Keynes : La fin du laisser-faire (II) La rationalité économique et l’éthique sont inconciliables

L’ennemi ultime de toute « solution du problème économique », autrement dit l’éradication de la pauvreté et du manque matériel en général, c’est donc selon Keynes, l’utilitarisme, cet « esprit calculateur benthamite » qui est le moteur du capitalisme. Or si l’on y réfléchit un peu, l’esprit du capitalisme est une bien étrange manière de concevoir le monde et les hommes qui le peuplent :

… ils ont commencé par supposer un état-de-choses où la distribution idéale des ressources productives se réalise par l’action d’individus agissant de manière autonome en recourant à la méthode d’essai et d’erreur, ce qui assure que les individus allant dans la bonne direction annihileront dans la concurrence qui s’exercera entre eux, ceux qui vont dans la mauvaise direction. Ceci implique qu’aucune merci ne sera accordée à ceux qui auront mis en jeu leur capital ou leur travail en s’engageant dans la mauvaise direction, qui ne bénéficieront d’aucune protection. Il s’agit d’une méthode qui permet à ceux qui deviennent les plus prospères dans la course au profit de parvenir au sommet dans une lutte pour la survie brutale, lutte qui sélectionne les plus efficaces au prix du sacrifice des moins efficaces. Elle ne tient pas compte du prix de cette lutte, mais s’intéresse uniquement aux bénéfices du résultat final, dont on suppose alors qu’ils sont permanents (Keynes [1926] 1931 : 282).

Keynes souligne que la rationalité de l’homo oeconomicus, telle que la conçoivent les économistes, va à l’encontre de l’éthique. De là à penser que cette rationalité économique est destructrice de l’ordre social il n’y a qu’un pas, que Keynes n’hésite pas à franchir. On nous présente, dit-il, le motif le plus méprisable, l’appât du gain, comme le moteur sain et légitime de l’économie dans son fonctionnement normal :

C’est donc à l’une des plus puissantes des motivations humaines, à savoir l’amour de l’argent, qu’est confiée la tâche de redistribuer les ressources économiques de la manière optimale pour augmenter la richesse (ibid. 284).

Constatation qui lui permet de raffiner davantage la métaphore darwinienne de l’esprit du capitalisme qu’il avait offerte dans sa parabole des girafes :

Darwin invoqua le désir sexuel, à l’œuvre dans la sélection sexuelle, comme un accessoire à la sélection naturelle par la concurrence, qui permet de guider l’évolution le long des voies qui seraient à la fois désirables et efficaces, de même, l’individualiste invoque l’amour de l’argent, à l’œuvre dans la poursuite du profit, comme un accessoire à la sélection naturelle, pour réaliser la production à la plus grande échelle possible de ce qui est le plus ardemment désiré et que sa valeur d’échange mesure (ibid.).

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Keynes, John Maynard, « The end of laissez-faire » (1926), in Essays in Persuasion, Collected Writings Volume IX, Cambridge: Macmillan / Cambridge University Press for the Royal Economic Society, [1931] 1972

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