Ce n’est pas une simple question de bons et de mauvais élèves. Réponse à Jens Weidmann, par Paul Jorion et Bruno Colmant

Bruno Colmant et moi avons rédigé ce texte aujourd’hui. J’ai tenté de le faire publier dans la presse écrite mais un 13 août vous avez surtout à faire à des téléphones dont personne ne soulève le combiné. Cela se fera peut-être encore, on verra. Le voici de toute manière en attendant.

Dans l’entretien qu’il accorde à Marie Charrel dans Le Monde d’aujourd’hui, Jens Weidmann, Président de la Bundesbank réaffirme la doxa allemande selon laquelle la structure bâtarde de la zone euro, ni fédérale, ni confédérale, ne constitue pas en soi un problème : il n’y a que de bons et de mauvais élèves, l’Allemagne est un bon élève et c’est aux autres pays d’améliorer leur performance.

Dans le cadre de la zone euro, telle qu’elle est aujourd’hui,où toute dévaluation externe est impossible pour un pays membre, en raison de la dépendance de tous par rapport à la monnaie commune, la seule dévaluation possible est celle, interne, du coût du travail, qui passe par des réformes structurelles dans une perspective de compétitivité accrue.

Interrogé sur la hausse récente des salaires en Allemagne, qui semblerait paradoxale dans un contexte où cette nation prêche à ses voisines le moins-disant salarial, M. Weidmann répète la doxa : il faut améliorer la compétitivité par des baisses salariales jusqu’à ce que l’emploi reparte, ce qui donnera le signal autorisant à nouveau des salaires à la hausse.

Faut-il rappeler qu’une telle approche n’a jamais été satisfaisante et qu’elle l’est d’autant moins aujourd’hui dans un contexte de réduction du travail par les progrès de la robotisation remplaçant les activités manuelles et par la mise sur la touche des activités intellectuelles du fait de l’envahissement du logiciel ?

En exigeant des retours à l’équilibre budgétaire et des gains de productivité qui affectent le coût du travail, l’ajustement se fait nécessairement sur le travail et non sur le capital : les gains du travail sont considérés seule variable d’ajustement parce que notre logique comptable voit les salaires comme un coût à minimiser, tandis que les dividendes et les bonus de dirigeants d’entreprise ne sont pas vus comme des coûts mais comme parts de bénéfice et à ce titre, incompressibles et intouchables. Or les baisses salariales fragilisent la consommation intérieure, réduisent la croissance et entretiennent un climat déflationniste et, comme l’avait déjà noté John Maynard Keynes, elles dissolvent le consensus sociétal et font passer les choix politiques de leur cadre parlementaire normal, à la rue, source de tous les débordements.

En l’absence de l’option de dévaluations externes l’euro est par nature, une monnaie déflationniste. Et si l’Europe plonge en déflation, la preuve aura été apportée rétrospectivement qu’il eut fallu accepter une dose modérée d’inflation au lieu de s’en tenir au mandat littéral de la Banque Centrale Européenne. Une déflation serait une catastrophe car elle ajouterait du chômage à l’absence d’emploi et susciterait des baisses de prix et d’investissements, ainsi qu’une hausse du coût de l’endettement pour les ménages et les États.

L’asymétrie entre les pays de la zone euro s’est accentuée. C’est ainsi que les balances commerciales (la différence entre les exportations et les importations) des différents États-membres montrent des divergences très préoccupantes : la croissance allemande est fondée sur l’exportation et l’Allemagne accumule donc des créances sur d’autres pays de la zone euro, tandis que la France aligne de graves déficits commerciaux dans un contexte de désindustrialisation avancée. Quant aux pays du Sud, la question qui se pose est celle du substitut à la dévaluation impossible. Le scénario probable est celui d’une répudiation (dépréciations autoritaires de leur valeur) des dettes publiques, d’une envergure comparable à ce qu’aurait exigé une dévaluation. On peut donc, sans trop se tromper, imaginer qu’à terme, les pays méditerranéens devront subir un abattement sur leurs dettes publiques de l’ordre de 20 %.

Dans le nouveau contexte où c’est le travail lui-même qui disparaît, refuser de poser la question dans ces termes pour en rejeter la solution aux salariés et aux entreprises à titre individuel, place devant un choix entre deux options exécrables : 1) continuer à faire baisser les salaires en espérant que l’on retrouvera un équilibre alors que le point d’équilibre s’éloigne pour des raisons structurelles, 2) créer des emplois sans réelle justification, pour simplement occuper du monde.

La solution immédiate passe par une politique d’investissements publics transfrontaliers dans l’économie digitale, la recherche et développement, la réindustrialisation, et un refinancement des endettements publics supplémentaires qui en découlent par la BCE. Le risque additionnel qu’entretient la BCE, c’est le caractère de plus en plus onéreux des dettes publiques dans ce contexte déflationniste.

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