Billet invité.
Quand Stéphane Feunteum affirme que la monnaie est déjà indexée sur l’énergie, il a subjectivement raison mais objectivement tort. La nature et la réalité de la monnaie n’appartiennent pas au domaine de la physique. Subjectivement raison puisqu’il est logiquement visible que la masse monétaire en circulation varie avec la production et la consommation d’énergie. Objectivement tort puisque l’indexation de la monnaie sur l’énergie ou sur la biomasse n’est pas réellement exacte ni efficiente. Si cette indexation est rationnellement et scientifiquement plausible, elle n’est pas en l’occurrence satisfaisante pour tout le monde !
Convenons que notre système économique est en défaut parce qu’il détruit plus qu’il ne produit pour une majorité d’individus humains sur la terre. L’augmentation quantitative de la population nourrie et en bonne santé relative ne compense pas la dégénérescence du lien social. La concurrence « libre et non faussée » à l’accaparement privé du bien commun provoque une conflictualité sur le droit-même à vivre ensemble sur une seule et même planète.
Nous, l’espèce humaine, avons un problème de subjectivité dans la prise en compte adéquate des réalités naturelles dont nous faisons partie et dont nous sommes les acteurs. Nous ne pouvons pas nier qu’il existe une nature objective indépendante de ce que nous voulons ou pouvons en comprendre. Nous ne pouvons pas nier non plus que nous avons une capacité subjective de choix et de décision à l’intérieur de la nature objective. Nous ne pouvons pas nier enfin que notre responsabilité humaine à nous imprimer dans la nature soit à la fois individuelle et collective, singulière et générale.
Nous ne pouvons pas nier notre nature mais le faisons quand même dans la phase critique du devenir humain que nous vivons. Nous consommons plus vite le milieu naturel que nous ne le régénérons. Nous professons des théories fumeuses pour nous persuader que nos problèmes se résolvent par eux-mêmes sans que nous ayons à vouloir quelque chose. Et nous transformons nos structures comme si nous n’étions pas le sujet et les sujets de notre humanité. Nous avons un problème avec notre subjectivité qui ne s’accepte pas en tant que telle et qui refuse de s’ordonner à la liberté d’être ce que nous désirons individuellement et collectivement.
Posons la monnaie comme l’outil de la liberté individuelle et collective de notre responsabilité dans la nature. La monnaie est un système d’indexation des réalités objectives naturelles par notre réalité subjective artificielle. Il y a monnaie dès que nous nommons des réalités objectives échangeables et que nous les ordonnons selon leur prix, c’est à dire selon la priorité que nous leur donnons dans notre travail de classification des objets de nos désirs. Par travail, il faut entendre classiquement la dépense physique d’énergie mais aussi l’information du réel.
Le réel est notre mode de représentation de la réalité. Le problème de notre nature subjective est que la nature brute ne nous intéresse pas. Notre humanité nous oblige à transformer la réalité pour qu’elle convienne à notre subjectivité individuelle et collective. Notre prise en compte des réalités naturelles par la monnaie est actuellement inadéquate car nous ne conservons pas la terre telle que notre subjectivité la désire. Car la concurrence monétaire des désirs individuels ne produit plus de désirs collectifs compatibles avec le bien commun objectif et subjectif. Car une minorité d’humains s’est arrogée le monopole de l’émission monétaire et de l’équilibre général des prix.
Consciemment ou non, volontairement ou pas, la minorité réduit la majorité à l’esclavage de ses intérêts privés exclusifs. L’économisme totalitaire des élites libérales consiste à répéter que la subjectivité ne peut être que la conceptualisation d’un rapport de force physique dont la seule résolution possible est le triomphe mécanique de la position rhétorique la plus forte.
Si la monnaie est un outil de calcul économique, il est tout à fait logique et raisonnable d’en indexer objectivement l’émission sur la mesure de la biomasse et de la ressource énergétique. Mais la proposition ne dit rien de l’objectivité des définitions et des mesures de ces grandeurs utiles à ce que nous désirons.
L’oligarchie politico-financière est déjà constituée des plus grands experts en théorisation et mesure de tous les objets qui font la réalité. Et le choix oligarchique est justement de faire la réalité indiscutable et insaisissable au bien délibérablement commun de la démocratie. Le problème de l’objectivité de la monnaie et des prix est que le bien n’est pas seulement une question de réalité mais aussi de vérité.
Pour qu’une réalité soit objectivement économique, il faut un investissement de la subjectivité où tout individu se trouve représenté dans un bien commun qui est à la fois naturel et conforme à tous les degrés de la subjectivité des citoyens. Le démantèlement libéral de la civilisation est dans l’inadéquation systémique de l’objectivité économique à la subjectivité naturelle. Le système émet de la monnaie comme mesure de la richesse sans solliciter l’accord de la démocratie, sans objectiver l’application des lois politiques de règlement des échanges et sans intégrer le prix de la nature dans le travail de production.
Réintégrer la monnaie dans les lois de la nature implique de remettre la subjectivité au service de la nature objective, et de subordonner l’objectivité économique à la subjectivité de la démocratie. L’objectivité n’est pas une expertise de quelques individus mais une expérience collective. Les prêtres de la religion féroce du capital auto-référencé sont enfermés dans leur subjectivité et par conséquent déconnectés de toute réalité. Tout scientifique sérieux de n’importe quelle réalité sait que son expertise est sans objet hors de la communauté d’étude par laquelle il travaille. Pour qu’une communauté scientifique existe, elle doit singulariser son objet dans la réalité la plus générale qui soit de l’humanité, c’est à dire de la démocratie.
