Billet invité.
Dans Une Grande Dissociation choisie, Cédric Chevalier ajoute un élément qui n’était pas présent dans le papier « McKinsey », à savoir la question de la finalité du travail.
Il peut être utile il me semble de nous référer à Aristote lequel s’est fait fort justement de comprendre et d’expliquer le monde en termes de finalités. Or dans Aristote ce monde où le travail a disparu existe bel et bien c’est celui des citoyens libres de la Cité, par opposition au monde des esclaves qui eux travaillent et permettent par leur labeur la vie des hommes libres. Les hommes libres sont les hommes dont les actions sont à elles-mêmes leur propre fin, il en est ainsi des activités visant le bonheur, ou de la prudence, en somme l’éthique et la politique. Ce sont des activités qui n’ont pas de terme : le bonheur est toujours à faire. C’est de l’ordre de l’illimité, de l’indivisible. A la différence d’une oeuvre ou d’une production qui une fois réalisée arrive à son terme.
Si Aristote revenait parmi nous combien ne serait-il pas surpris d’observer que la plupart des tâches qui étaient prises en charge par les esclaves le sont désormais par des machines-robots tandis que les activités- essentiellement intellectuelles qui étaient les prérogatives des hommes libres se sont réduites à la portion congrue. Si bien qu’il devient très difficile sinon impossible de viser et surtout d’accomplir une vie bonne parce qu’une mauvaise chrématistique (l’activité économique qui consiste à faire de l’argent avec de l’argent) a pris le dessus sur l’économie productive et d’échanges de marchandises réelles, et parce qu’à mesure que s’impose le monde des machines-robots dans la vie quotidienne dans le contexte d’une économie mondiale où la technique se développe exclusivement au service de la mauvaise chrématistique, s’amenuisent les possibilités de choix individuels et collectifs. De choix mais aussi de la possibilité de produire des œuvres individuelles. C’est à dire de produire des choses dont nous maîtrisons les tenants et aboutissants et dont nous aurions encore les principes en nous-mêmes. Tant est si bien qu’Aristote serait sans doute bien obligé de faire le constat que notre monde est un univers d’esclaves. Et surtout d’esclaves qui ignorent qu’ils le sont.
Par rapport au monde de l’antiquité nos capacités de production ont été multipliées immensément, mais il ne semble pas que les capacités de réalisation de la vie bonne aient suivi. Ainsi conviendrait-il de considérer le limité (l’activité productive) à l’aune de l’illimité (la praxis). Ce qui revient à intégrer le domaine des activités productives dans le domaine de la praxis. Ainsi ce n’est plus le travail, qui fait la vie bonne mais à l’inverse la vie bonne qui donne sa juste mesure au travail, à charge pour l’organisation du travail de contribuer à la vie bonne de tous et de chacun. Cela suppose bien entendu de dissocier complètement sur le plan conceptuel travail et revenus. Les ressources naturelles que nous offre aujourd’hui notre planète sont certes limitées, mais pour autant nos ressources intellectuelles et morales sont – en principe – illimitées. Ces dernières ont seulement été dégradées ravalées qu’elles ont été au rang de simple capital humain, simples éléments comptables, alors qu’elles relèvent de l’incommensurable, seule valeur s’il en est qui puisse aiguiller toute société humaine digne de ce nom. La valeur humaine n’a pas de prix puisque c’est l’humain qui fournit la mesure des choses. C’est à cette aune de l’incommensurable, dans ce « cadre » seulement, que l’on pourra rétablir ou établir quelques égalités entre les humains là où elles ont régressé ou n’existent pas encore.
C’est la méthode descendante (top-down) : avec un LLM en arrière-plan de chaque personnage, répliquant dans chaque instance, un humain…