TORPEDO

            N’est-ce pas d’abord le déplacement de notre perception habituelle des choses, qui compte ?

            Pour faire bref…Si vous saviez à quel point ma perception habituelle des choses est bien placée, vous ne me demanderiez pas de la déplacer!
            Et pour faire plus analytique… ou plus démonstratif, je ne sais pas…:

            Bonsoir,

            C’est tout le problème… Moi j’ai tendance à agir pour que ce soit les choses elles-même qui bougent, c’est pour moi le meilleur moyen d’en faire évoluer la perception.
            Oui, je sais, du premier degré..! Mais critique un peu facile quand même!

            Au fond, je pense profondément qu’une activité cérébrale vouée uniquement à bâtir des constructions théoriques qui ne seront jamais validées par la pratique est une coupable perte de temps surtout quand il s’agit de parer à une catastrophe annoncée par ce même discours.
            Malheureusement, les joutes conceptuelles émaillées de clins d’oeil et de savants renvois bibliographiques auto-satisfaits finissent par me lasser… L’enculage de mouche n’étant pas mon fort pour parler un peu vulgairement !…. Mais très sincèrement.

            Je retourne donc à mes activités habituelles qui ont elles l’avantage de produire des résultats concrets et humainement vertueux ou la part de théorie est cantonnée à sa juste place, loin des verbiages rhétoriques condescendants , car je ne me considère pas supérieur à mes semblables et encore moins à ceux à qui je suis utile et qui en échange, me font vivre!
            Je ne pense à personne en particulier sur ce forum, mais en définitive, ce qui compte est bien l’impression d’ensemble… Et le résultat final.

            Je n’ai nul désespoir, j’irai seulement respirer plus loin l’odeur de la sueur, celle du vrai travail, intellectuel et manuel qui seul peut fait taire les bavard les plus difficilement supportables, car somme toute, c’est assez fatigant de faire bouger les objets, surtout en même temps que leur perception!
            Voyez-vous, si vraiment on va dans le mur si vite que ça et qu’on ne peut pas s’arrêter, moi, je trouverai des costauds et ensemble, on le déplacera ce mur!
            …A moins que ça ne vaille pas le coup de sauver les intellos qui sont dans le train fou… C’est vrai! Ils causent presque comme des politiques!

            Se refuser à vulgariser son savoir , dénote soit un profond mépris pour le commun des mortel, soit la volonté d’en dissimuler la finalité profonde. Ce qui revient au même.

            Tiens! je viens de lancer les bases d’une « réflexion simplement un peu plus humaniste »…
            Ben v’la que je me cite moi-même, maintenant…! ça y est, ça commence à déteindre sur moi !
            Allez, bon vent à vous tous! Avec bienveillance et grande indulgence aussi,
            Parlez tous plus simplement, ça ira mieux, vous verrez .
            Mon fils dirait « pétez un coup, arrêtez de vous la jouer, et restez cool ! »
            C’est bien le fils de son père, encore un intellectuel!
            Révérence, Eric

            PS : Analytiques ou démonstratifs, tout exposé théorique nécessite des illustrations concrètes (des exemples vécus ou non qui en facilitent la compréhension- et autant que possible sans la compliquer!), faute de quoi le lecteur risque de douter de l’expérience « de terrain » de l’auteur .

