Désir et volonté, économie du rapport de force vraie, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité.

Toi avec qui je commerce, avec qui j’échange mon travail contre un bien, ma décision contre un capital, mon savoir être contre ta capacité à produire des services pour les autres, tu me demandes de ne pas te protéger. Cela signifie pour moi que je n’ai pas à te protéger contre toi-même. Je n’ai pas à douter de ce que tu dis ni de ce que tu fais avec ton corps qui exprime ta personne, ton désir et ta volonté. Cela signifie aussi pour moi que je ne dois pas réprimer ce que je ressens pour toi. Je dois te laisser libre de penser que je rachète ton mal ou que je te vends un vrai bien. Pour que nous nous aimions et pour que tu saches que nous nous aimons, je protège ta liberté de penser.

Evidemment, je m’applique à moi-même ce que je comprends de ta demande. Si tu me dis que je t’assure contre un mal ou que je t’ai livré un vrai bien, je m’efforce d’écouter ce que tu me dis sans en déformer ou en travestir le sens selon mon intérêt exclusivement personnel. Tu as reconnu devant moi que ce qui te rendait particulièrement aimable à moi est l’écoute unique et véritable que tu me témoignes. Mon souhait le plus vif est de te témoigner d’une écoute aussi attentive et sensible que celle que tu m’offres.

Ne pas te protéger signifie donc pour moi te laisser être toi-même par toi-même devant moi qui suis moi-même par moi-même. Je crois sur ce point que nous voulons la même chose. Je crois aussi comme toi que nous sommes en devenir, que nous changeons, que nous nous transformons l’un l’autre en nous fréquentant, en échangeant des biens, en nous servant l’un l’autre. C’est ici à mon avis que nous devons nous protéger ; nous protéger nous-mêmes pour protéger l’autre.

Ce que nous devenons, que nous ne sommes pas encore, n’est pas visible par les yeux et par l’intelligence, mais par notre cœur et notre volonté. Si nous ne nous protégeons pas l’un l’autre, et l’un par l’autre, alors nous pouvons imperceptiblement vouloir et désirer à la place de l’autre ce qu’il ne désire pas vraiment et sur quoi il n’a pas fixé sa volonté. Tant que tu ne me dis pas explicitement ce que tu veux, je suis prudent à ne pas agir pour ne pas compromettre ta volonté dans ce que tu ne désires pas ; ou encore compromettre ton désir dans ce que tu ne veux pas.

Nous avons beaucoup de transactions en cours parce que nous parvenons à désirer ce que désire l’autre. Ce commerce que nous avons développé est réel et concret à l’instant de nos transactions où nous fûmes d’accord sur la chose et sur le prix. A l’instant où la chose a signifié notre volonté libre. Ce commerce reste réel et concret au présent dans le crédit que nous représentons l’un pour l’autre si nous y engageons notre volonté. A la différence du désir qui s’exprime à chaque instant par notre corps, notre volonté s’exprime par intégration du passé, du présent et du futur dans notre cœur. Dans notre cœur qui est à nous-mêmes autant qu’il peut être de chacun, à l’autre. Nous sommes en morale des personnes physiques.

Notre désir nous unit par nos corps. Notre cœur nous unit par nos volontés. Et nous ne pouvons pas commercer sans y mettre et notre désir, et notre volonté. Si nous ne cherchons pas à mettre en accord notre désir et notre volonté sur un objet politique, si nous ne protégeons pas notre volonté au passé, au présent et au futur, alors notre volonté vient étouffer notre désir. Alors notre volonté ne peut pas être la production de notre désir. Alors notre volonté ne sait pas exprimer notre désir dont elle n’est pas le reflet. Actuellement, je connais très bien ton désir, qui me pénètre profondément parce que tu me l’as exprimé en toute simplicité et en toute clarté. Mais j’ai toujours besoin de te demander quelle est ta volonté quand que tu ne me la dis pas dans une transaction actuelle.

Ta volonté visible et mesurable hors de la livraison factuelle d’un bien contre un prix, c’est notre monnaie. La monnaie est l’unité de nos volontés à l’écoute du désir de chacun. Mais si nous désirons, il faut bien que ce que nous désirons soit quelque chose. Et que ce quelque chose ne soit pas seulement un bien pour l’un ou pour l’autre, mais bien pour les deux ; bien pour celui qui vend et pour celui qui achète ; bien pour celui qui donne et pour celui qui reçoit. Et quelle est la preuve que le bien que nous désirons pour l’autre et pour soi est bien ce que nous voulons ? La preuve, c’est les autres qui sont témoins de nos transactions dans la monnaie.

Et comment les autres sont-ils présents dans nos transactions de biens par les choses quand nous discutons en tête à tête ? Ils sont présents par le paiement du prix en monnaie. La monnaie est l’unité de prix de leur volonté commune avec la nôtre. La monnaie est le travail des autres aux biens que nous nous voulons l’un pour l’autre. La monnaie est l’assurance que nous fournit la société politique dans la loi commune et délibérée qui régit nos désirs. La monnaie est le crédit que nous nous faisons par les autres à nous vouloir du bien.

Si je te vois sans connaître ta volonté, mon désir trop fort de vivre avec toi réduit ma capacité de t’écouter. Tant que tu ne me dis pas ce que tu veux au présent pour notre avenir, je ne peux rien faire d’autre que de brider le travail de mon désir pour garder mes chances de t’écouter et te connaître vraiment. Si tu ne me dis pas comment tu veux exister en moi, je suis obligé de te protéger en moi pour que mon cœur puisse t’entendre. Tu m’as dit que tu te sentais prise dans mes filets. Cela prouve que nous nous aimons mais que j’ai aussi et par conséquent le pouvoir de t’anéantir si je ne te laisse pas exprimer ta volonté à tout instant.

Il est bien de monnaie de nos biens que par le désir visiblement voulu et protégé de vivre ensemble.

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