Observer l’état ou la dérive du monde ?, par Cédric Chevalier

Billet invité.

J’ai parlé avec des amis de « peak everything », mais je ne pense pas que ce soit nécessairement la bonne expression. En effet, « to peak » est défini comme « atteindre son niveau le plus élevé ». Or rien n’indique a priori que la consommation d’énergie, l’érosion des sols, la concentration en Gaz à Effet de Serre (GES) dans l’atmosphère et d’autres variables de ce type aient atteint leur maximum. Le phénomène tendanciel général que j’observe serait mieux caractérisé par un « grow everything ». C’est-à-dire le constat qu’au sein du système « Terre/biosphère/Humanité », de nombreuses variables critiques évoluent de manière significative (en grandeur absolue, en taux de croissance, et en taux de variation du taux de croissance) dans la direction néfaste (augmentation ou baisse de la variable dans la « mauvaise direction »). Pourquoi néfaste ? Parce que ces évolutions poursuivies conduisent inexorablement à des grandeurs de certaines variables insoutenables pour un régime viable « Terre/biosphère/Humanité ». Un exemple parmi d’autres : le niveau actuel de GES dans l’atmosphère, son taux de croissance, et le taux de variation de ce taux de croissance actuels, s’ils voient leurs tendances poursuivies, conduisent inexorablement à un niveau de GES destructeur a priori pour l’Humanité. Idem pour le taux de mercure dans l’océan, le stade d’érosion des terres arables, le taux de pollution des eaux potables, le stock d’énergie fossile, la quantité de déchets accumulés, le niveau de la biodiversité, l’état des écosystèmes, etc etc.


C’est-à-dire, pour chacune de ces variables du système global dans lequel nous vivons, pour chaque variable y = f(t), si l’on poursuit son évolution tendancielle (dérivées f'(t) et f »(t) ), y devient « critique » pour la « survie de l’Humanité/de la Civilisation » lorsque t tend vers l’infini et parfois, pour certaines variables, lorsque t atteint une valeur finie relativement faible (5, 10, 50, 150 ans, …).

Donc, mon raisonnement de citoyen non-expert dans les disciplines concernées (climatologie, biologie, océanographie, agronomie, etc.) se fonde plus sur « l’évolution observable des variables » et les mécanismes qui sous-tendent cette évolution (ou boucles d’action et de rétroaction positives) que sur le niveau réal actuel ou futur de ces variables.

Dit plus simplement, je m’intéresse moins à la vitesse de la voiture qu’au fait qu’elle accélère – de plus en plus vite – , pour envisager que l’issue probable de son parcours est le crash, à mesure que le temps passe.

J’observe que le mécanisme qui définit la course du véhicule comprend une boucle d’action (l’accélérateur est enclenché, voire bloqué), et même de rétroaction (le turbo se met progressivement en marche, la route devient pentue), et que ces mécanismes fonctionnent de façon relativement continue (on continue à appuyer pied au plancher et à subir des rétroactions). Et qu’il n’y a pas à l’horizon, à ce stade, de déblocage de l’accélérateur, de panne de turbo ou de côte qui pourrait ralentir le véhicule avant le mur. Bref, pas de boucle d’action négative ou de rétroaction négative en vue.

Concrètement par exemple, le niveau des GES est certes très élevé dans l’atmosphère, mais surtout, il continue d’augmenter et je me demande si cette croissance ne s’accélère pas ou ne va pas s’accélérer avec la poursuite de l’émergence de la Chine et d’autres pays. Même sans connaître exactement la limite à ne pas dépasser, on peut présager qu’elle va être franchie avant un intervalle de temps palpable pour l’être humain.

Le mécanisme qui sous-tend la croissance du niveau de GES, c’est à dire l’activité technique énergétique humaine (combustion de combustibles fossiles, déforestation, etc.) provoquée par l’activité économique humaine (produire, distribuer, consommer, échanger pour manger, se protéger, se déplacer, se divertir, etc.) telle qu’elle se déploie aujourd’hui, est actif et tout est fait pour le maintenir sciemment en activité (« relancer la croissance »). En outre, des boucles de rétroaction se mettent en route comme la possibilité que les stocks de méthane du pergélisol sibérien se libèrent pour renforcer encore le dérèglement climatique.

A contrario, je n’observe pas encore de force significative qui réussit à seulement ralentir le taux de croissance mondial de nombreuses variables critiques. Comme s’il n’y avait pas de frein dans la voiture. Ou bien que personne ne voulait arrêter d’appuyer sur l’accélérateur et/ou appuyer sur un possible frein.

En conclusion, dans la voiture humaine terrestre, le scénario de crash est non seulement possible, mais également probable, vu la connaissance des variables et de leur tendance.

Est-ce que je suis mal informé ? Est-ce qu’il y a un grand complot pour créer cette croyance au sein de la population ? Selon moi, non. Je considère que je dispose de la meilleure information disponible selon les standards de la critique des sources, pour un non-initié dans la plupart des domaines concernés (sauf l’économie). Et qu’il n’y a aucun mobile crédible permettant de penser que des personnes organisent sciemment la croyance fausse en la détérioration des variables vitales que j’observe.

Les informations parcellaires qui me parviennent confirment le phénomène tendanciel général. Je n’ai jamais lu un article de Science ou de Nature qui mettait en évidence une amélioration substantielle sur un nombre significatif de variables vitales (que ce soit sur la décélération de leur taux de croissance, la stabilisation ou l’annulation de ce taux, voir l’inversion de ce taux et un retour dans des valeurs absolues favorables). Concrètement, le taux de mercure dans les océans continue d’augmenter, et aucune étude ne montre autre chose.

En sachant qu’un dépassement des « limites » sur un nombre réduit de variables suffit à détruire les conditions favorables d’existence de l’Humanité/de la Civilisation (prenons par exemple température, épaisseur de la couche de terre arable et flux d’eau potable disponible par an sur un territoire donné suffisamment large). Car le système favorable repose sur un nombre énorme de variables fluctuant dans des limites données. Si un petit nombre de variables dérape, le système n’est plus favorable.

Voilà pourquoi je ne peux être un économiste/technophile/politicien dogmatique/béat/conservateur.

L’inaction n’est pas une option. Il faut arrêter d’appuyer sur l’accélérateur, freiner et apprendre à conduire en respectant les limites avec une voiture dont la vitesse est limitée.<

Seules les personnes qui refusent le statu quo et cherchent des voies de changement me semblent éclairées.

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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