Billet invité.
Nul besoin d’emphase pour prédire que la période à venir va être un peu mouvementée en Europe. Inutile également de fouiller en tous sens les grands dossiers qui restent désespérément ouverts et sans solution pour le montrer.
On en saura plus dès demain sur le programme d’achat d’Asset-backed securities (ABS) de la BCE, de plus en plus présenté comme sa dernière carte à jouer avant l’utilisation de l’arme atomique : un programme massif de création monétaire reposant sur l’achat de titres souverains. Il ne s’agit pas encore de cela, il s’en faut, mais cela coince déjà fortement entre la majorité des gouverneurs de la BCE d’un côté, et la Bundesbank dont le président est l’un d’entre eux ainsi que le gouvernement allemand de l’autre. Sans même éclairer tous les ténébreux recoins de cette tentative de l’avant-dernière chance, il est clair que les obstacles rencontrés par le président de la BCE sont nombreux et que ses chances de réussite ne le sont pas.
L’inspiration lui est venue d’Outre-Atlantique, et plus précisément du programme de la Fed qui a acheté en grand des titres obligataires, souverains ou non, expliquant la présence à titre de conseiller pour ce nouveau programme de BlackRock, une société d’investissement américaine géante, mais les marchés américains et européens sont à bien des égards dissemblables et le résultat est loin d’être garanti. La nouvelle régulation bancaire fait obstacle à la relance du marché des ABS – en raison de la qualité des titres qui pourraient être émis et de la nécessité pour les banques émettrices de se couvrir en capital – supposant aussi que la BCE abaisse ses exigences en cette matière pour les accepter. Qu’elle prenne ce risque, ou que les gouvernements le fassent en accordant leur garantie est hors de question pour les dirigeants allemands, qui l’ont fait clairement savoir. Pas plus qu’ils ne sont prêts a accepter que les ABS ayant comme sous-jacent des crédits immobiliers soient achetés par la BCE, afin de faire masse.
Le programme de la BCE devrait être d’ampleur pour espérer être efficace, mais comment parvenir aux centaines de milliards d’euros annoncés dans ces conditions ? Même s’ils vont faire scandale, ce ne sont pas les achats d’ABS grecs et chypriotes mal notés qui vont faire le compte… Par défaut, côté investisseurs privés, comment assouplir la nouvelle réglementation de Solvency II qui n’incite pas ces grands investisseurs que sont les compagnies d’assurance à acquérir les ABS ? Demain sera un autre jour, tout en notant sans plus attendre que la BCE accomplit les premiers pas sur la voie d’un programme de création monétaire grand format.
Le deuxième pétard est déjà sur la place publique, est-il alors nécessaire de s’appesantir ? Ni l’Italie, ni la France ne sont en mesure de respecter le Pacte fiscal qui fait autorité, et il ne va plus être longtemps possible de continuer à tergiverser. La première menace de crever le seuil maximum autorisé et la seconde de ne pas y prévenir, les deux jettent aux orties la perspective de l’équilibre budgétaire. Circonstance aggravante pour un pays dont la dette publique est actuellement de 131,7% du PIB (après gonflement du PIB grâce au chiffre d’affaires du trafic de drogue et de la prostitution), l’Italie est entrée en déflation, ce qui renchérit le coût de sa dette et rend encore plus lourd son désendettement.
Par parenthèse à ce sujet, n’est-il pas toujours aussi étonnant que les montants de la dette publique courent les rues et que celles de la dette privée n’ont pas les honneurs des manchettes ? Que ne soit jamais évoqué le schéma éloquent qui montre la croissance de la première et la décroissance de la seconde par l’effet d’un jeu de vases communicants ? Que lorsque le montant de la dette publique est assené comme une malédiction, le coût du crédit ne soit pas distingué comme la loi impose de le signifier aux particuliers, auxquels on sait si bien faire faussement référence au nom d’un trompeur bon sens ?
Les autorités européennes ne s’embarrassent pas de ces détails subalternes et vont être à la tâche afin de déterminer l’attitude à adopter vis à vis des deux dangereux contrevenants que sont les gouvernements italien et français. Michel Sapin, le ministre français des finances, danse sur un pied et fait valoir que la France a « pris ses responsabilités budgétaires » tout en s’interrogeant sur le rythme auquel il faudrait procéder au désendettement, faute de croissance. Le danger d’éclatement de la zone euro écarté, le temps serait venu selon lui de lever le pied. Les projections – qui se révéleront fausses comme à l’habitude – prévoient désormais que le déficit public annuel français passera sous le seuil des 3% en 2017, et que l’équilibre structurel sera atteint en 2019… Le gouvernement italien crée de son côté un fait accompli en adoptant une prévision budgétaire à trois ans qui repousse ce même équilibre à plus tard, en 2017, en s’appuyant sur des prévisions de croissance fort peu vraisemblables. Mais qui s’en soucie tant que cela ne doit pas être constaté ?
C’est à Berlin que ces pétards finiront par exploser. En première partie du spectacle, la Cour de Justice de l’Union européenne va devoir statuer sur la légalité du programme de rachats de titre souverain de la BCE (OMT), lancé il y a deux ans mais jamais utilisé. Mario Draghi y sera entendu le 14 octobre prochain, après que le Tribunal Constitutionnel de Karlsruhe se soit défaussé, sa juridiction s’arrêtant aux frontières de l’Allemagne. Il est loisible de penser que les juges de Luxembourg prendront tout leur temps pour rendre une justice sereine… mais la BCE sait à quoi s’en tenir quand elle cherche à mesurer ses marges de manœuvre.
Imbus de leurs certitudes ils ont fait le pari de démontrer la validité de leurs présupposés. Voyons ce qu’en dit…