L’ARME DES TAUX A DOUBLE TRANCHANT, par François Leclerc

Billet invité.

Le programme d’acquisition d’asset-backed securities (ABS) de la BCE démarre très mal, 368 millions d’euros de titres ayant seulement été achetés cette première semaine. Ce qui relance les spéculations à propos des nouvelles mesures qu’elle pourrait ou non prendre jeudi prochain, sans attendre sa réunion de janvier comme annoncé. Avec à la clé un démarrage de la planche à billets très controversé et de la dernière chance.

Aux États-Unis, un autre suspens est entretenu à propos du relèvement des taux de la Fed. L’abaissement de leurs taux est la plus importante mesure dont les banques centrales disposent pour prévenir la déflation, mais c’est une arme à double tranchant. Non seulement parce qu’il favorise les bulles financières, mais parce que les compagnies d’assurance, les fonds monétaires et les fonds de pension souffrent de leur politique de taux bas qui atteint leur rentabilité et les déstabilise.

Tous, ils ne trouvent plus les rendements qui leur sont nécessaires dans les classes d’actifs traditionnelles, en premier lieu les titres souverains, ce qui les conduit à prendre des risques afin d’y suppléer. L’EIOPA, l’autorité européenne des compagnies d’assurance, a procédé à un nouveau round de tests de résistance, au terme duquel il apparaît que presque un quart de celles-ci pourraient ne pas remplir leurs engagements vis à vis de leurs clients à horizon des dix ans à venir, si les taux d’intérêt restaient bas longtemps dans un scénario à la japonaise. Et l’on ne connait pas les paramètres concernant la dette souveraine adoptés pour les tests, que la BCE a tout simplement considérés sans risque pour ses propres tests bancaires !

Les représentants des assureurs et réassureurs n’ont cessé de s’insurger contre le cadeau aux banques que représente la baisse des taux d’intérêt, s’estimant en être « la victime collatérale ». Les mêmes banques ont enclenché en Europe un mécanisme dont sont victimes les fonds monétaires : elles ont commencé à introduire des taux négatifs pour les dépôts de leurs clientèle, pour compenser ceux qu’elles supportent en déposant leurs propres fonds à la BCE, ou afin d’inciter les déposants à placer leur épargne sur l’assurance-vie ou les livrets bancaires (et percevoir des commissions). Afin d’y échapper, ainsi qu’aux faibles rendements du marché de la dette publique, les capitaux se dirigent vers les fonds monétaires, source traditionnelle de dépôt et de financement à court terme des banques et des grandes entreprises.

Mais ceux-ci offrent à leur tour des rendements nets (inflation déduite) en dessous de zéro, subissant la faiblesse générale des taux et la baisse du rendement de leurs propres placements qui en découle. Procurant une image saisissante des marchés financiers, l’EONIA, qui indique le taux des prêts interbancaires au jour le jour (non gagés par des titres) est déjà négatif et sa version à un mois et trois mois flirtent avec le zéro.

Il en ressort une nouvelle loi, qui pourrait s’énoncer ainsi : plus les taux sont bas, moins il y a de placements sûrs et attractifs, alors que les liquidités sont de plus en plus abondantes ! Dans l’immédiat, deux importants rouages du système financier – les compagnies d’assurance et les fonds monétaires – sont fragilisés par la baisse des taux qu’imposent les banques centrales afin de lutter contre les pressions déflationnistes, les conduisant à des prises de risque accrues. En cherchant, sans garantie de succès, à combattre un mal, il en est créé un autre. L’un est à court terme, l’autre à plus longue échéance : le choix est vite fait !

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