En 1973 sont publiés les volumes XIII et XIV des œuvres complètes de John Maynard Keynes. Ils ont pour titre commun : « The General Theory and After ». Le volume XIII est sous-titré : « Preparation », le volume XIV s’appelle : « Defence and Development ».
Ces deux volumes consignent l’ensemble des textes qui ont pu être retrouvés, périphériques à la rédaction puis à la publication de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie qui paraîtra en 1936. Il s’agit, publié dans leur ordre strictement chronologique, de correspondance, envoyée par Keynes ou qui lui est adressée, de rapports, de notes, etc. chaque document étant précédé d’une brève préface permettant de le situer historiquement.
En 1976, trois ans plus tard donc, Lydia Lopokova, Lady Keynes, qui survivra trente-cinq ans à son époux, quitte Tilton, la maison à la campagne où Keynes passait tous ses week-ends et ses vacances toujours extrêmement studieuses, pour une maison de retraite. On découvre alors, dans un grand panier à linge en osier, une quantité encore importante de correspondance, notes, etc. couvrant la même période que les volumes XIII et XIV. Cette trouvaille sera publiée en 1979 en tant que volume XXIX des œuvres complètes sous le titre sans fioriture de « The General Theory and After : A Supplement ».
Vous ne serez pas surpris si je vous dis que je n’ai pas acheté la collection des œuvres complètes d’un seul coup. La chose est d’ailleurs impossible : bien des volumes sont en ce moment indisponibles et c’est chez un bouquiniste que j’ai commandé hier un exemplaire, échappé me dit-on d’une bibliothèque « avec étiquettes d’usage », du volume XXI.
Le volume XXIX, le « supplément », m’est parvenu lundi. Deux jours auparavant, j’avais fait part aux Amis du blog de Paul Jorion de mes premières réflexions sur Le capital au XXIe siècle (Le Seuil 2013) de Thomas Piketty. Et là, en commençant sa lecture, je découvre – c’est le rêve que partage tout lecteur de Borgès – le brouillon d’un énigmatique « chapitre 5 » (qui ne correspond à rien dans l’édition finale de la Théorie générale), intitulé « Quasi-rent and the marginal efficiency of capital ».
« Quasi-rent », que je traduirais par « rente au sens large » est une notion empruntée par Keynes à son maître Alfred Marshall, qu’il définit ainsi : « la rente au sens large d’un actif au cours d’une période donnée est la valeur monétaire des services qu’il rend, ou le revenu monétaire qui en découle, durant cette période » (p. 111).
Tout lecteur du Capital au XXIe siècle aura reconnu dans cette « rente au sens large », le revenu du capital chez Piketty, qu’il représente par son indice « r ». Bien sûr Keynes est plus analytique que cela et n’en reste pas là : il entreprend l’exploration des différentes composantes de la rente au sens large, à savoir, et dans les termes que j’emploie personnellement : la rente du « rentier » ou « capitaliste », le profit du marchand, à savoir la différence entre le prix de revente et le prix d’achat, et le profit de l’industriel ou « entrepreneur », qui est une part de la différence entre le prix de vente du bien ou du service produit et son coût.
Il y a dans ce brouillon de « chapitre 5 » fantomatique toute une théorie du taux d’intérêt – je suis en train de la disséquer – qui sera balayée dans la Théorie générale pour être remplacée par une explication totale (et totalitaire) du taux d’intérêt en termes de préférence pour la liquidité, dont j’ai déjà eu l’occasion de montrer qu’elle constitue tout au plus une « borne » pour le taux d’intérêt. Je suis bien sûr curieux de voir s’il existe une ressemblance entre la théorie du taux d’intérêt avortée du « chapitre 5 » chez Keynes, qui tenait lieu – en beaucoup plus sophistiqué manifestement – de cette préférence pour la liquidité qui viendra par la suite, et ma propre reconstruction faite au fil des ans du mécanisme du taux d’intérêt.
Piketty se plaint qu’on ne parle plus que de « ménage représentatif » et que l’on ne distingue pas du coup les ménages qui paient véritablement des impôts de ceux qui bénéficient des niches fiscales et sont les bénéficiaires de la charge de la dette puisque c’est à eux qu’elle revient sous la forme de versements d’intérêts, et il a raison, mais il se rend coupable de la même faute en ne s’intéressant qu’à une rente au sens large, produite par un « capital au sens large », et qui ne distingue ni la rente du rentier, ni le profit du marchand, ni le profit de l’industriel.
J’ai l’explication : https://www.francebleu.fr/emissions/circuit-bleu-cote-saveur-avec-les-toques-en-drome-ardeche/drome-ardeche/circuit-bleu-cote-saveurs-avec-les-toques-de-drome-ardeche-102