            1. Avatar de Pierre-Yves Dambrine

              Bon vent également à vous, et revenez-nous si le coeur vous en dit !
              Juste une précision tout de même, sans doute aurais-je dû être moins laconique dans mon accroche, en fait je faisais référence au désespoir (relatif) quant à ce que vous espériez trouver sur le blog.
              Et désolé si mes propos ne vous a pas paru suffisamment clairs, même si un autre commentateur, que je ne nommerai pas, m’a reproché de faire trop dans le pédagogique ! Vous voyez je suis un peu entre le marteau et l’enclume, toutes proportions gardées ! 😉 Quant au déplacement des perceptions, j’ai un avis un peu différent du vôtre, considérant que ce qui fait l’intérêt de ce blog c’est justement d’y être parfois amené à réviser ses propres perceptions et conceptions des choses.
              Sinon à quoi bon venir sur ce terrain-ci ?! Et puis au nom de quoi devrions-nous considérer que tel ou tel bénéficierait d’une meilleure expérience du terrain. Dans certains domaines, oui, tel ou tel a plus pratiqué certain terrain. Mais Le terrain, celui de la vie, n’appartient à personne. Il me semble que chacun d’entre nous en tant qu’humains faisons l’expérience d’un terrain à nul autre pareil parce que nous sommes seuls à le pratiquer comme nous le pratiquons. D’où l’intérêt de venir discuter ici avec des personnes qui cherchent un terrain commun, malgré la différence, inévitable, des situations de chacun.

        2. Avatar de Stéphane-Samuel Pourtalès
          Stéphane-Samuel Pourtalès

          Eric, vous serez regretté (par moi en tout cas!)
          Si ailleurs vous y êtes, tant mieux pour vous. Envoyez-nous des cartes postales.
          …Si nous sommes encore là ! Tout passe…
          A part ça « l’humanisme » et la « compréhension du plus grand nombre », et ben c’est pas évident. Pour personne.

          « Je pense que si nous promettons « tout haut » de travailler(nous logeons tous à « l’hôtel de l’Europe » et les cloisons sont peu épaisses!), c’est surtout pour entretenir vis à vis de nos partenaires la confiance qu’ils ont dans notre volonté (puisqu’ils doutent déjà -et comme pour eux-même- de nos capacités) à faire face au remboursement de notre dette. »

          Vous reconnaitrez que cette phrase ne peut être 1- écoutée avec intérêt et attention et 2- comprise que par un très (très) petit nombre. Ça ne m’empêche pas de me réjouir de son intelligence.

          Même si certains soirs…
          Ah pardon, je retombe dans la fiction ! (la réalité).

          1. Avatar de TORPEDO
            TORPEDO

            @SSP
            Je n’ai fait, par ces quelques phrases qui n’était destinées qu’à vous seul, précisément, que vous tendre un miroir , libre à vous d’y voir tant d’intelligence…Je sais flatter ceux qui ne distinguent nulle flatterie, mais la déteste pour moi-même.
            Eric

            1. Avatar de Stéphane-Samuel Pourtalès
              Stéphane-Samuel Pourtalès

              Du vrai Kafka, cette fois-ci :
              « Je suis assis dans ma chambre, c’est-à-dire au quartier général du bruit de tout l’appartement. J’entends claquer toutes les portes, grâce à quoi seuls les pas des gens qui courent entre deux portes me sont épargnés, j’entends encore fermer violemment la porte du four dans la cuisine. Mon père enfonce les portes de ma chambre et passe, vêtu d’une robe de chambre qui traîne sur ses talons, on gratte dans les cendres du poêle dans la chambre d’à côté. Valli crie à la cantonade à travers l’antichambre, comme elle crierai dans une rue de Paris, pour savoir si le chapeau de mon père a été bien brossé ; un chuchotement qui veut se faire mon allié soulève les cris d’une voix en train de répondre. La porte de l’appartement est déclenchée et fait un bruit qui semble sortir d’une gorge enrhumée, puis elle s’ouvre un peu plus en produisant une note brève comme celle d’une voix de femme et se ferme sur une secousse sourde et virile qui est du plus brutal effet pour l’oreille. Mon père est parti ; maintenant commence un tapage plus subtil, plus dispersé, plus désespérant encore et conduit par la voix des deux canaris. Je me suis déjà demandé, mais cela me revient en entendant les canaris, si je ne devrais pas entrebâiller la porte, ramper comme un serpent dans la chambre d’à côté et, une fois là, supplier mes sœurs et leur bonne de faire un peu de silence. »

              Pour la route

  4. Avatar de BasicRabbit
    BasicRabbit

    @ PSDJ

    Quand vous écrivez  » La destructuration de l’euro est manifestée dans l’accumulation massive de titres de dette publique selon la distribution nationale des actifs bancaires en lieu et place d’une vraie politique de communauté. », est-il acceptable pour un nul en finance comme moi de dire que lorsque Draghi fait tourner la planche à billet de la BCE c’est en fait chaque Banque Nationale (de France pour moi) qui fait tourner sa propre planche à billets au prorata des besoins de ses propres banques commerciales (accentuant ainsi les déséquilibres au sein de la zone euro puisque j’imagine que la Grèce a proportionnellement plus de besoins que l’Allemagne)?

    Autrement dit comment fonctionne la BCE?

    1. Avatar de Pierre Sarton du Jonchay

      Oui c’est bien cela. La BCE n’a pas vraiment les moyens ni probablement la volonté de regarder à qui elle fait réellement crédit. C’est pour cela que les Allemands hurlent contre Draghi ; et que dans les faits ils ne peuvent strictement rien changer… Tant qu’on reste dans la conception américano-allemande de la monnaie qu’est l’euro monnaie unique…

      1. Avatar de vigneron
        vigneron

        Ben oui, tu sais bien Lapino, la fameuse « conception américano-allemande » de la monnaie…

      2. Avatar de Pierre Sarton du Jonchay

        La conception américano-allemande de la monnaie qui résulte de la fondation de la Bundesbank par les Etats-Unis dans la future RFA. Cette conception combine l’indépendance de la banque centrale par rapport au pouvoir politique responsable ainsi qu’un régime politique fédéral admettant pluralité de systèmes juridiques et fiscaux dans un marché unifié qui favorise la détaxation du capital financier.

      3. Avatar de BasicRabbit
        BasicRabbit

        Avec à terme l’inéluctable incompatibilité de la finance et de la démocratie?

  5. Avatar de timiota
    timiota

    l’Avenir ou l’enfermement dans l’intérêt.

  6. Avatar de Hervey

    Manièrisme.
    Pourquoi pas.
    Mais je vais pas demander à Pierre de m’expliquer ce qu’a voulu dire Stéphane en transcrivant…
    Amicalement à tous deux.

  7. Avatar de TORPEDO
    TORPEDO

    Très amusante et fidèle allégorie, même si quelque peu sinistre, merci quand-même

    Mais pour ceux qui espère fuir ce cercle vicieux, quel conséquences?
    Je sais: la fliquette dit: « déshabillez-vous, rendez moi vos vêtements et sortez par là… non, pas de lumière, l’ampoule est grillée. Mais plus loin, vous verrez une lumière vive. ».. Et la fliquette essuie une larme:  » Adieu! »
    Y a pas une issue de secours? une sortie digne SVP?
    Parce que le confédéralisme, sur de telles bases, je dis beurk!
    Eric

  8. Avatar de Nyssen
    Nyssen

    Assistons-nous à la naissance d’un mouvement surréaliste axé sur la finance?

    1. Avatar de Stéphane-Samuel Pourtalès
      Stéphane-Samuel Pourtalès

      Assistons-nous à la mort d’un monde financier surréaliste?

