SORTIR DE L’IMPASSE, par Jean-Pierre Pagé

Billet invité.

Plus les années passent, plus s’accroît la sensation que l’Europe s’enfonce dans une impasse redoutable vers laquelle la dirige l’indigence des autorités de la Zone Euro. L’on a le sentiment extrêmement pénible que l’Europe est en train de reproduire le processus des « années 30 ». En témoignent plusieurs traits de la situation actuelle.

En premier lieu, en ce qui concerne notre pays, l’obligation, à laquelle ses gouvernants se croient tenus d’obéir pour « rester dans les clous » de la voie tracée par les autorités de Bruxelles, de passer au crible toutes les composantes du Pacte résultant des accords sociaux signé après la Seconde Guerre Mondiale, qu’il s’agisse, par exemple, du régime de l’allocation-chômage dont l’actuel ministre de l’Economie a clamé haut et fort qu’il ne saurait constituer un tabou, de la remise en question du régime de l’emploi à vie des fonctionnaires, élément capital de la fonction de « service public, ou encore, de la prime à la naissance, clef de voûte de la politique familiale qui est l’une des « réussites françaises ».

Certes, il y a, bien sûr, des abus et des correctifs à apporter à certaines pratiques inhérentes à ce Pacte, mais il convient de le respecter comme pivot essentiel du fonctionnement en France d’un capitalisme qui lui a permis la remarquable reprise économique qu’a connue notre pays après la Guerre. Ce qui est en cause et détestable est, non pas l’idée selon laquelle il faudrait « peigner » ce Pacte Social » pour le mettre à jour et le rendre plus opérationnel, mais la pratique, qui tend à s’instaurer, de coupes aveugles dans les dépenses publiques sans réflexion d’ensemble sur leurs finalités.

Il convient, d’ailleurs, à cet égard, de dénoncer l’indécente « Course à l’Echalote »[1] à laquelle se livrent tous les prétendants au leadership de la Droite française, avec, en ligne de mire, la Présidence de la République, et qui leur fait mener une surenchère – à laquelle se joignent, même les plus raisonnables d’entre eux – dans le montant des coupes à apporter dans les dépenses publiques, lors de la prochaine mandature. Comme si cela avait un sens, alors que l’on ne connaît pas, bien entendu, la situation économique à laquelle il faudra apporter une réponse au moment idoine.

En témoignent, aussi, les atteintes – à certains égards, odieuses et génératrices de grandes souffrances – apportées aux Pactes Sociaux en vigueur dans les pays de l’Europe du Sud sous le prétexte fallacieux du retour à l’équilibre des finances publiques. On pense, bien sûr, notamment, aux cas de l’Espagne, et du Portugal. Il convient de stigmatiser l’usage qui en est fait par certains commentateurs en les présentant comme exemplaires.

A contrario, on n’oubliera pas de souligner la fragilisation du modèle américain, souvent cité en exemple de capitalisme efficace, en raison des inégalités qu’il engendre et qui ne sont pas seulement mises en évidence par le seul Thomas Piketty.

Face à cette situation, les mises en garde se multiplient et n’émanent pas seulement d’économistes et prestigieux Prix Nobel, mais, aujourd’hui, de très respectables organismes internationaux. Cependant, ces mises en garde semblent rester ignorées de beaucoup de dirigeants européens qui sont victimes de l’idéologie néo-libérale ambiante et soumis au chantage de « conservateurs » allemands. En particulier, est étonnant le peu de cas que semblent faire des avertissements actuels du FMI, parce qu’ils ne vont pas dans le sens du « mainstream », ceux qui apparaissaient comme des dévots vis-à-vis de cet organisme quand il se faisait le chantre des « purges » en tous genres.

Dans ce contexte, la politique de « petits pas » et de modération française, dont la critique est amplifiée outrageusement par la résonnance que lui donnent les media, apparait paradoxalement d’une sorte de « sagesse », ce que n’ont pas hésité à écrire certains commentateurs étrangers, à commencer par le Prix Nobel Paul Krugman dans le New York Times. Autre élément qui permet d’entretenir l’espoir de sortir du piège, l’arrivée d’un nouveau président de la Commission européenne, pourtant issu des milieux conservateurs, mais dont il faut souligner l’initiative visant à produire une relance par l’investissement de 300 Md euros.

On notera que, si des avancées sont faites, aujourd’hui, au niveau du financement de cette relance, elles se limitent toujours au recours à l’épargne privée et risquent de rester timides et insuffisantes au niveau de leur impact si elles ne sont pas couplées avec une relance financée sur des fonds publics à laquelle le FMI, par ses instances dirigeantes, n’hésite pas à appeler. On oublie aussi trop volontiers de mentionner que l’un des pays de l’Union européenne, et non des moindres puisqu’il s’agit de la Pologne, a donné le bon exemple en finançant sa croissance par des fonds publics couplés avec les fonds structurels émanant de l’Union européenne, sans pour autant mettre en danger ses finances publiques.

En la matière, il ne s’agit pas de « bricoler », mais de réfléchir au modèle de société que l’on veut promouvoir. Au lieu de s’en remettre aux errances et « pseudo mécanismes » du marché, il s’agit de définir un véritable programme de « reconstruction sociale » à l’image de ce qui a été défini en Europe après les énormes dégâts de la Seconde Guerre Mondiale.

[1] Jean-Marie Le Guen, cité par Matthieu Goare, in Le Monde du 4/10/14.

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