LIQUIDITÉ DES MARCHÉS ET BRUSQUES RETOURNEMENTS, par François Leclerc

Billet invité.

Poursuivant leur cheminement chaotique, les marchés financiers ne sont plus ce qu’ils étaient, rendant leurs intervenants perplexes quand ils ne sonnent pas l’alarme à propos de la crise de liquidité qui se préciserait. Sous les auspices de William Dudley, le président de la Fed de New York, la Banque des règlements internationaux (BRI) rend public le fruit d’une étude qui tente sans grand succès de fouiller dans les profondeurs des marchés et porte sur « la tenue de marché et transactions sur fonds propres », tandis que Larry Fink, le Pdg de BlackRock (le plus important fond d’investissement mondial), s’alarme de la venue d’un « vrai accident de liquidité [qui] déstabilise le marché », lui qui prend rarement la parole.

Le marché ne serait plus liquide comme avant, les investisseurs peinant à trouver des contreparties afin d’acheter ou de vendre des actifs financiers et les temps d’attente s’allongeant, mais quelles en sont les causes ? Il est tentant, pour ceux que cela arrange, d’incriminer la régulation financière et en particulier les règles dites Bâle III de renforcement des fonds propres et de liquidité des banques. Jouant un rôle important de teneur de marché avec pour fonction d’assurer la liquidité, les lobbies des banques ne manquent pas de faire valoir qu’un assouplissement réglementaire s’impose pour remédier à la crise de liquidité montante, les banques ayant diminué leurs activités de teneur de marché en raison des nouvelles contraintes.

Et l’on retombe sur le dossier de la séparation des activités bancaires, en cours d’exécution aux États-Unis en application de la loi Dodd-Frank, et aux modalités toujours en discussion en Europe. L’argument des banques a toujours été qu’il était très difficile de séparer leur activités de teneur de marché, dont elles tirent gloire et revenus, de leur activités spéculatives sur fonds propres, afin d’éviter que ces dernières soient prohibées. Aujourd’hui, elles préconisent en Europe que les actifs inscrits à leur bilan dans le but d’exercer la tenue de marché soient assortis d’obligations de fonds propres moindres que les autres, jouant sur le flou de la frontière qui les sépare, afin de desserrer les contraintes qui pèsent sur une rentabilité en forte diminution.

Mais la réglementation a bon dos, car les banques ne sont pas les seules à jouer un rôle de teneur de marché, des courtiers (brokers) le sont également, qui ne sont pas assujettis à cette réglementation et rencontrent néanmoins des difficultés à assurer comme avant la liquidité sur les marchés. Un faisceau de raisons difficiles à cerner est en cause. Les marchés connaissent des modifications de leur comportement en profondeur, et si la liquidité globale a peu varié, cela cache des disparités importantes suivant les classes d’actifs. Est aussi découvert que le trading à haute fréquence – dont les défenseurs affirment mordicus qu’il favorise la liquidité, cet argument choc passe-partout – aurait des effets contraires selon la BRI, et est également enregistrée une forte concentration dans le secteur des fonds d’investissement, les ordres massifs d’un nombre réduit d’acteurs pouvant par voie de conséquence bloquer les marchés.

Un nouveau danger systémique diffus a été découvert, face auquel les réponses à apporter ne se précipitent pas. Des vœux pieux sont formulés par la BRI comme autant de bouteilles à la mer, dont une standardisation accrue des actifs financiers qui permettrait de mieux maitriser les transactions de tout point de vue. Puis on en revient à la vieille même recette, qui consiste à demander aux banques centrales d’accepter à leurs guichets d’autres intervenants que les banques. Une évidence, si l’on considère le déport bien entamé des activités financières à haut risque vers le shadow banking, et à nouveau l’aveu de l’impuissance.

Les marchés financiers sont d’un côté exposés à une réduction de la liquidité les grippant, et de l’autre à de brutaux retournements de situation, comme par exemple le dernier flash crash du 15 octobre dernier. Celui-ci a mis en évidence la moindre liquidité des actifs roi que sont les obligations souveraines américaines (les Treasuries). Le volume des titres disponibles sur le marché ayant chu, notamment en raison des achats massifs de la Fed, les ordres moutonniers de grands intervenants du marché pèsent fortement sur les prix, d’autant plus qu’une concentration est intervenue. Fin 2012, les dix plus importants gestionnaires d’actifs détenaient 30% du total des actifs sous gestion, dont le montant était de 19.000 milliards de dollars.

Les marchés financiers font des leurs et la hausse des taux de la Fed, aux effets imprévisibles, en prépare d’autres soubresauts. L’ère du capitalisme assisté n’est pas non plus de tout repos…

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