  9. Avatar de Pierre-Yves Dambrine
    Pierre-Yves Dambrine

    Outre la logique financière sous-jacente ce texte révèle aussi le coté sadique du système, qui nous dit quelque sorte: « tu dois travailler, mais l’argent que tu as gagné après avoir travaillé, on te le prend (en partie ou en totalité), car si on ne te prenait pas on ne pourrait plus te faire dire : « je dois travailler ». Cette logique s’appuie sur un noyau de croyance, la valeur-travail, dans lequel le travail est associé à une souffrance par laquelle il faut passer, car c’est un devoir de travailler, parce qu’on a une dette envers la société.
    Mais cette dette en réalité n’est redevable que de façon unilatérale, car si les salariés s’acquittent d’une dette morale en travaillant, dans le système capitaliste, les capitalistes, eux ne doivent rien aux salariés et n’ont donc à s’acquitter d’aucune dette morale. Le capitaliste n’a juste qu’à bénéficier d’un effet d’aubaine que lui apporte le surplus qu’il dégage lors de son association avec l’entrepreneur (qui est souvent lui-même un capitaliste) et le salarié, surplus qu’il peut donc placer pour que cela lui rapporte des intérêts. Lorsque le capitaliste perd au jeu spéculatif ou à celui de la compétition internationale, il n’a aucune dette morale envers la société, ce sont les salariés qui paieront la note. Le rapport de réciprocité au fondement de toute société juste est donc faussé dès le départ.

    Les chômeurs sont ainsi les grands absents des réflexions des politiques et des syndicats, et même sur ce blog. On s’apitoie sur leur sort, ou à l’inverse on les blâme mais dans tous les cas on n’établit (presque) jamais le fait positif de la condition de chômeur en tant que celui-ci dans son mode de vie concret réalise déjà un aspect de la société à venir. Je n’évoque même pas ici la question du travail qui disparaît, élément supplémentaire qui achève de démontrer l’absurdité de ce système.

    Un chômeur ne travaille pas, n’a pas de travail salarié, mais pour autant est-il nécessairement inactif ? Non, et il faut bien le dire l’activité du chômeur n’est souvent pas moins utile à la société que celles des salariés. Le seul problème de sa condition est qu’il n’a pas les revenus correspondant à sa condition actuelle d’humain socialement actif (car il en a des activités, pour autant qu’il se délivre au moins un peu de l’emprise psychologique sadique du système).

    1. Avatar de TORPEDO
      TORPEDO

      @PY Dambrine,
      Oui et non, Pour la logique de croissance, et surtout en haut lieu, chacun sait que le ressort est cassé…
      Je pense que si nous promettons « tout haut » de travailler(nous logeons tous à « l’hôtel de l’Europe » et les cloisons sont peu épaisses!), c’est surtout pour entretenir vis à vis de nos partenaires la confiance qu’ils ont dans notre volonté (puisqu’ils doutent déjà -et comme pour eux-même- de nos capacités) à faire face au remboursement de notre dette.
      Peu importe si la promesse n’est pas tenue in fine, l’important est de repousser l’échéance du défaut, pendant que les initiés se constituent un matelas de sécurité.
      En réalité la croyance dans la pérénité de l’équilibre du système en place, est bien moins partagée par ceux qui en ont profité (et qui sont ceux qui l’on perverti) que par les peuples eux-même…
      D’ou les difficultés rencontrées lors des tentatives pour faire partager une prise de conscience collective du problème (un système devenu vicieux).
      Quand au chômage, il s’agit simplement d’une variable d’ajustement dont le maniement par les « initiés » est fonction du niveau de crédulité des peuples… savants dosages en perspective!
      On a pas tout vu!
      Je ne suis pas économiste, mais tout cela est en train de nous péter à la figure…
      Amicalement, Eric.

      1. Avatar de Pierre-Yves Dambrine

        Torpedo,

        Le problème que je pointe ne concerne pas l’Europe (ce que vous dites est exact, mais ce n’est pas ce dont je parle), ni la croissance. Cela n’a aucune incidence dans mon raisonnement.
        Ce que je pointe c’est le regard que la société porte sur le travail, en tant qu’y est associé une croyance qui fait les affaires du système capitaliste et que celui-ci à son tour renforce.
        Du chômage on en parle beaucoup, mais des chômeurs, non. On jette un voile pudique sur leur condition. Pourquoi ? Parce que cette condition, dans l’état actuel des choses, est présentée sur un mode tragique, et elle l’est pour ceux qui perdent leur emploi, qui voient leurs revenus diminuer, jusqu’à se réduire à peau de chagrin lorsqu’ils sont en fin de droits. Le fait est qu’on entretient une représentation misérabiliste du chômeur, ce qui fait de lui un non-sujet. Un non-sujet politique. Alors que le chômeur incarne déjà une réalité qui pourrait être celle d’une société plus humaine, où l’activité n’est pas confondue avec le travail, où les revenus sont déconnectés du travail salarié. Dénoncer une emprise psychologique qui concerne la société dans son ensemble qui fait du chômeur un non être social, est donc essentiel, avant même de trouver des solutions.

