La pire des bonnes idées, OFFRIR L’ALÉA MORAL AU SHADOW BANKING, par François Leclerc

Billet invité.

La régulation du shadow banking ne va pas être une partie de plaisir susurre-t-on côté régulateur, tandis que les tentatives de redorer son blason se développent : mission est globalement confiée à ce secteur hétérogène de la finance de développer le crédit en complément des banques, lui faisant ainsi acquérir sa légitimité et justifiant que les banques centrales l’entourent de leurs meilleures intentions. Mais le problème reste toujours posé dans les mêmes termes par nos bonnes âmes : comment consolider un système qui donne à nouveau des signaux inquiétants et dont on espère qu’il va vous sauver, mais qu’il ne faut pas brider pour qu’il accomplisse sa tâche et que l’on va réguler avec d’infinies précautions sous le feu du lobbying d’enfer de ses acteurs ? Le secteur bancaire a été renforcé, se disent-elles, mais il reste très vulnérable car il se finance à court terme dans le shadow banking et celui-ci pourrait lui faire défaut. Le deuxième acte de la régulation est sonné mais sa fin n’est pas pour demain.

Que se passe-t-il ? Le marché des actions atteint des valorisations sans commune mesure avec les espérances de résultats des entreprises. Les banques centrales, les fonds de pension et souverains y contribuent, a-t-on appris, à la recherche de rendements que le marché obligataire ne leur procure plus. Simultanément, les investisseurs délaissent les grands fonds d’investissement, qui s’en alarment et demandent à la Fed d’instaurer une taxation des capitaux qui en sortent. Une autre alarme retentit sur le marché à haut risque des Collateralized Loan Obligations (CLO) qui retrouve son niveau du plus fort de la bulle de l’endettement de 2006 sous l’impulsion des opérations de carry trade des hedge funds. Mais il y a ce que l’on voit, et puis ce que l’on discerne moins. La gestion du collatéral de qualité apporté en garantie des transactions devient de plus en plus sophistiquée, afin de remédier à sa pénurie, source de futurs dérapages aux conséquences en chaîne imprévisibles.

Certains régulateurs se rassurent comme ils peuvent en faisant état des dispositions, prises ou à venir, par les banques centrales, mais d’autres font part de leur perplexité devant un monde qu’ils découvrent et où ils sont dépourvus d’expérience. Dispersés dans de multiples organismes – ce qui fait obstacle à leur vision d’ensemble – comment pourraient-ils appréhender les risques systémiques du shadow banking sans avoir la maîtrise des relations complexes que ses différentes entités entretiennent ? Paul Tucker – un ancien directeur du risque de la Banque d’Angleterre – en vient à se demander si le modèle adopté pour la régulation bancaire est bien adapté à ce nouveau monde (en admettant qu’il le soit pour les banques), sans aller jusqu’à en proposer un autre.

La décision de la Banque d’Angleterre de donner accès à ses guichets aux chambres de compensation – ces dangereux concentrateurs de risque – ainsi qu’aux grands brokers (qui achètent et vendent des actifs) est un premier pas. Aux États-Unis, la Fed engage de nouvelles relations avec les fonds monétaires dans le cadre d’opérations de reverse repo. Afin de les consolider, elle échange leur cash contre des bons du Trésor dont son bilan regorge, car ils sont identifiés comme un maillon faible du système. Enfin, sous les auspices de la Banque des règlements internationaux (BRI), un vaste programme de régulation a été mis au point. Avec comme têtes de chapitre la prévention des évasions massives de capitaux des fonds monétaires, la gestion des engagements réciproques entre les banques et le shadow banking, la réduction des risques sur les marchés du repo et de la titrisation, et le développement de la surveillance des entités du shadow banking. À elle seule, cette énumération montre le chemin qui reste à parcourir, car on part de presque zéro.

Les régulateurs vont se mettre à la tâche pour de longues années, et les banques centrales progressivement devenir le prêteur en dernier ressort du shadow banking – et non plus seulement des banques – telles la clé d’une voûte branlante. