Introduction des séances plénières
I
Voyant chaque jour disparaitre des abattoirs, des usines, des exploitations agricoles, nous soupçonnons qu’une destruction de l’emploi est en cours dans les fermes et dans l’agro-industrie amont et aval. Les chiffres nous donnent-ils raison ? Comment femmes et hommes, paysans et salariés, vivent cette transformation ? Cette situation est-elle particulière au milieu rural et à nos métiers, ou sommes-nous face à un mouvement général de disparition du travail dans notre société ? Ne sommes-nous pas tenus alors d’envisager une transformation profonde de notre rapport au travail ? De nous demander à quoi nous nous employons ? À quelles fins travaillons-nous ? De quels moyens, de quels atouts disposons-nous pour faire face à ces interrogations, pour faire face à ce changement ?
Paul JORION, anthropologue à la Vrije Universiteit Brussel.
Maurice DESRIERS, économiste au Ministère de l’Agriculture.
Olivier LE BRAS, ouvrier dans l’agro-alimentaire, syndicaliste.
Pierre-André DEPLAUDE, paysan, viticulteur.
II
Nous mettons en œuvre des systèmes de production respectueux de l’environnement, qui mobilisent plus de main d’œuvre, créent de l’emploi et du revenu. Pourtant les politiques publiques les désavantagent. Au nom de la compétitivité et de la modernité, le travail est considéré comme une charge, comme un archaïsme. Sur quelles bases construire d’autres politiques publiques ? Que faire du totem « compétitivité » ? Quelles seront les conséquences les plus probables de la mise en œuvre de la déclinaison française de la PAC ? Qu’est-on en droit d’attendre de la Loi d’Avenir et de la régionalisation d’une partie non négligeable de la politique publique en matière d’emplois ?
Jean-Christophe KROLL, professeur d’économie à AgroSup Dijon
Bernard FRIOT, sociologue et économiste à l’université de Paris X
Pasqual MORENO TORREGROSA, professeur de politique agraire et de développement agricole, Université Polytechnique de Valence (Espagne)
René LOUAIL, paysan, conseiller régional de Bretagne.
Romain BALANDIER, paysan, éleveur.
Les deuxièmes Rencontres Nationales Des Agricultures :
Une mobilisation nationale pour le travail. Au-delà des mots.
Il y a deux ans à Laval, l’ensemble des organisations qui soutiennent l’autonomie des paysans et la souveraineté alimentaire des peuples et la vitalité des territoires ruraux s’étaient, pendant trois journées, interrogées sur les conditions à réunir pour atteindre ces objectifs. Nous étions plus de 300, venus de toute la France, à porter cette question d’une économie rurale moderne pouvant se substituer à la logique agro-industrielle dont nous vivions l’échec.
Décidés à poursuivre ce travail collectif, nous nous étions donné rendez-vous à l’été 2014. Nous y voilà. Nous vous invitons à vous joindre à nous du 22 au 24 août 2014 au lycée agricole de Dardilly (69), dans la région lyonnaise pour une deuxième édition de ces rencontres.
À Laval, nous avions fait le constat que le système de production industriel tel qu’à l’œuvre depuis des décennies détruisait, par sa nature même, l’emploi paysan et que, de manière conséquente, il était engagé dans la destruction de l’emploi industriel en amont et en aval de la filière de production. Les événements qui se sont déroulés pendant ces deux années, notamment la crise du modèle agroalimentaire breton, le démontrent. Le ministre de l’agriculture, partageant ce constat, nous avait clairement dit que cela ne pouvait pas durer. Nous savons en effet depuis longtemps qu’il est possible de s’organiser pour produire autrement, produire mieux, en partageant mieux les terres, l’emploi et les revenus. Mais deux ans plus tard, les statistiques sont cruelles : la destruction de l’emploi est toujours la bouée de sauvetage d’un système qui, extrêmement coûteux en fonds publics, s’exonère, en plus, de tous comptes à rendre à l’ensemble de la société.
L’emploi en milieu rural sera au centre des travaux de ces rencontres. Est-il possible qu’alors que structurellement le chômage augmente, l’agro-industrie continue à promouvoir la concentration, l’agrandissement et la disparition des emplois, tout en revendiquant d’énormes soutiens publics ? Nous affirmons que l’érosion de l’emploi agricole n’est pas une fatalité, mais au contraire que l’agriculture peut générer de nombreux emplois dans les territoires ruraux. Nous nous appuierons sur l’ensemble des résultats obtenus en la matière par les paysans et les ruraux de nos organisations pour identifier les formes et les modalités du développement de ces emplois. Résultats qu’un certain nombre d’ateliers permettront d’établir, partager, critiquer, compléter.
Le travail et sa rémunération sont à la fois des moyens de subsistance et des instruments de répartition de la richesse produite par une société. Leur disparition entraînera inéluctablement des problèmes sociaux cruels. Les inégalités croissent comme jamais, et de plus en plus d’entre nous assurent difficilement leur logement, leur nourriture, leurs soins, l’éducation de leurs enfants.
Nous pensons, pour l’avoir montré, qu’il est possible de créer, à moindre dépense publique, de l’activité et de la rémunérer correctement. Nous avons découvert que les politiques publiques pouvaient entraver ce mouvement. Nous appelons à une nouvelle évaluation de cette politique. Nous nous en expliquerons pendant ces journées. Paysans et ruraux sont considérés par la doxa économique comme « archaïques » depuis bientôt deux siècles. Nous vivons de plus en plus mal que la modernisation d’une économie se caractérise par la disparition des paysans et plus largement des ruraux. Nous pressentons dans cette voie l’aggravation du malheur des hommes et des femmes. Vouloir appliquer cette « modernisation » au milliard de paysannes et paysans du monde est l’assurance, dans les années à venir, de grands désordres auxquels nous ne pourrons pas faire face. En séance plénière nous aborderons cette question. Nous avons la ferme intention de réhabiliter l’économie rurale et agricole, de cesser d’avoir la ruralité honteuse. Être paysan n’est pas une punition. Ne doit plus l’être, nulle part dans le monde.
De la même façon, nous ne pouvons plus accepter que, dans les présentations comptables et les analyses économiques qui en découlent, le travail soit considéré comme une charge, un handicap. A travers les ateliers, nous rappellerons les moyens de le valoriser. Nous savons que, quand nous choisissons un mode de production, par les capitaux que nous mobilisons, les terres que nous occupons, le type de nourriture que nous produisons, les aides publiques que nous revendiquons, nous participons à l’établissement de rapports sociaux attachés à ce mode de production et que, si nous nous fixons comme horizon la concentration des moyens de production et la disparition des fermes, nous œuvrons à l’accroissement des inégalités et de la disparition du travail rémunéré. Il est illusoire de penser l’activité agricole comme détachée des contraintes sociales, comme une technique et une science qu’une augmentation des connaissances et une meilleure communication rendraient plus performante et plus acceptable par les consommateurs. La multifonctionnalité de l’agriculture, sa capacité à rendre des services au-delà de ces fonctions alimentaires seront les sujets d’ateliers. Ils traiteront de la souveraineté alimentaire, de la fonction sociale de l’agriculture, notamment dans la revitalisation des activités rurales et dans le rôle qu’elle peut jouer dans la préservation des écosystèmes et de l’établissement d’une véritable démocratie alimentaire permettant à tous l’accès à une alimentation choisie et de qualité. Nous nous demanderons si, et comment, le nouveau « concept » d’agro-écologie participe de ce mouvement.
Simultanément, nous considérons que c’est de notre devoir d’examiner la nature des emplois, du travail et des revenus dont nous souhaitons la mise en œuvre. C’est avec des intervenants extérieurs à nos réseaux habituels que nous aborderons cette question. Le plus souvent travailleurs indépendants, nous devons nous pencher sur le statut des salariés dans les filières agroalimentaires, mais aussi sur celui des femmes et des hommes auxquels nous proposons la reprise de nos activités ou la création des leurs. Quels statuts (salariat, indépendance, coopérateurs, autres…) ? Quelle rémunération (salaire, revenu universel garanti, bénéfices partagés, autres….) ? Quelle couverture sociale ? Quelle propriété pour l’outil de travail ? Comment mutualiser les savoirs exigés par la multifonctionnalité revendiquée ? Quels outils de formation ? Quelles aides publiques (à tout le moins qu’elles ne viennent pas contrecarrer ces engagements) ?
Aujourd’hui, notre société est préoccupée par la disparition de l’énergie à bas coût. Conscients sans doute que la démocratie risque de disparaître avec le dernier litre de pétrole, nous engageons des moyens importants dans une recherche sur la « transition énergétique ». Pourtant la disparition à grande échelle de l’emploi, liée hier à l’utilisation de machines et accentuée aujourd’hui par l’abondance de logiciels, nous place devant la nécessité de résoudre un problème du même registre : le choix de certains de faire disparaitre l’emploi. Parallèlement à la « transition énergétique », la « grande transformation du travail » mérite la même attention.*
C’est avec notre expérience et notre capacité à penser et agir localement que nous avons l’ambition d’agir et penser globalement. Au cours de ces trois journées, nous entendons partager nos interrogations et nos expériences. Notre conception de la politique est adossée à notre capacité à prendre en main nos existences.
INPACT. mai 2014
*Paul Jorion, in Le Monde, 21 avril 2014
Une réponse à “Rencontre nationale des Agricultures, à Dardilly (Lyon), les 22 et 23 août 2014”
Voilà une très bonne synthèse illustrant parfaitement les problématiques en jeu.
Dire que le ministère n encourage que le modèle agroindustriel désormais destructeur d emplois n est pas totalement juste. La réforme de la Pac désavoue fortement les modèles productivistes dans lesquels mon exploitation est engagé depuis 35 ans. Le problème, c est le modèle d agroecologie à développer en alternative « totale « . LEQUEL? celui du cahier des charges imposé depuis la rue de varenne sans connaissance de ce qu il est possible de faire et de ne pas faire localement. Et puis, en matière d agroecologie et de rémunération des fonctions non marchandes de l agriculture, la PAC ne fait que réorienter les crédits qui soutenaient, même découplees la production historique de biens marchands. Il n y aura pas de hausse totale du budget de la PAC…car il faut rappéler qu en EUROPE, il y a l austérité… Même en imaginant une évolution de l agriculture vers des fonctions non marchandes davantage rémunérees, le fait est que l argent qui sera mit à disposition provient dra d une baisse de rémunération d un agriculteur productiviste dépendant des aides, ne garantira en rien l amélioration globale de la rémunération des agriculteurs et de l emploi rural. Si ni le marché ni le budget des Etats n integrent ces besoins, rien n évoluera. on peut demander des évolutions aux agriculteurs… Du moment qu il s y retrouve. Et si l état ne peut pas payer ces évolutions societale…alors il faudra trouver le moyen de l intégrer en contrainte de marché et surtout…de prix!