    2. Avatar de Stéphane-Samuel Pourtalès
      Stéphane-Samuel Pourtalès

      Le « travailleur » est identifiable physiquement, et c’est pourquoi nous pouvons le penser comme « moral ». Le « capitaliste » prend souvent la forme d’une « personne morale » (sans jeu de mots!), entreprise ou institution, et se détache donc « naturellement » d’une représentation où la vertu (la coopération) aurait un sens.
      Les individus au sommet du capitalisme que nous pourrions identifier comme « les salauds » le sont dans la mesure où ils s’identifient au système, comme avant les nobles développaient un « sur-moi » disproportionnés pour se penser comme une race supérieure.
      >TORPEDO
      Je trouve en effet éclairant de dire que c’est notre volonté que le système met sur la table du festin des capitalistes. On pourrait dire aussi, plus classiquement : notre liberté.

      1. Avatar de Pierre Sarton du Jonchay

        @Stéphane-Samuel Pourtalès,
        Cette asymétrie morale entre le travailleur et le capitaliste est très bien vue. Toujours du point de vue de la moralité, la sortie réelle de ce régime d’inégalité ontologique passe par la définition d’un travail du capitaliste et par la régulation de la capitalisation du travail entre le travailleur et le capitaliste par la médiation de l’entrepreneur. Cette régulation doit restaurer et maintenir l’égalité de droit entre le travail du capital et le travail libre du travailleur. L’égalité de droit entre travail et capital signifie que le capital ne peut pas être monétisé en dehors de la satisfaction des besoins des travailleurs qui font la réalité de la rentabilité du capital. Le capital n’a pas de réalité rentable et solvabilisante sans la rémunération de tout le travail qui le transforme.

  10. Avatar de Pierre Lang

    .
    Chômeur blanc, noir, gris ou ni blanc, ni noir, ni gris?

    Je trouve interpelant voire choquant le fait que l’on ait accusé Paul Jorion de complicité avec le monde financier, dans un autre post . Bon ou mauvais procès ? Bon ou mauvais réquisitoire ? Je pense trouver derrière de tout cela l’expression de la douleur et l’injustice que l’on ressent quand on est profondément touché par la crise.

    Les riches réfugiés fiscaux français en Belgique sont montrés du doigt. À un autre bout de l’échiquier social se trouvent les pauvres retraités français dont la retraite est payée par les impôts des classes moyennes qui travaillent. Quel réquisitoire le procureur va-t-il prononcer si ces retraités dépensent leur retraite mensuelle en Tunisie ou en Turquie où ils se sont réfugiés, car dans ces pays au niveau de vie plus bas, les fins de mois sont moins douloureuses ? Que dire de tous les blogueurs équipés d’un PC à la maison et de smartphones dehors, qui épuisent les terres rares ? Que dire de ceux qui acceptent l’offre de crédit à 0% que VW fait actuellement à la télé ?

    Dans la page mentionnée, j’ai commis un post (No 19) à propos de la vision de Veblen, disons pour le plaisir de la réflexion dans un autre cadre de référence. Pour voir où ce concept différent peut mener. Car enfin, nous tous, ici et ailleurs, utilisons le même cadre de référence économique, tel qu’il nous est proposé. Les uns pour en profiter, les anthropologues pour l’étudier et les autres pour s’en plaindre, sans doute à juste titre. Que faire d’autre que de se référer aux règles du système pour critiquer ce même système ? On est pris en sandwich entre le refus de ce qui existe et la peur du saut vers l’inconnu.

