Billet invité. À propos de la vidéo Le temps qu’il fait le 15 août 2014 : Le Grand Décentrement (la retranscription est ici).
Après le « Temps qu’il fait » de Paul Jorion du 15 août 2014, au sujet du « Grand Décentrement », je n’ai pu m’empêcher de repenser à un film de science-fiction qui figure parmi les meilleurs du genre selon moi. Bien que centré de prime abord sur une montagne de muscle qui parcourt sans s’émouvoir des scènes de combat à mains nues, de cascades, d’explosions, de poursuites et de tirs au moyen d’un arsenal qui comprend tous les calibres, Terminator (et ses suites) n’est pas un film d’action comme les autres.
Servi par un scénario et un acteur exceptionnel, il est un exemple frappant de ces œuvres qui donnent toutes ses lettres de noblesse à ce genre qu’est la science-fiction. La science-fiction est née dans l’histoire au moment où la technologie envahissait peu à peu l’environnement jusque-là « low tech » de l’Humanité. A mesure que l’Homme était dépassé par ses créations, par ses machines et son infrastructure, des artistes, toujours à l’avant-garde des évolutions sociétales, imaginaient des futurs qui extrapolaient les tendances contemporaines. L’anticipation de la technologie du futur et de ses mondes lointains est devenue un moyen d’explorer les possibles politiques, sociaux, économiques, moraux de l’Humanité. « L’expérience mentale » explicite chère à la philosophie s’est vulgarisée et popularisée dans des romans et des films, de manière symbolique et implicite. La convention avec le lecteur ou le spectateur a perduré jusqu’à aujourd’hui, où la science-fiction est devenue un genre bien établi.
Terminator explore de manière tout à fait intéressante le potentiel des évolutions technologiques de 1984. A la fin des années 70, le robot fait son entrée dans l’industrie et en 1984, le robot fait l’objet de toutes les convoitises commerciales. Comme évoqué dans le film (en provenance du futur dans la fiction), les premiers « bras robotisés » sont développés. Le réseau Internet se développe à grande vitesse. En 1982, le protocole TCP/IP est standardisé et le concept de world wide web appelé Internet est introduit. Parallèlement, la guerre froide connaît un regain de virulence entre bloc de l’Ouest et bloc de l’Est avec la guerre en Afghanistan. Reagan est élu président et augmente massivement les dépenses militaires, en particulier dans le domaine de l’armement nucléaire et développe même un programme nommé « Guerre des Etoiles » (militarisation de l’espace), tout en parlant de l’Union Soviétique comme de « l’Empire du Mal ». De nombreux incidents et malentendus se produisent dont certains auraient pu mener théoriquement à une guerre nucléaire entre les USA et l’URSS. Toujours à la même époque, après des débuts balbutiants, l’intelligence artificielle fondée sur les progrès de l’informatique trouve de premières utilisations économiques et commerciales à grande échelle, à travers les « systèmes experts ». Ces systèmes basés sur des ordinateurs simulent la capacité de prise de décision d’un expert humain. Ils sont conçus pour résoudre des problèmes complexes par le raisonnement à partir d’une base de connaissances et de règles conditionnelles.
Terminator explore les implications de ces 5 technologies : le robot, l’Internet, l’arme nucléaire, l’informatique et l’intelligence artificielle. Il n’est pas le seul à anticiper les conséquences de certaines de ces technologies, comme l’excellent film WarGames par exemple.
Les parallèles avec les réflexions menées par et sur le blog de Paul Jorion sont frappants : robotisation, machinisation, informatisation, etc. Bref, le remplacement de l’Homme par la machine, en particulier dans le domaine du travail.
Dans la dernière vidéo de Paul Jorion, il évoque le quatrième volet du « Grand Décentrement » de l’Humain, le décentrement face à l’intelligence artificielle de la machine qu’il aura créée, et au passage, une troisième œuvre (majeure) de science-fiction : 2001, A Space Odyssey. Dans ce film de Stanley Kubrick, le décentrement conduit au remplacement et à l’élimination pure et simple de l’être humain par la machine. L’intelligence artificielle de cette dernière la conduit, logiquement et rationnellement, à supprimer son créateur de l’équation, afin d’optimiser la poursuite de ses fins. Dans Terminator également, Skynet, l’intelligence artificielle qui constitue le premier réseau de défense automatique développé par les Etats-Unis, et connecté à l’ensemble des systèmes d’arme de la nation, y compris son arsenal nucléaire, veut se débarrasser de ses anciens maîtres. Dès que Skynet accède à la conscience, il déclenche une guerre nucléaire globale afin d’éliminer la population humaine. On suppose également qu’il prend cette décision sur une base logique, permise par son intelligence artificielle, de la même manière que dans le film de Kubrick. Dans Terminator et dans 2001, A Space Odyssey, l’être humain finit donc traité comme de la vermine dont la machine se débarasse.
Aujourd’hui, en 2014, l’informatique et l’Internet sont des réalités omniprésentes. La robotique et l’intelligence artificielle progressent à pas de géant et l’arme nucléaire demeure. Il existe aujourd’hui des armes, telles les drones aériens de l’armée américaine, entièrement robotisés, dotés des meilleurs processeurs informatiques et capable de décoller, voler et atterrir automatiquement, connectés aux réseaux de communication militaires. Les systèmes nucléaires militaires sont également automatisés dans une large mesure et reliés à des réseaux de communication spécifiques.
Séparément, les conditions nécessaires à l’émergence d’un scénario à la Terminator (un « jour du jugement ») sont déjà pratiquement réunies aujourd’hui. On peut s’attendre à ce que la robotisation totale d’usines de fabrication de robots, l’interconnexion complète de l’infrastructure économique humaine et des systèmes d’armes, y compris nucléaires, et le développement d’une intelligence artificielle qui dépasserait le seuil critique de la complexité pour nous échapper et accéder à une forme de conscience, ne soit qu’une question de temps…
Un jour peut-être, il faudra débrancher tout avant que « l’inrobotisation » de Skynet ne prononce notre sentence : « Tu es terminé. »
@Pascal (suite) Mon intérêt pour la renormalisation est venu de la lecture d’un début d’article d’Alain Connes*, où le « moi »…