L’affaire des sanctions américaines contre la BNP Paribas laissera des traces : décapitation de la direction de la filiale suisse certainement et peut-être de la première banque française elle-même, déplacement de son centre névralgique de sécurité financière aux États-Unis, ce qui la transfère de fait de la sphère d’influence française à la sphère d’influence américaine.
Ce qui s’est véritablement passé du point de vue de la BNP elle-même, nous l’ignorons toujours, puisqu’à part une lettre aux termes extrêmement vagues envoyée par la direction aux déposants de la banque, aucune déclaration officielle n’a été faite : la communication s’est limitée à quelques fuites calculées dans la presse.
Ce qui s’est passé du côté américain nous est mieux connu, la presse financière d’outre-Atlantique étant plus curieuse et ayant un meilleur accès à l’information.
Lorsque les États-Unis décrètent en 2002 un premier embargo sur le Soudan, un climat de laisser-faire en termes de régulation règne dans la finance depuis déjà vingt ans. Un embargo sur le Soudan, se dit-on, soit ! tout en se souvenant que dans un cas antérieur, celui de l’Iran, les États-Unis avaient délibérément permis de 1979 à 2008 un contournement de leur propre embargo pour que les transactions pétrolières iraniennes puissent se poursuivre en dollars afin de préserver l’hégémonie de la devise américaine dans ce secteur.
BNP Paribas ignora les sanctions américaines, créa neuf banques paravent dans les pays arabes ; dans les termes de Brett Wolf de Thomson Reuters : « la BNP était de fait l’économie soudanaise ».
En 2002 le Soudan est sous embargo pour les liens de son gouvernement avec des organisations terroristes. Les choses changent en juin 2007 : l’accent est mis désormais sur le génocide intérieur qui a lieu au Darfour. La BNP obtempère un mois plus tard. Deux mois à peine se sont écoulés depuis l’accession au pouvoir de Nicolas Sarkozy, qui a promis aux États-Unis de meilleures relations avec la France.
Les choses auraient pu en rester là, s’il n’y avait eu la manière dont une personnalité politique accède au pouvoir aux États-Unis et le rôle que peut jouer dans ce cas-là l’exception new yorkaise.
L’état de New York contient le plus important centre financier au monde. Il se distingue aussi des autres états américains du fait du Martin Act de 1921 sur la fraude financière, qui innovait en donnant à la notion de « fraude financière » une définition « de sens commun » plutôt que « légaliste ». Certaines de ses clauses lui confèrent des pouvoirs dépassant en vigueur ceux de l’État fédéral lui-même : droit d’assignation (subpoena) qui lui garantit l’accès à toute information recherchée, ainsi que droit de faire témoigner. À cela s’ajoute que les régulateurs américains sont sous l’autorité du Congrès, toujours sensible à l’opinion de la US Chamber of Commerce, alors que l’Attorney General de l’État, son « ministre de la justice », n’a de comptes à rendre qu’au seul gouverneur.
Ces pouvoirs exceptionnels permettent aux autorités judiciaires de New York de lancer de manière indépendante, enquêtes et poursuites, mais aussi d’embrayer sur des initiatives prises par d’autres régulateurs et d’en prendre le contrôle, au risque d’indisposer ceux-ci.
Tout ceci fait qu’un politicien « chevalier blanc », en quête de charges plus hautes dans la nation américaine trouvera au sein du département de la Justice de l’État de New York un terrain de manœuvres à sa mesure.
Eliot Spitzer, Attorney General de l’état de New York (1999-2006) avant de devenir son gouverneur (2007-2008), l’avait fort bien compris. Dans son ascension, il indisposa un grand nombre de personnes à la US Chamber de Commerce et à Wall Street, qui sablèrent le champagne au moment de sa chute, ses relations avec un réseau de call-girls ayant fait de lui une proie facile pour ses nombreux ennemis.
Le bourreau de la BNP Paribas s’appelle Benjamin Lawsky, il est à la tête du DFS (Department of Financial Services), une nouvelle autorité de l’état de New York créée en août 2011. Son tableau de chasse était redoutable avant même qu’il ne rejoigne cette institution : mise au jour d’un projet de contrebande de roquettes, arrestation de gangsters asiatiques, mise en cause en 2008 des bonus versés par des banques ayant été sauvées par l’État, mise en cause même du rôle joué par la Federal Reserve et par le ministère des Finances américain dans le rachat de la banque d’investissement Merrill Lynch par Bank of America.
À son entrée en fonction, Lawsky ne cacha pas ses ambitions : « Les personnes ne devraient pas être à l’abri d’authentiques pénalités et sanctions graves quand elle enfreignent les règles », déclara-t-il. Il ajouterait en mars 2014 : « Les sociétés sont des fictions légales. Il faut décourager les mauvais comportements individuels en leur sein ».
À l’occasion du 10ème anniversaire du 11 septembre 2001, Lawsky rappela qu’il avait vu du toit de son immeuble le second avion s’écraser sur l’une des tours du World Center : « Les avions ne me font plus peur : ils m’inspirent. Ils me rappellent que j’essaie d’obtenir la justice pour tous ».
La voie de Benjamin Lawsky paraît toute tracée. À moins bien sûr qu’une combinaison de son propre hybris et de l’influence des nouveaux ennemis qu’il se fait chaque jour (Standard Chartered en août 2012 ; Ocwen Financial en février 2014 ; PricewaterhouseCoopers en août 2014, etc.) ne fassent dérailler une carrière déjà brillante et qui s’annonce prometteuse.
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