Sur la montée de la robotisation … et l’apparition de ses freins ou de ses dérives, par Timiota

Billet invité.

L’article du Monde : Tout va bien, mon patron est un ordinateur décrit le « robot partie prenante au conseil d’administration » dans une boite hongkongaise d’investissement en biotechnologies, domaine où de vastes quantités de données existent dans les bases de données mondiales.

Cela pointe vers le prochain basculement de dizaines de millions d’emplois qualifiés vers des formes robotisées.

Il y a bien sûr du vrai, mais ce que je propose ici, c’est qu’il y a aussi une contre-réaction qui va s’établir pour freiner ce développement et « surfer » avec … Cette contre-réaction, on ne pourra pas l’attribuer à l’humain ou à la machine, et on ne peut pas dire non plus si elle domptera davantage, moralement, les conséquences de ce changement que les conséquences de la finance ou dans la finance, du HFT (high-frequency-trading). Je relie l’engouement actuel au passage par une situation de « percolation », bien connue dans le cas de système désordonné, lorsqu’ émerge quelque chose de nouveau qui se multiplie.

Le freinage d’abord : cette contre-réaction viendra du fait que la masse des données elle-même sera paradoxalement de moins en moins significative, autrement dit que les avantages cognitifs si évidents à l’instant t vont s’affaiblir. Pour prendre une analogie, c’est comme le commerce du bois dans une zone forestière humide (je reprends ceci de K.  Pomeranz, The Great Divergence) : on commence par abattre les fûts près des fleuves parce que le transport est facile. Puis on a du mal à pénétrer de plus en plus loin du fleuve, en allant d’abord dans des affluents plus petits, etc.

Je prétends que la forêt de données que nous construisons et que devront explorer ces robots est dans un phase « heureuse », où le premier programme venu y trouve de l’info « utile », parce qu’on vient de passer des « seuils de percolation » des big data sous-jacente. On vient d’apprendre à aller sur des fleuves et les premiers affluents qui vont vers cette forêt alors qu’elle était auparavant inaccessible, étant dispersée au mieux sur pleins d’ordinateurs non connectés ou plein de braves fiches en papier. La navigation, dans ma métaphore n’y était pas possible, la connaissance étant en réalité réservée aux praticiens locaux.

C’est donc aujourd’hui le moment de relative euphorie informationnelle, et donc un moment privilégié où le rendement des robots semble bon. Mutatis mutandis, on entendit parler, il y a 20-30 ans, des « systèmes experts », puis cela fit un peu flop.

Je ne pense pas que le couple robot/big-data aille vers un gros flop, mais simplement que le point d’inflexion de la croissance de cette alliance est situé pas loin devant nous, disons 5-10 ans. Et qu’après, on retournera dans une phase où des métiers intermédiaires seront nécessaires pour intermédier, comme les actuels libraires, éditeurs, imprimeurs.

Dans ce sens, une priorité serait de former, par la puissance publique, les acteurs capables d’initier ces nouveaux métiers (je pense à ce qui peut se faire autour de Bernard Stiegler et à l’UT Compiègne comme exemple, mais je ne le connais pas bien).

Peut-être est-ce optimiste, mais cette croissance des robots pourrait engendrer des emplois utiles financés par les richesses dégagées de cette activité.
Voilà pour le volet temporel.

Passons au volet spatial, car là aussi, on imagine que ces métiers ne vont pas être uniformément distribués.

Or il est plus difficile d’entrevoir quelle est la géographie mondiale que cette robotisation du tertiaire intelligent dictera. Certains peuples (asiatiques ? ailleurs ?) seront-ils plus aptes à s’insérer dans cette affaire ? D’autres en seront-ils les dindons ? Les emplois liés à la maintenance de ces systèmes pourrait être très performante chez des gens n’ayant justement aucune idée préconçue des contenus, des ingénieurs de Bangalore devenant ainsi très bons pour lubrifier les décisions robotiques relatifs à des entrepreneurs scandinaves.

Enfin, il existe une possibilité de segmentation qui n’est ni temporelle (travail avant/ chômage après), ni spatiale (chômage ici, emploi là), mais intérieure à la société : le risque de division dans une société par l’irruption de ces robots est en effet possible. Ces robots peuvent induire « nolens volens » une bifurcation (encore que la question du « volens » pour un robot…). Il peut s’agir par exemple d’une instabilité « systémiquement » avantageuse, où les décisions actées entre robots et humains  parquent d’un côté les pauvres et leurs activités (*), et qu’ils parquent donc d’un autre côté des privilégiés dont le statut serait là aussi euphémisé de façon acceptable dans le discours (« créateurs d’emploi », « distributeurs de richesse »). Bref, ces robots feraient de la politique (art de la polis) en remplaçant les « zoon politikon » que nous sommes sans en avoir l’air. La lutte contre ce qui est aujourd’hui en gros le néolibéralisme devrait alors trouver de nouvelles armes. S’y préparer en anticipant les futurs possibles de cette nouvelle architecture du savoir et de la production de richesse est un des travaux auquel ce blog pourrait se prêter !

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(*) Sous des euphémismes ou de regroupements par des « proxys » adéquats, des mots-valise, comme « la valeur » ou d’autres, sont porteurs de telles perversions, on le sait ici, je me réfère à « Comment la vérité et la réalité furent inventées » ou « Le prix » qui soulignent l’usage d’un modèle sous-jacent pour appréhender la réalité et la distance importante à ce modèle qui s’établit, quelquefois invisible tant elle est au fond du langage, et de notre langage asymétrique occidentalo-grec en particulier.

 

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