DES MARGES DE MANÅ’UVRE SUR LE PAPIER, par François Leclerc

Billet invité.

Deux débats agitent le microcosme, signe de marges de manœuvre limitées et de difficultés à maitriser la situation. Le premier, au plus haut niveau, oppose à propos des taux la Banque des règlements internationaux (BRI) aux principales banques centrales. Faut-il les augmenter, comme le voudrait la première, ou les maintenir à leur très bas niveau actuel, comme la Fed, la Banque d’Angleterre, la Banque du Japon et la BCE continuent de le pratiquer ?

Des deux côtés, on se revendique de l’équilibre du système, ce qui tend à démontrer qu’il n’est pas facile à trouver ! La BRI met l’accent sur les effets néfastes de la poursuite de la stimulation monétaire, les banques centrales sur la nécessité de ne pas tirer prématurément de sous les pieds du système financier le tapis dont il bénéficie. L’intervention de la BRI est intervenue à point nommé pour donner un point d’appui au débat qui rebondit au sein de la BCE, sans surprise à l’initiative du nouveau membre allemand de son directoire, Sabine Lautenschlager.

Le FMI ne cesse de son côté de préconiser un autre équilibre entre la poursuite des réformes structurelles et l’adoption de mesures de relance. Aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, Christine Lagarde a plaidé pour un renforcement des « capacités de l’offre afin de muscler la reprise », car « les mesures de soutien à la demande, malgré la bonne volonté des banques centrales, trouveront leurs limites », tout en poursuivant « une politique budgétaire qui assure la viabilité de la dette », utilisant un critère disparu des tablettes des autorités européennes. Notant au passage que les conditions de financement d’une politique d’investissement en infrastructures étaient « très favorables » sur les marchés.

Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France (et président du conseil d’administration de la BRI) a pris le contrepoint de cette politique lors des mêmes rencontres. Dire qu’il faut « plus de dette profitant des taux d’intérêt bas pour conduire des politiques budgétaires plus laxistes, c’est ignorer la triste réalité » a-t-il asséné, car « aucun pays aujourd’hui ne possède la crédibilité suffisante pour mener une telle stratégie ». Quant à elles, les politiques préconisant une restructuration de la dette « négligent les effets très perturbateurs sur la stabilité financière » et « reposent sur des hypothèses de croissance qui sont extrêmement pessimistes ». C’est à prendre ou à laisser, on a connu plus argumenté.

D’autres cherchent à s’évader du carcan pour se réfugier dans le flou des flexibilités d’un pacte de stabilité qui en est pourtant avare. Le Cercle des économistes, qui organisait les Rencontres, a proposé de rajouter un pacte au pacte en permettant aux pays engagés dans « des réformes structurelles importantes » de procéder à « un allongement de la période de réduction du déficit public » le plus important possible, en référence à la politique poursuivie par les Britanniques au XIXème siècle. Une manière de noyer le poisson. Ainsi qu’à développer une politique européenne d’investissement en accordant des garanties publiques aux investisseurs pour les y engager, tout en réorientant l’épargne vers des investissements productifs grâce à des incitations fiscales. La méthode se veut libérale mais repose sur les bienfaits de l’État.

De leur côté, les dirigeants italiens continuent de jouer les francs-tireurs. Ils découvrent que l’article 5.1 du pacte de stabilité de 2005 limite à trois ans les délais supplémentaires que les pays peuvent obtenir afin d’équilibrer leur budget, à condition d’être en dessous du seuil de 3% de déficit annuel et d’implémenter effectivement des réformes. C’est maigre et impose de passer sous les fourches caudines de la Commission. C’est sans doute pourquoi Michel Barnier, Commissaire sortant, a ressorti des cartons à Aix la vieille lune des « project bonds » afin de financer les 1.000 milliards d’investissements en infrastructures prévus par la Commission d’ici 2020 pour relancer la croissance. Mais les obligations européennes ne figurent toujours pas au menu des réjouissances…

Les tentatives d’ouverture se multiplient, mais les portes restent fermées.

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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