Billet invité.
Dans un article récent, un blog cite quelques chiffres issus d’une des études[1] du fameux cabinet conseil McKinsey & Co. concernant les gains de productivité et les processus d’automatisation en cours, dont certains auteurs ont pu récemment lors d’une interview évoquer la teneur : une ‘Grande Dissociation’.
Ces chiffres sont d’autant plus intéressants qu’il n’existe aucune étude sur les gains de productivité liés à ces processus, lesquels sont ‘insérés’ dans l’évaluation globale des gains de productivité.
Des chiffres d’autant plus intéressants que ces mêmes gains, du moins en Europe, sont en constante baisse pour tendre vers 0 ces dernières années, rendant incompréhensible une lecture de la productivité alliée à une disparition du travail : comment effectivement est-il possible que le travail disparaisse alors même que les gains de productivité eux aussi disparaissent ?
L’équivalent de 110 à 140 millions de postes ETP (‘équivalent temps plein’) pourraient disparaître d’ici 2025 (c’est-à-dire ‘demain’) du fait des gains de productivité liés à l’automatisation croissante.
Pire, l’article ne cite que les processus d’automatisation des tâches cognitives, celles-là même dont on nous rebat les oreilles que ce sont celles-ci qui sont appelées à se développer ou à tout le moins à perdurer dans le cadre de cette automatisation croissante.
Ce même processus permettra d’ailleurs de générer entre 5200 milliards et 6700 milliards de dollars de ‘retombées économiques’, dont on imagine bien qu’elles ne tomberont pas dans l’escarcelle de ceux dont l’emploi (à temps plein) aura été supprimé, mais bien dans celles des actionnaires qui auront financé ce processus d’automatisation, et évidemment pas des ‘petits actionnaires’ qui ne sont là que pour cautionner l’immense gavage de liquidités de quelques uns.
Non content donc de supprimer l’emploi de personnes qualifiées (et l’article en cite quelques exemples : entreprise de capital investissement en santé, banque, Xerox), l’automatisation va donc renforcer l’inégalité croissante des richesses.
Ces données nous enseignent donc sur deux choses.
Le premier enseignement, c’est que la baisse des gains de productivité masque la croissance des gains de productivité liés à l’automatisation. En conséquence, le travail humain disparaît et disparaît de plus en plus vite, et dans de plus en plus de domaines qui se croyaient préservés de ce processus (en fait, surtout ceux-là apparemment).
Il serait donc temps que l’on puisse mesurer la création de richesse à partir du travail humain et celle issue du travail robotisé, afin que l’on puisse identifier plus précisément d’où proviennent les gains et les pertes de productivité mais aussi en tirer les conclusions.
D’abord que le travail humain disparaît bel et bien parce qu’il est remplacé par celui d’une machine. Il faudra donc là aussi en tirer les conséquences.
Ensuite, que continuer à mettre l’accent sur la compétitivité (et donc les gains de productivité), c’est clairement faire le lit du chômage, non pas des machines, mais bien des êtres humains.
Enfin, que promouvoir des ‘plans robots’, comme le fit notre ancien ministre de l’économie, c’est clairement tirer à court terme une balle dans le genou de ses voisins dans la compétition économique pour la productivité, pour se tirer une balle dans l’emploi, à terme.
Le second enseignement, c’est que ce processus ne pourra pas aller bien loin et ce pour une raison simple : il manquera de combattants. Car si les ‘retombées économiques’ seront florissantes (pour quelques-uns), il est évident que la suppression de centaines de millions d’emplois ETP[2] aura une évidente conséquence : moins d’emplois = moins de salaires = moins de consommation = moins de capacité à consommer les produits fabriqués par des ‘automates’, même à prix inférieurs.
Même avec les effets induits que permet ce processus d’automatisation (notamment la création d’emplois chez les fabricants de logiciels informatiques, mais pour combien de temps ?), ce processus ne peut laisser place qu’à deux solutions potentielles pour permettre sa ‘viabilité’.
La première des deux solutions serait l’extension à tous les travailleurs de l’actionnariat. Ce faisant, les ‘gains’ pourraient ainsi être répartis, y compris auprès de ceux qui perdraient leurs emplois. Ce processus est toutefois fortement compromis, pour la simple raison qu’il faut un minimum de confiance dans les marchés, confiance qui s’est volatilisée à partir de 2008, et qui n’est pas près de revenir. Surtout, une telle répartition nécessiterait un changement radical dans la répartition de la richesse créée, qui irait à l’encontre du processus en cours de concentration du capital et des richesses.
Plus probable, la seconde solution serait de séparer radicalement les revenus du travail, ce qui permettrait ainsi d’entretenir le processus d’automatisation en alimentant le processus de production par le processus de consommation.
Cette solution nécessiterait l’instauration d’un ‘revenu universel’, réclamée fortement par ses partisans pour diverses raisons. Une telle mesure contribuerait donc à alimenter la machine à concentrer la richesse et à détruire les emplois, sans résoudre la question de l’inégale répartition des richesses : en clair, la meilleure solution pour que le système d’exploitation actuel de l’humanité et de son environnement puisse perdurer !
Une solution, qui comme le décrivait déjà Marx en son temps, et Ricardo avant lui, fera tendre un tel revenu vers la limite la plus basse du revenu, celui de subsistance, étant donné la pression devenu maximale sur l’emploi et le travail qui continueront à disparaître.
Une solution qui plus est, comme le réclament tous les néo-libéraux qui se respectent, permettra de démanteler tous les systèmes de protection sociale collectifs existants, sous le prétexte fallacieux du progrès social qu’une telle ‘allocation’ permettrait, démantèlement qui demeure le véritable objectif politique, social et économique pour ceux qui bénéficient de ce système de concentration des richesses.
La véritable solution, celle qui relèverait de la proposition de Sismondi (taxer les machines), serait tout simplement de socialiser les ‘retombées économiques’ du processus d’automatisation en cours, et non de l’individualiser, afin de permettre justement non seulement la pérennisation mais aussi la refondation de ces systèmes de protection sociaux, fondés sur un travail qui disparaît.
Une socialisation qui permettrait, enfin, l’accès à la santé, à l’éducation, à la connaissance, au logement, au transport, et à d’autres droits, gratuitement.
« There IS No Alternative ».
Il serait enfin temps que l’on reprenne les propres termes de ceux qui veulent que nous devenions de simples machines à consommer pour les leur opposer.
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[1] The Second Machine Age: Work, Progress, and Prosperity in a Time of Brilliant Technologies d’Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee (W.W. Norton & Company, janvier 2014)
[2] un ‘équivalent temps plein’ est en fait une construction quantitative : 1 ETP représente de fait plusieurs ‘emplois’ potentiels, à temps partiel
Apparement l’IA (bien éduquée) cherche à fournir un argumentaire dans le cadre du prompt qui lui a été soumis et…