C’EST À PEINE CROYABLE ! par François Leclerc

Billet invité.

Au fil des fuites, le mirifique plan d’investissement sur 5 ans de Jean-Claude Juncker se réduit comme une peau de chagrin. Sans attendre sa présentation au Parlement de demain, le chef du bureau du Financial Times à Bruxelles, toujours bien informé mais cette fois-ci prudent, en a donné les grandes lignes possibles. Il reposerait désormais sur l’octroi de 21 milliards d’euros de garanties de la Commission et de la Banque européenne d’investissement (BEI) à un fonds géré par cette dernière, en vue de lever sur les marchés 315 milliards d’euros auprès d’investisseurs privés. Cela représenterait un effet levier potentiel de 15, chiffre qui explique que l’objectif soit passé de 300 à 315 milliards, une fois fixé l’apport initial de 21 milliards d’euros. Derrière la magie des chiffres, l’arithmétique…

Depuis le début, il a été expliqué qu’il serait fait appel à des fonds privés aux côtés de fonds publics, mais l’on cherche en vain ces derniers dans ce montage financier – si ce n’est sous forme de garanties qui ne sont que des promesses – et l’on s’interroge sur les motivations des investisseurs à mettre au pot s’ils ne sont pas mieux et plus fortement prémunis contre les pertes, comme il en était question et comme cela pourrait revenir sur le tapis dans un second temps.

Plutôt que d’être hypnotisé par ce montant et le scruter sous toutes ses coutures serait-il temps de s’interroger sur les effets potentiels de ce plan ? L’investissement dans les infrastructures est une recette classique mais pas éprouvée pour autant : en référence au Japon qui l’a beaucoup utilisé dans une situation de même nature, les résultats n’ont pas été au rendez-vous. Dans le cas présent, il est annoncé que la BEI sélectionnera les projets qui seront financés par le fonds pour être présentés aux investisseurs. C’est là que se jouera l’affaire, tant en terme d’attractivité pour les investisseurs que pour son effet d’entrainement de l’économie, à cette nuance près que les investissements dans les infrastructures sont à retour lent et qu’il faudra compter sur des effets induits. Comme il ne s’agit pas d’ouvrir prioritairement de grands chantiers mobilisateurs de main d’œuvre, à l’ancienne mode, mais plutôt de préparer l’avenir dans des secteurs technologiques de pointe, l’effet sur l’emploi n’est a priori pas évident.

Ce dispositif a pour objectif de suppléer aux banques et d’amorcer la pompe du financement des entreprises directement par le marché, la tentative de relance de la titrisation de la BCE ayant déjà perdu beaucoup de sa crédibilité, à peine entamée. Le commencement de la fin de l’intermédiation bancaire qui prévalait en Europe aurait-elle sonnée ? Si cela devait commencer à se concrétiser, un nouveau terrain de jeu serait ouvert aux financiers, et le montage du fonds de la Commission – qui consiste donc à créer un appel d’air avec des garanties, s’il se confirme – ne donne qu’un avant-goût de ce qui suivra… La créativité financière trouvera enfin à nouveau matière a s’exprimer et ce n’est pas une bonne nouvelle. Et le manque de fonds propres des entreprises à l’origine de leur dépendance financière accentuée ne sera pas réglé, tout au contraire.

De quoi est-il question au juste ? D’aider les grandes entreprises qui y parviennent déjà à se financer, ou de suppléer au déficit du crédit bancaire qui atteint les entreprises n’ayant en raison de leur dimension pas accès au marché ? Comment les financiers vont-ils alors juger de la solidité des entreprises auxquelles ils vont prêter des fonds, ainsi que du risque des projets dont elles vont être porteuses ? Comment vont-ils se garantir ? Qui seront-ils pour se lancer ainsi ? Faire référence aux masses de capitaux flottants en général ne procède-t-il pas d’une grande naïveté, comme s’appuyer sur la multitude des projets disponibles à Bruxelles ? Peut-on croire que les détenteurs de ces capitaux, habitués à des rendements élevés et à l’exonération fiscale de fait de leurs bénéfices, vont se lancer dans une telle aventure sans biscuits ?

L’état du marché obligataire peut apporter une réponse à cette question : bien qu’étant diversement rémunérateur, celui-ci représente malgré tout un placement sûr, tant que la BCE est là pour accueillir les titres achetés ! On a d’ailleurs enregistré l’impatience des investisseurs qui attendent le lancement d’un programme d’achats de titres par ses soins, afin que cette garantie implicite devienne explicite. L’hypothèse à retenir serait donc que toutes les caractéristiques du plan d’investissement ne seront que progressivement dévoilées, afin de remiser au second plan des montages financiers destinés à rassurer les investisseurs privés. Ils pourront varier suivant les projets retenus, apports de fonds publics ou garanties complémentaires sous toutes les formes imaginables. Voilà qui fleure bon également les produits structurés. À suivre.

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