« Notre amie c’est la finance, la bonne finance… ». Réponse à Michel Sapin, par Jean-Michel Naulot

Billet invité. Tribune publiée dans L’Humanité Dimanche (31 juillet 2014).

La petite phrase du ministre a beaucoup fait rire dans certains milieux mais elle a choqué nos concitoyens. En quelques mots, le ministre a vidé de son contenu le discours du Bourget. Il est vrai que la déclaration de guerre du Président à la finance devenait un peu gênante après le récent virage libéral ! Michel Sapin a en quelque sorte rendu service à un ami… Mais à quel prix ! Cela donne le sentiment que l’on peut tout dire en politique, une chose et son contraire, même sur des sujets graves. Or, c’est précisément ce double discours qui tue la politique.

En deux ans, nous avons eu plusieurs exemples de ce grand écart entre la parole et les actes. D’abord, le Traité de stabilité budgétaire (TSCG) qui devait être renégocié et qui a été signé tel quel. Angela Merkel a beau jeu de rappeler à tout propos le texte du traité. Ensuite, la loi bancaire qui avait pour objet de montrer que l’on « s’occupe de la finance » et qui n’a pratiquement rien changé dans la vie des banques. Les financements aux fonds spéculatifs n’ont même pas été filialisés. Enfin, la manière de procéder pour mener à bien le projet de taxe sur les transactions financières (TTF) a été particulièrement cynique. Pierre Moscovici avait affirmé très solennellement qu’elle devait rapporter « plusieurs dizaines de milliards d’euros » et au final nous avons eu une vraie peau de chagrin. Rien d’étonnant puisqu’il a lui-même plaidé en coulisse pour une taxe minimale. Comment nos concitoyens pourraient-ils ensuite faire confiance à leurs dirigeants politiques ?

Lorsque Michel Barnier a présenté son projet de réforme des banques systémiques, le gouvernement aurait dû immédiatement approuver le principe de l’interdiction des activités spéculatives. Au lieu de cela, on a assisté à une levée de boucliers ! Sept ans après le déclenchement de la crise financière, il est stupéfiant de constater que l’on s’interroge encore à ce sujet. On nous explique que l’Union bancaire va réduire le risque systémique mais c’est une contre-vérité. Que pèseront en cas de crise bancaire les 55 milliards du fonds de résolution ? Pour les seules banques françaises, les produits dérivés représentent plus de 90000 milliards d’euros, 45 fois le PIB. Le comble du double discours vient d’être atteint avec la déclaration du gouverneur de la Banque d’Angleterre. Mark Carney vient d’affirmer qu’il allait financer le shadow banking pour assurer le développement de la City alors qu’il préside le Conseil de stabilité financière, le bras armé du G20 en matière de régulation financière !

Le fond du problème, c’est que les dirigeants occidentaux n’ont pas pris la dimension des ravages provoqués par le capitalisme financier, un déséquilibre historique entre la finance et l’économie réelle. Ce déséquilibre ne cesse de croître avec les liquidités injectées massivement par les banques centrales, des liquidités qui s’investissent à très court terme dans la spéculation. Croire que l’on peut développer la « bonne finance » dans un tel contexte, c’est avoir une vision très réductrice des réformes qui restent à accomplir. C’est le système qu’il faut changer. Tant que l’on n’aura pas réduit ce déséquilibre, on s’exposera à des crises systémiques. Dédramatiser le débat comme vient de le faire le ministre, c’est prendre le risque de différer les vraies réformes.

Post-scriptum (11 août) : Dans l’édition du Nouvel Observateur du 7 août, Michel Sapin tente de réduire la portée de sa déclaration d’Aix-en-Provence en précisant qu’il a ajouté : « La mauvaise finance est mon ennemie et le restera toujours ». Mais cette précision du ministre ne change rien quant au fond. Elle énonce une évidence. Quel homme politique, de droite ou de gauche, quel économiste oserait affirmer le contraire ? La contradiction entre la déclaration d’Aix et le discours du Bourget ne se limite pas à des problèmes de sémantique. Cela n’a pas échappé à nos concitoyens. J.M. N.

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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