Une indexation de la masse monétaire sur la biomasse ou sur les réserves énergétiques renouvelables effectivement connues implique nécessairement une expertise bancaire. Laquelle ne doit plus se définir par rapport à elle-même mais par rapport à la réalité démocratique des communautés humaines effectivement constituées et distinguées par des frontières logiques. Une frontière logique de la réalité objective est justement franchissable par la monnaie à la condition de la souveraineté ; c’est à dire à la condition de la responsabilité subjective d’une communauté humaine objective sur son domaine de réalité.
Le problème scientifique de l’indexation de la monnaie sur la réalité n’est pas soluble hors du problème de la responsabilité politique dans la démocratie. Le libéralisme monétaire a purement et simplement supprimé la responsabilité politique en détachant les banques de la souveraineté. Comme la pseudo-science économique qui ignore la question de la subjectivité, le discours politique n’a plus d’objet dans la réalité à cause de la monnaie gérée dans la pure subjectivité des marchés financiers. La réalité politico-financière est purement virtuelle parce que détachée de toute objectivité discutable par la démocratie.
La restauration d’une objectivité de la réalité implique la refondation de la monnaie dans des communautés politiques objectivement identifiables par la réalité monétaire. Pour échanger des objets par des prix réels, il faut impérativement en rationalité objective rendre les communautés humaines, qui produisent la réalité des objets, interchangeables en monnaie.
On en revient toujours à la chambre de compensation multi-monnaies de Keynes où chaque communauté humaine d’intérêts est un État représenté par sa monnaie propre. Où chaque conversion d’une monnaie dans une autre induit le versement d’une prime de change à la communauté humaine constituée qui produit le plus de réalité objective bénéfique à l’humain et à l’humanité. Et où la variation des parités de change est l’équilibre objectif des contributions subjectives au bien commun de l’humanité.
Dans le schéma keynésien, il n’est aucune difficulté à matérialiser par une monnaie spécifique un Etat internationnal de la biosphère. La finalité d’un tel Etat n’est pas l’application d’une loi politique générale mais la production de la mesure scientifique des ressources naturelles effectivement disponibles par la mise en oeuvre des normes et techniques proposées par les citoyens de l’anthropocène. Emprunter cette monnaie dans la compensation keynésienne revient à acheter le travail de la communauté scientifique solidairement constituée ; prêter cette monnaie consiste à travailler effectivement aux objectifs de cette communauté scientifique dont les prix sont convertibles en n’importe quel autre objectif d’humanité par le marché des changes.
La création d’un marché des changes keynésien de convertibilité monétaire des objectifs humains de civilisation consiste à faire fonctionner les chambres financières actuelles de compensation avec des monnaies inconvertibles en non-droit ou en non-loi. C’est à dire inconvertibles dans les monnaies actuelles sauf à ce que ces monnaies soient effectivement réintégrées dans le système politique de la démocratie. Il faut que les monnaies irréelles soient convertibles en monnaies réelles moyennant le versement obligatoire à travers la prime de change d’une taxe de virtualité humainement bénéfique. La taxe automatiquement prélevée par le marché des changes serait versée par les acheteurs de bien-être objectif aux Etats de souveraineté qui en produisent le travail, les normes et les techniques.
Le marché des changes est alors un marché de citoyenneté régulé par une chambre centrale de compensation où la monnaie est la personne physique elle-même qui s’engage dans des communautés politiques de connaissance de la réalité. Ce que le libéralisme empirico-matérialiste nous a fait oublier depuis les Lumières, c’est que la monnaie fondamentale de règlement de l’humain, c’est la personne du citoyen économiquement engagé dans une société de connaissance partageable du réel. Pour être solvable, c’est à dire constituer soi-même la solution à un problème du futur, et pour être liquide, c’est à dire contribuer actuellement à la résolution des problèmes humains, il faut et il suffit d’avoir une nationalité. Il faut adhérer à une société de responsabilité politique où l’on engage son travail personnel d’information humaine de la réalité.
N’importe quelle nation démocratique s’il en existe encore peut émettre une monnaie de citoyenneté par la technologie du réseau social numérique. Le numérique associé à une reconnaissance physique des corps par un service public d’État civil suffit à relier sans falsification possible les signes monétaires aux citoyens qui les engagent. Dès lors une chaine logique ininterrompue peut être construite en monnaie numérique entre n’importe quelle réalité objectivement mesurée et toutes les personnes informant moralement et physiquement les objets d’économie qui les engagent.
L’algorithmique de compensation de la réalité objective par la subjectivité politique engagée est de nature complexe : composée d’une causalité multiple entre le subjectif et l’objectif. Le calcul informatique sur les données numérisées de représentation subjective de la réalité permet un traitement économique d’un éventail virtuellement infini d’objets qui soient la cause des prix. Pour que la monétisation numérique du réel puisse effectivement produire de la réalité économique bénéficiaire, il va falloir que des communautés humaines se constituent dans les interstices des entreprises et des Etats ploutocratiques actuels ; lesquels sont construits sur le mythe libéral de l’infaillibilité monétaire mécanique.
Dès que la monnaie numérique compensée aura reconquis une aire de souveraineté suffisante, la kleptocratie reviendra dans les limites de l’humanité allergique au droit subjectif de la justice et de la responsabilité réelle.
@Pascal Oui, titre surprenant, alors que dans ces pages, il est constamment proposé d’envisager la supériorité de l’intelligence artificielle sur…