Billet invité
L’Express révèle qu’un rapport interne à la BNP aurait été réalisé dès le début 2006 sur les risques liés aux transactions illégales avec les pays soumis aux sanctions américaines, conduisant à identifier un ‘risque opérationnel’, un ‘risque d’image et juridique’ à ce sujet. Ce rapport vient s’ajouter à la (longue) liste des éléments à charge contre cette banque. BNP Paribas pourrait alléguer (en l’absence de la thèse de ‘l’homme isolé ayant pété les plombs’, manifestement impossible à défendre au vu du nombre de salariés concernés et déjà pour une part d’entre eux licenciés) qu’en 2006, même avec l’avertissement direct des autorités américaines, avec un rapport interne et un rapport de juristes américains tous concordants, l’affaire ABN AMRO crée certes un précédent mais reste toutefois un cas isolé, soumis à une possible jurisprudence et à un revirement éventuel.
Car si la presse a parlé des cas similaires les plus connus, comme ceux d’ING et d’HSBC du fait des sommes engagées et déjà records en la matière (respectivement 619 millions de dollars et 375 millions de dollars), qui relèvent tous les deux de l’année 2012[1] (soit un an après la fin des transactions illégales de BNP PARIBAS selon la presse), entre 2006 et 2012, date de l’affaire ABN AMRO, il ne se serait donc rien passé. Rien n’est moins vrai. Car entre 2006 et 2012, il y eut pas moins de 6 cas, et uniquement pour des banques et sur des actions identiques !
En 2011, la JPMorgan Chase Bank N.A. : $88,300,000
En 2010, la Barclays Bank PLC : $176,000,000 (OFAC) + $298,000,000 (Department of Justice and the New York Country District Attorney’s Office)
En 2009, 3 banques concernées : Australia and New Zealand Bank Group, Ltd. ($5,750,000), CreditSuisse AG (USD 536,000,000) et Lloyds TSB Bank, plc (USD 217,000,000).
Soit, déjà, 5 cas avant la fin des transactions de la BNP.
Mais aussi et enfin, le 7 septembre 2007 : National Australia Bank Ltd. ($100,000). Dans ce cas, si la somme apparaît comme ridicule au regard des montants précités, il reste néanmoins que les faits sont identiques à ceux reprochés à ABN AMRO et par suite à BNP Paribas. Difficile dès lors pour la banque française de plaider l’absence de stabilité juridique sur le sujet depuis 2006.
Il y a donc bien ‘adéquation’ entre la sanction et le crime, quoi qu’en disent les hommes politiques qui s’échinent à trouver les arguments ‘adéquats’ pour défendre la BNP PARIBAS. Mieux, au regard des fraudes effectuées pour dissimuler les transactions, des lenteurs dans les réponses apportées par la banque aux autorités américaines, des sommes concernées, des avertissements répétés, des affaires jugées durant la période de ces transactions, la sanction envisagée par les autorités américaines apparaît même plutôt légère, sachant que le montant potentiel de l’amende pouvait s’élever jusqu’à 60 milliards de dollars, reflet du montant des transactions réalisées mais aussi de l’importance de la banque française sur ce type de marché (1ère banque mondiale sur le négoce des matières premières) : quand on est cette banque là, que l’on a été sélectionnée par l’ONU comme seule banque pour effectuer les transactions financières pour un de ses programmes justement sur un des pays concernés par des sanctions (Irak), on a forcément de grandes responsabilités et donc une grande culpabilité en cas de crimes commis.
Voici pour le cas ‘BNP Paribas’.
Maintenant, si on prend un peu de recul par rapport à cette affaire, on ne pourra que constater que c’est bien le who’s who bancaire mondial qui participa au casino illégal des transactions interdites : RBS, Crédit Suisse, JP Morgan Chase, Barclays, ING, HSBC, Lloyds, Bank of Tokyo-Mitsubishi, etc. Ne manquerait plus à ce bottin mondain, par exemple, que le Crédit Agricole, la Société Générale ou Deutsche Bank, ce qui tombe bien puisqu’elles devraient être bientôt concernées elles aussi, si l’on en croit la presse.
Or, on ne peut que constater que si la puissance américaine réussit en l’espace de 7 années – forte de sa ‘spécificité’ quant à l’obligation de compenser le dollar sur son sol et de sa puissance tout court – à ‘aligner’ ainsi toutes les plus grandes banques mondiales avec des montants importants, cette puissance publique est néanmoins limitée et doublement.
En premier lieu, elle est limitée à l’aval, pour la bonne et simple raison que le système de compensation monétaire proposé par J.M. Keynes en 1944 n’a jamais été mis en place et que depuis 1971 et la dénonciation unilatérale des accords de Bretton Woods, aucun système monétaire mondial n’existe. Il est donc particulièrement aisé pour ces grandes banques internationales de contourner les réglementations nationales concernant les transactions financières, mêmes américaines, en passant par des banques ‘complices’ hors de ces juridictions nationales. Manque de ‘chance’ pour elles, le pouvoir américain a fini par décider de les rattraper grâce au dollar, monnaie de référence mondiale mais compensée obligatoirement sur le sol américain. Reste qu’en l’occurrence, au jeu du chat et de la souris, la souris a toujours un temps d’avance et sauf à faire monter les enchères en termes de sanctions pénales, ce ‘jeu’ continuera donc.
Et c’est bien là, en second lieu, toute la limite de l’affaire BNP Paribas : le montant de l’amende et le niveau des sanctions appliquées. Car il s’avère qu’en lieu et place d’appliquer une amende justement proportionnelle au niveau des crimes commis, soit 60 milliards de dollars, les autorités américaines ont tenu compte de la ‘réalité’, du moins celle que la BNP Paribas et ses défenseurs veulent bien faire paraître : 60 milliards, c’est bien trop pour une seule banque (mais 5 milliards pour une seule personne physique – Jérôme Kerviel – c’est possible… en France[2]). En clair, les autorités américaines reconnaissent et valident par la même occasion le principe de l’aléa moral : banques mondiales, nous vous TAXERONS, mais rassurez-vous, vous ne paierez jamais le prix juste de vos crimes, car vous êtes trop grosses pour payer ce prix, sans quoi, c’est bien un risque systémique que nous affronterons.
C’est bien cet élément là que révèle, finalement, l’affaire BNP Paribas : l’impuissance, et non la puissance, des autorités publiques face aux grandes banques mondiales.
Face à cela, il n’y a pas 1.000 solutions mais bien quelques-unes déjà identifiées pour résoudre ce problème, en apparence insolvable : système monétaire de compensation mondiale (ou bien systèmes régionaux), interdiction des paris financiers, interdiction de transactions financières avec des institutions opaques, et plus en amont encore, socialisation du crédit et suppression de l’intérêt en tant que loyer de l’argent.
Une véritable révolution, mondiale. Mais qui ne se fera pas, en tout cas, pas toute seule et pas sans rapport de force.
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[1] La même année et l’année suivante, 3 autres affaires seront jugées : Royal Bank of Scotland plc ($ 33,122,307), Standard Chartered Bank ($132,000,000) et Bank of Tokyo-Mitsubishi UFJ, Ltd. ($8,571,634), soit quand même une partie du Gotha bancaire mondial.
[2] Enfin, c’est presque possible, si on pouvait supprimer la Cour de Cassation …
1) On peut utiliser des bombes nucléaires pour stériliser l’entrée d’abris souterrains (au sens galeries bien bouchées, comme au sens…