Billet invité.
Dans une Lisbonne baignée de soleil, la salle du conseil d’administration de la banque est plongée dans la pénombre, une grande table de conférence en occupe le centre, et des fauteuils solennels entourent celle-ci sous le regard sévères des fondateurs cloués au mur dans leurs cadres dorés. Devant l’argent, on s’incline ! La description du lieu est convenue, les propos qui seront tenus ne le seront pas nécessairement.
En me recevant dans ce lieu cossu, mon interlocuteur que je n’identifierai pas, fait assaut de sincère cordialité, de vieux amis communs n’y étant pas pour rien. Depuis le début, il est dans le chaudron de la crise du groupe Espirito Santo, bonne occasion pour moi de lui demander comment il en voit la suite et pour une fois de bénéficier d’une source directe, de l’avis d’un banquier bien informé.
Hélas, il ne voit pas clairement du tout ce qui va suivre, comme nous allons en juger! La valorisation financière de Novo Banco, la good bank issue de la Banco Espirito Santo (BES) reste à venir, la Banque du Portugal qui la commandite risquant même d’en garder pour elle les résultats. Immanquablement, ceux-ci fuiteront prédit-il, connaissant son monde. Ce qui permet de savoir si la mise initiale de 4,9 milliards d’euros apportée pour capitaliser Novo Banco sera suffisante, ou s’il faudra remettre au pot (de loin le plus probable).
Cette valorisation est à géométrie variable et pourrait le rester un certain temps, dépendant en premier lieu de la solution apportée au sinistre enregistré par la filiale angolaise de la BES, que Novo Banco doit supporter. Une affaire de trois milliards d’euros ! Une affaire d’État aussi, mais également de banquier, car les deux sont étroitement imbriquées, et le sort réservé à la good bank>/i> ne peut être anticipé. Si l’on y rajoute la créance sur Espirito Santo Financial Group récupérée lors du partage des actifs entre bonne et mauvaise banque et le remboursement promis à terme aux clients de la BES ayant acheté des titres du groupe Espirito Santo, le capital sera vite épuisé, mon interlocuteur en reconnaît l’éventualité. Quant à pronostiquer le résultat de l’étape suivante et estimer le montant de la vente de cette banque, c’est impensable ! Novo Banco sera-t-elle vendue en totalité ou par appartement ? Avec ou sans ses créances non-recouvrées ? Cela couvrira-t-il la mise de fonds ou non ? Inutile de se lancer dans des conjectures totalement hasardeuses…
Le sauvetage dont se prévalent les autorités est donc loin d’être bouclé, la situation d’être débouclée, et mon interlocuteur, épousant naturellement le point de vue des banques portugaises, souhaiterait voir les choses rondement menées, sans toutefois se hasarder à avancer un calendrier. La loi de résolution des banques portugaises prévoit un délai de deux ans, une année supplémentaire pouvant être accordée, voilà ses seules certitudes. Mais pourquoi donc faudrait-il se précipiter, lui ai-je demandé, au risque de réaliser une mauvaise opération ? La réponse fuse : parce que Novo Banco est une banque contrôlée par l’État mais financée par les banques du pays (voir plus loin) ! Insatisfaisant par nature, le provisoire résultant de la création de cette banque de transition ne doit pas s’installer, car cela perturbe le bon fonctionnement du marché.
La banque est-elle ou non de facto nationalisée ? Pour l’essentiel, elle est financée par un fonds de résolution au statut de personne morale de droit public dotée de l’autonomie financière et administrative sous l’autorité de la Banque du Portugal. C’est à ce fonds de résolution que l’État a prêté des sommes auparavant empruntées dans le cadre de son plan de sauvetage ? Non ! fuse à nouveau la réponse, car le risque final de la création de Novo Banco est assumé par les banques, en raison de la loi portugaise de résolution des crises bancaires en vigueur : si d’aventure sa vente ne couvrait pas en totalité le remboursement du prêt de l’État, elles devraient apporter au fonds de résolution la différence afin qu’il puisse faire face à ses engagements, futur développement que craint d’ailleurs mon interlocuteur.
On nage en pleine ambiguïté. Car en attendant ce dénouement, lui-fais-je remarquer, Novo Banco est sous contrôle d’administrateurs nommés par le gouvernement et la Banque du Portugal, et son capital résulte bien d’un prêt sur fonds publics ! Et la suite n’est pas encore écrite, reconnaît-il. Différents montages financiers sont envisageables pour la vente de Novo Banco, à la transparence non assurée. Un acheteur pourrait en effet négocier le montant de son acquisition sur la base d’une valorisation de la banque tenant compte de créances pendantes pour en faire son affaire…
Remerciant mon interlocuteur pour ce dernier éclairage donné sur le ton de la confidence, je comprends que l’on entre là dans le domaine privé du savoir-faire des banquiers, me conduisant à prendre congé, ne voulant pas déranger. Quelle conclusion puis-je tirer de cette expérience que je vais renouveler chaque fois que possible ? Derrière leurs assurances et leurs portes capitonnées, les banquiers ne sont pas beaucoup mieux lotis et ils doivent sans cesse improviser et veiller au grain dans un contexte très incertain.