    On voit la crise comme un jeu de dominos qui tombent en cascade l’un sur l’autre. Le but jeu semble de déterminer quel a été le premier domino de la série, qui l’a fait tomber et comment empêcher le domino suivant de faire de même.

    Qui peut démontrer que le premier domino était d’origine exogène (théorie en vigueur) et pas endogène (théorie de Veblen) ?

    Le bon sens ? Non merci ! Combien de catastrophes ont-elles été causées par l’utilisation basique du bon sens ?

    À mon avis, regarder la machine économique, comme Veblen l’a fait, transforme le jeu de domino en un autre jeu. Peut-on juger a priori lequel des deux jeux, l’ancien ou le nouveau, reflète le mieux la vraie réalité ?

    Si l’on accepte quelques minutes de changer de point de vue en se plaçant dans un cadre de référence différent, on peut se demander si la crise économique doit être vue comme une série de dominos ou plusieurs problèmes qui surgissent en parallèle.

    On parle de plus en plus, par exemple, des robots qui se reproduisent plus vite que des lapins. On invoque cette prolifération comme une cause du chômage de masse. Je pense qu’il est démontrable mathématiquement que cette hypothèse est bourrée de sens.

    Quelle relation y a-t-il entre les robots et la crise consécutive aux égarements du monde financier ?

    La corrélation entre les deux semble faible. Cela veut dire qu’il y aurait deux problèmes existants en parallèle et que l’un peut se poser indépendamment de l’autre. Donc que leurs solutions sont indépendantes l’une de l’autre. D’autant plus que l’utilisation les robots est endogène et le manque de régulation financière exogène. S’il y a indépendance des deux (deux causes parallèles), la crise due aux robots se serait tout de même posée sans la crise financière et mettre fin aux débordements de la finance n’est pas la solution finale.

    Si les deux problèmes font partie de la même série de dominos, alors Veblen nous dirait peut-être que la mécanisation puis la généralisation des robots ont servi de terreau à l’apparition progressive du crédit (qui date de bien avant 2000) jusqu’aux débordements de 2008 en passant par la bulle Internet. Dans ce cas, les deux causes sont liées (dominos) et endogènes. Une cause endogène tombant sous le bon sens et une cause endogène difficile à accepter comme telle, car défiant le bon sens.

    Pendant tout ce temps, il n’y avait ni réquisitoire ni juge pour arbitrer de façon fiable entre les annonceurs de la société des loisirs, les annonceurs de catastrophes et ceux qui disaient circulez, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, il n’y a rien à voir.

    En 1930, Keynes disait que ce n’était pas la fin du monde, mais que celui-ci traversait une simple crise de croissance. L’un dira qu’il avait raison. L’autre que ce n’était que partie remise jusqu’à la prochaine guerre ou crise.

    Aujourd’hui, on peut se poser la question de savoir si ce qui se passe n’incarne pas la difficulté du monde à franchir le pas de la civilisation du travail à celle des loisirs, qui ne peut se faire qu’en changeant profondément les mentalités ?

    A faux diagnostic, mauvais remède

    Pour ce qui me concerne, je ne souhaite pas passer à côté du diagnostic, en pensant aux générations futures. Au final, si l’on se trompe de diagnostic, le remède est faux et le problème reste entier.

    Cette dernière remarque fait écho à un autre Paul. Paul Watzlawick (école de Palo Alto) a notamment écrit un livre génial dont le titre est « Changements »

    Ceux qui se chamaillent et déchargent leur rancoeur justifiée, ici et ailleurs, en utilisant comme seul cadre de référence et comme seules règles du jeu, ceux-là mêmes dont ils se sentent victimes, ne jouent-ils pas le jeu de leur bourreau ?

