Billet invité.
Faisant preuve d’une belle constance dans la promotion de ses convictions néolibérales, la Commission européenne persiste et signe dans sa volonté d’imposer la clause dite ISDS (Investor-State Settlement Dispute) dans le traité CETA avec le Canada et, partant avec les États-Unis. Le projet « confidentiel » de traité diffusé en interne par la Commission Européenne intitulé Consolidated CETA Text (Version of 1 August 2014) et « fuité » par le site allemand Tagesshau.de montre en effet clairement que ce traité de libre-échange avec le Canada qui doit être signé cet automne contient une telle clause.
Pour mémoire, la procédure ISDS permet aux sociétés privées qui s’estiment financièrement lésées par une décision gouvernementale de contester cette décision devant une instance arbitrale privée, et d’obtenir une réparation financière pour ce préjudice si cette instance extra-judiciaire, dont les décisions ne sont pas susceptibles d’appel, en décide ainsi. Elle permet donc à des entités de droit privé de prévaloir sur les décisions prises par un État souverain. Le concept n’est pas nouveau : de nombreux accords bilatéraux entre États contiennent déjà des dispositions similaires. La nouveauté consiste dans la possibilité d’en faire la règle pour l’ensemble de l’Amérique du Nord et de l’Union Européenne.
Dans un geste de relative ouverture, la Commission européenne avait pourtant décidé en mars dernier un moratoire sur la négociation ISDS du traité TTIP avec les États-Unis, sous la pression, il est vrai, des opinions publiques des pays de l’Union, et notamment de celles de la zone euro, Allemagne et France en tête. Dans la foulée elle avait lancé une consultation qui consistait à remplir un questionnaire kafkaïen à souhait que 150 000 citoyens ou organisations ont pris le temps de remplir. Les résultats de cette consultation ne sont pas encore connus, mais il est probable qu’ils révèlent un fort contraste entre représentants des intérêts des lobbies industriels et commerciaux et représentants des citoyens et des mouvements politiques opposés à cette tentative ouverte de privatisation de la souveraineté nationale.
Comme le suggèrent les auteurs de l’article d’Euractiv (EU-Canada trade deal leak ‘ridicules’ TTIP consultation, campaigners say) on peut se demander si la Commission européenne ne se moque pas des citoyens européens, – sans même se soucier d’y mettre les formes -, quand elle continue à soutenir un projet de traité avec le Canada incluant une clause ISDS. Même en admettant que cette clause ISDS soit exclue du TTIP avec les USA pour des raisons cosmétiques, il faut en effet avoir une bien piètre opinion des citoyens européens pour imaginer qu’ils vont croire un seul instant que les multinationales américaines ne pourraient pas utiliser leurs filiales canadiennes pour faire jouer contre les États récalcitrants de l’UE une clause ISDS qui serait incluse dans le CETA.
L’affaire n’est heureusement pas encore terminée. Il n’est sans doute pas fortuit que la fuite soit venue d’un media allemand. Pour des raisons historiques dirimantes, l’opposition allemande à toute clause attentatoire à la souveraineté nationale sans consultation du parlement ou du peuple allemand est en effet bien connue. Elle peut compter sur le soutien opiniâtre de la très pointilleuses Cour Fédérale de Karlsruhe. Il n’est pas trop tard pour que d’autres pays se joignent à ce combat. Il en va sans doute de l’avenir de la démocratie dans l’UE, au moment où elle est de plus en plus soumise aux pressions des « marchés » et aux dictats d’une oligarchie cooptée qui, sur le thème « dormez tranquille braves gens, nous pensons et agissons pour vous » respecte de moins en moins la volonté populaire sans doute jugée trop peu qualifiée pour s’occuper de politique dans le monde complexe de l’ère dite postindustrielle.
Diffuser et faire connaître au plus grande nombre le projet CETA tel que publié la semaine dernière n’est qu’un modeste début, mais il est indispensable comme tout premier petit pas d’une longue marche !
@Pascal (suite) Mon intérêt pour la renormalisation est venu de la lecture d’un début d’article d’Alain Connes*, où le « moi »…