Patatras ! À peine ces lignes étaient-elles écrites que la foudre tombait. L’équipe mise en place par la Banque du Portugal pour diriger Novo Banco démissionnait en raison d’un désaccord : ses membres avaient été recrutés afin de bâtir cette nouvelle banque dans une perspective de moyen terme et il était exigé d’eux de préparer sa vente au plus vite. Comme si les explications de mon interlocuteur sur la nécessité de faire disparaître au plus vite ce gêneur de Novo Banco avaient convaincu les autorités portugaises… Ce qui, en dépit de la loi portugaise et des assurances données, laisse planer un doute sur le sentiment d’abnégation dont font preuve les mêmes banques quand elles proclament qu’elles combleront le trou si la vente de Novo Banco ne rapporte pas ce qu’a coûté sa création. Car vendre dans la précipitation augure rarement d’une bonne vente. A moins qu’elles ne fassent la part des choses et se disent qu’une vente à prix sacrifié leur coûtera moins cher que la montée en puissance d’une banque sur un marché très encombré, qui se fera nécessairement au détriment de leurs propres affaires. Les banquiers savent calculer !
L’idée ne serait-elle pas, côté autorités, de se débarrasser au plus tôt de ce dangereux brûlot, afin d’éviter de nouvelles révélations dévastatrices sur leur gestion d’avant-la crise, car elles ont failli en ne voyant rien venir, ou pire en ayant laissé faire ? Il faut dire que le capitalisme de connivence a trouvé au Portugal une splendide illustration ! L’ensemble du groupe, perclus de dettes ne parvenant plus à faire rouler, ne parvenant plus à emprunter sur le marché, des expédients ont dû être utilisés pour le financer. La BES depuis transformée en bad bank le finançait par divers artifices. Dernier artifice en date connu : elle prêtait de l’argent à une obscure société vénézuélienne qui achetait des titres de la dette du groupe… Mais comment toutes ces manipulations ont-elles pu échapper à la Banque du Portugal ? À se rappeler comment elle a mis en garde la BES en lui demandant de détendre les liens d’affaire entre la banque et son groupe, on en vient à conclure que la Banque du Portugal savait… mais a préféré ne rien faire ! Ce qui s’appelle de la connivence, même quand elle se manifeste par défaut.
Un précédent est dans toutes les mémoires portugaises : celui d’une banque renflouée par l’État (2,4 milliards d’euros) pour avoir prêté sans compter aux petits copains en omettant de se faire rembourser. Il s’agissait de la Banco Português de Negócios (BPN), et le scandale a été très gros en raison des relations d’affaires entretenues avec la banque par des hommes politiques au pouvoir, dont le Président de la République. Le même schéma a été reproduit par la BES, mais en Angola via sa filiale dénommée BESA où les actionnaires minoritaires étaient des généraux de la Maison militaire du président José dos Santos. Récupérée par Novo Banco, la dette de la BESA envers la BES est supérieure au trou de la BPN, mais la méthode pour y parvenir a été la même… Quitte à avoir un peu de mémoire, on se souviendra aussi du nom de l’acquéreur au prix à la casse de la BPN (40 millions d’euros), une fois nationalisée par l’État qui l’a renflouée pour éponger ses dettes : la banque angolaise BIC, en 2011, dont l’un des principaux actionnaires est Isabel dos Santos, la fille du Président, aux côtés du magnat portugais Americo Amorim ! Et, quitte à retrouver pleinement la mémoire, on se rappellera du nom du gouverneur de l’époque de la Banque du Portugal, sur qui les plus lourds soupçons d’incompétence et de connivence ont à l’époque pesé : Vitor Constâncio, depuis nommé vice-président de la BCE…
Quelle leçon de choses ! Elle rapproche les salons lambrissés des banquiers, des gisements de pétrole et des mines de diamant d’Angola, avec en plein milieu, un pouvoir totalement corrompu, hélas héritier d’un mouvement de libération nationale – le MPLA – dont les combattants ont disparu au profit des affairistes. Et les dirigeants politiques et hommes d’affaires portugais ? Ils tentent de se faire une place au soleil en participant à ce jeu de Monopoly au cours duquel les fortunes angolaises font leur marché en achetant les entreprises portugaises et leur shopping dans les boutiques de luxe de l’avenue de la Libertade, dont la vocation a entre temps changé, à moins que ce ne soient des entreprises brésiliennes. Deux anciennes colonies, comme les temps changent, les flux de l’argent sont inversés ! Mais ce n’est pas l’effet de la justice, car pour les moins bien nantis, c’est la loi de la Troïka et ses sacrifices qui prévalent.
(suite) (« À tout seigneur tout honneur ») PJ : « il n’est pas exclu du tout que je me retrouve dans la…