    Toujours plus de la même chose, disait Paul Watzlawick, dans le cadre de ce qu’il appelle les changements qui ne changent rien…

  11. Avatar de TORPEDO
    TORPEDO

    A faux diagnostic, mauvais remède

    Le diagnostic n’est pas faux, il ne prend juste pas en compte la simple existence de 99%
    de la population du globe, c’est tout!
    Pour le 1% qui l’a établi, ça va bien, merci, un peu trop chaud peut-être, mais ça va!
    Mais, hé, y a les miettes quand même…
    A plus, Eric.

    1. Avatar de Pierre Lang

      Je comprends parfaitement le problème du 1% qui me révolte. Ce n’était pas directement le sujet de mon post.

      Derrière le post, ce que j’aurais pu essayer de dire, c’est que tant que l’on se bat sur cette question en criant sans cesse cette injustice à qui ne veut pas l’entendre, nous acceptons les règles du jeu en vigueur. Sur cette base, comment le rapport de force peut-il changer ?

      Le pouvoir d’un pervers narcissique sur sa victime tient dans ce qu’il ne donne pas…

      Pour moi, l’exploitation du système par le 1% et la culpabilisation des chômeurs s’apparentent à de la perversion narcissique orchestrée par un groupe. Or personne, y compris les psychiatres, n’a jamais réussi à faire prendre conscience à un pervers nacissique qu’il manque de compassion envers sa victime.

      Au contraire, plus la victime se plaint, plus le bourreau sait qu’il utilise le bon moyen pour la maintenir sous son emprise. Si les bons sentiments, les belles démonstrations, les appels à la raison et à l’empathie permettaient de rendre le comportement d’un pervers moins pervers, cela se saurait…

      1. Avatar de TORPEDO
        TORPEDO

        Nous sommes bien d’accord, mais ce que je crains c’est qu’en étalant nos questionnements allégoriques nous soyons pris pour les bourreaux (et notamment en appelant perversion narcissique ou complicité, une apparente soumission des peuples au système), comme l’observateur détaché qui observe une sourie blanche infectée par un virus injecté par le vilain chercheur!
        Il serait peut être temps de définir les moyens de sortir de l’emprise des bourreaux au lieu d’analyser leurs comportements psychiques et ceux de leurs victimes…
        Je répète donc, ou est la sortie?
        Merci, Eric

      2. Avatar de Stéphane-Samuel Pourtalès
        Stéphane-Samuel Pourtalès

        > TORPEDO
        Quand je suis au bout du couloir, je ne vois plus rien que la lumière ! Alors j’hésite. Je me souviens d’Angela, la fliquette. Qui m’a dit adieu, comme ça, trop rapidement. Elle n’était pas très gentille, mais je ne connaissais qu’elle. Des fois, elle me souriait. Je me souviens. Si je pars, c’est aussi une partie de moi que j’abandonne. Je le sais.
        Je me retourne, mais je m’aperçois que le couloir a disparu. Il n’y a plus rien. Que mes souvenirs. J’en suis sûr, de mes souvenirs.
        Je vois Saint-Pierre. Je lui dis moi j’ai des souvenirs. Il me sourit gentiment et me parle en latin. Il me fait rentrer dans une chambre avec des fenêtres. Il y a des gens gentils.
        Tout le monde est gentil. Mais je suis triste, j’ai honte.
        Parce que moi, je ne suis pas gentil.

  12. Avatar de Guy Leboutte

    Stéphane-Samuel, votre texte est littéraire et je le trouve beau.
    Il me donne l’envie de lire une suite.
    Transposez donc, transposez!

    1. Avatar de TORPEDO
      TORPEDO

      >SS Pourtalès.

      Pour ce qui est de la fin, et même s’il n’y a que mon souvenir, je sais fort bien qu’aucun Saint ne m’attend devant la chaude lumière éclairant le couloir qui mène au crématoire. Ma seule faute est de m’être laissé dépouiller, mais je garde l’essentiel…
      Alors, peut-être plus salvateur le scénario de la fliquette sur l’étagère… dommage pas faim!
      Voyager léger…

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