Billet invité
Le feuilleton de la dette argentine se poursuit, opposant le gouvernement argentin à un juge de New York, qui a donné raison à trois fonds vautours réclamant le payement intégral de leurs titres en dépit d’une restructuration avec décote acceptée par une forte majorité des créanciers. Il avait été fait attribution de juridiction aux tribunaux américains et l’émission était en dollars, occasionnant cette intervention de la justice américaine.
Les fonds d’un versement destiné aux créanciers ayant accepté la restructuration ont été bloqués dans une banque new-yorkaise par le juge, au prétexte d’imposer un accord négocié entre le gouvernement argentin et les fonds vautours qui réclament un remboursement de leurs titres au nominal -sans décote – après avoir acheté ceux-ci à des créanciers à un prix légèrement supérieur à l’accord intervenu. Déjà considéré en défaut partiel, l’Argentine pourrait faire défaut sur l’intégralité de sa dette, car une clause du contrat d’émission garantit l’égalité de traitement entre les créanciers, qui l’obligerait à aligner ses remboursements sur celui au nominal des fonds vautours, aboutissant à une somme dépassant ses réserves disponibles. Cette clause courant jusqu’à la fin de l’année, le gouvernement argentin joue la montre et a proposé hier aux créanciers en attente de remboursement d’être réglés par une banque argentine au lieu d’une banque américaine, afin de montrer sa bonne volonté. Selon lui, il ne s’agit pas d’un changement d’attribution de juridiction mais de lieu de payement, ne pouvant pas être considéré comme une modification significative du contrat initial et donner lieu à une action en justice. Le juge américain a qualifié « d’illégale » cette proposition qui le court-circuite. Les commentaires vont par contre dans le sens du danger accru que les créanciers en question activent une clause dite « d’accélération », qui permet d’exiger le payement intégral et sans échelonnement de l’ensemble des sommes encore dues.
L’histoire pourrait sembler appartenir au passé, en raison de l’absence d’une clause d’action collective (CAC) lors de cette émission ancienne de la dette argentine. Le plus souvent présente d’origine dans le contrat à l’émission, une telle clause rend désormais obligatoire tout décote acceptée par une majorité qualifiés des créanciers – généralement 70% – imposant celle-ci aux autres. Mais, comme toute clause de tout contrat, elle pourrait toujours être attaquée devant un tribunal (en respectant l’attribution de juridiction décidée initialement), qui pourrait alors s’appuyer sur la jurisprudence du jugement américain en cours d’exécution. C’est en raison des complications de cette nature qui pourraient affecter une nouvelle restructuration de dette que les réactions n’ont pendant un temps pas manqué, alertant de ce danger, provenant à la fois du FMI et des gouvernements américain et français…
Tel est en effet l’enjeu qui se dessine et qui dépasse le cas argentin. Il permet de comprendre l’écho que suscite le conflit actuel, dont l’importance pourrait paraître relative dans le contexte actuel : le cas argentin est préoccupant en ce sens que de nouvelles restructurations de dette sont considérées comme inévitables, même si cela n’est pas crié sur les toits. Toute situation pouvant créer un blocage serait donc préjudiciable, en dépit du tabou affiché, selon lequel une dette doit être remboursée, sauf à affronter pour longtemps le courroux des marchés !. Une histoire destinée aux enfants si l’on se souvient comment, lorsqu’il a fallu restructurer une première fois la dette de la Grèce – en attendant la suite – la danse a été menée par l’Institute of International Finance, ce lobby des mégabanques, qui n’a voulu laisser le soin d’en régler les mouvements à personne d’autre, y compris et surtout les États : les marchés savent faire la part du feu et pensent toujours pouvoir se récupérer. Faut-il également se référer aux travaux et au récent ouvrage de David Graeber (*) pour rappeler que les défauts ont été si l’on peut dire monnaie courante à étudier l’historique des finances publiques, faisant quasiment partie de la routine et justifiant qu’une prime de risque soit payée aux créanciers par l’emprunteur ? Ce qui permet, au passage, de relever le paradoxe qui veut qu’en Europe le taux des obligations d’État baisse, en dépit des fortes incertitudes qui pèsent sur la région, qui s’explique par le besoin de trouver des valeurs refuges, ou considérées comme telles relativement. Et qui induit la réponse à la question suivante.
Pour quelle raison donc ce tabou est-il maintenant brandi avec tant de détermination, en dépit de ses conséquences ? Pas besoin de chercher très loin : le système financier a besoin d’actifs présumés sans risque afin d’étayer son audacieuse architecture et la dette publique doit en faire fonction. Plus l’édifice est branlant, plus les transactions sont risquées et le risque en réalité impossible à calculer, plus le besoin de garanties – de collatéral, disent les financiers – est important. Les nouvelles mesures de régulation accroissent encore ce besoin, aboutissant à une pénurie relative de collatéral. Le moment serait donc particulièrement mal choisi pour accepter que des actifs sans risque en soient désormais porteurs ! D’autant que les financiers en sont réduits à multiplier les gymnastiques pour accroitre l’offre de collatéral, soit via un nouveau marché où il est proposé en location, soit en pratiquant la « réhypothèque », ce périlleux exercice permettant qu’un même collatéral puisse garantir plusieurs transactions à la fois, au prétexte qu’elles ne sont pas de même nature et que le risque d’un défaut simultané est maitrisé (on peut toujours l’espérer).
On en revient donc toujours à la même constatation : au fur et à mesure qu’il se développe à très grande vitesse, le système financier a un besoin grandissant du point d’appui que représente la dette publique, dont il ne peut s’affranchir. En dernière instance, contrairement à tout ce qui est proclamé, les contribuables sont donc les garants d’un système de nature parasitaire qui veut que la dette soit soutenable envers et contre tout. Ce n’est pas tenable.
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(*) Dette, 5.000 ans d’histoire, Ed. Les liens qui libèrent.
@Hervey Addiction ! Vous y allez peut-être un peu fort, non ? 😉 En fait, dans un premier temps, je…