Billet invité. Ouvert aux commentaires.
La crise !
Un beau jour de fin d’été, encore préoccupés par nos histoires de vacances et de rentiers, on finit par apprendre que la crise a éclaté et que c’est une sale affaire cette fois-ci, pas du genre de celle de 74 où il faut s’économiser : du genre de celle qui peut tout foutre à bas.
On s’affole, on s’inquiète, un peu. On nous assure à la télévision que pas un de nos centimes ne sera fauché comme les blés sur les champs de cette horreur économique, les ‘subprimes’, comme ils les appellent.
On nous cache tout, on nous dit rien, mais on veut bien y croire.
Des tombereaux d’argent frais sont déversés dans les caisses sans fonds, les tiroirs-caisses qui nous dévaliseront, mais faut ce qui faut, on est mobilisé, de toute façon, on n’a pas le choix.
Sur ce front là, on entend même déjà des discours qu’il faut ‘tout changer’, un nouveau monde qu’on nous promet. Et avec la Noël qui s’en vient, on commence à creuser des trous, pour se protéger du mal qui pourrait nous atteindre. On s’oublie un peu, la peur est passée plus loin. Elle reviendra.
L’année d’après, c’est la grande offensive ! Faut consommer et faut pas lésiner, non plus, avec les moyens, les grands, de ceux qui s’en viennent s’ajouter comme une montagne sur le monticule de dettes qu’on avait déjà formé. On va voir ce qu’on va voir …
Pendant ce temps là, c’était la débandade dans l’immobilier, un vrai carnage, ils criaient aux renforts, ils ont été servis : on a remis les pompes à avantages fiscaux en action et pas qu’un peu. C’est dingue comme quoi l’argent est solide, même dans des fondations pourries. Sur le front, on entend des nouvelles de chez les Grecs, les Portugais et même les Irlandais, des nouvelles pas rassurantes, des trucs qu’on préfère pas trop ressasser. Les cauchemars, ça n’aide pas. On se ment comme on peut.
Justement, en parlant de mensonge, on en exhibe un gros, de mensonge : les Grecs nous auraient mentis ! Fauchés, complet, des truands de comptables qui vivaient à crédit, et personne qu’avait rien vu. On va avoir du mal à avaler cette histoire, mais il va surtout falloir mettre la main au portefeuille pour le coup et pas pour rien. Parce que c’est l’avalanche sur la tête des pauvres Grecs, qui se laissent pas faire les bougres, ils en auront pas fini avec eux, c’est sûr. Mais quand même. C’est l’hiver là bas. Ils les alignent et les fusillent, pour leur apprendre qu’on ne déserte pas face à la crise. Des déserteurs, quelle drôle d’idée …
Plus personne ne rit d’ailleurs. La croissance, qu’avait fait une risette l’année dernière, s’en est allée elle aussi. On l’espère chez les Chinois, mais pas encore chez les Ricains : il paraît que des villes entières sont tombées chez eux.
On nous distrait en nous parlant d’identité et puis des élections qui s’en viennent mais la vérité c’est que tout le monde est mobilisé pour creuser : on creuse, on creuse, on creuse. En face aussi, on fait la même chose. Ils défendent leurs positions, ils sont ‘too big to fail’ comme ils disent. On lance alors plusieurs assauts, sur leurs dérivés, sur leurs bénéfices, mais on se casse les dents sur leur droit et nos généraux nous tirent dans le dos, pour nous apprendre … à résister face à la crise ! Les Ricains entre-temps font pas dans la dentelle, ils font pleuvoir le fer des amendes à coups redoublés, sans pour autant qu’on ait l’impression que cela les ait un tant soit peu entamés. C’est que même quand ils perdent du terrain, ils le regagnent aussitôt, parce qu’ils ont des lignes arrières très profondes, bien établies, avec des réseaux de communication enterrées.
Nous, on commence salement à morfler. Les offensives se sont avérées les unes après les autres inutiles, au prix fort. Les copains qu’ont disparu, on commence à les oublier, pour éviter de penser à soi.
L’Etat-major, ça se voit, ils ne savent plus quoi inventer pour lutter contre la crise. La dernière en date ! L’offensive de l’offre ! Cela ne s’invente pas, ça se décrète, même mal : ça bouge dans les rangs, on entend grogner, mais personne ‘crosse en l’air !’. Faut dire qu’en face, la crise commence son barrage de préparation et on entend les coups sourds marteler la crête, au loin. On nous répète que notre ligne Maginot de la BCE fera tout ce qui est en son pouvoir, mais les gars n’y croient plus, et à dire vrai, cela fait déjà 6 ans qu’on est dans notre gourbi, rempli de travail croupi et de rats de crédit qui pullulent en couinant ‘aux bonnes affaires !’. 6 ans !!
Certains parlent de l’arrivée de la croissance pour l’été prochain mais ils sont vites coupés dans leur délire : ferme ton clapet !
Ce qui nous inquiète vraiment, plus que la fatigue, plus encore que les copains tombés au front, ni même le poteau, c’est de savoir que c’est pour bientôt, la grande offensive. Alors, on se terre et on continue de creuser, d’étayer nos tranchées.
On commence à se dire qu’il faudrait faire nos adieux …
Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes
C’est bien fini, c’est pour toujours
De cette crise infâme
C’est à Florange sur le plateau
Qu’on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
Nous sommes les sacrifiés
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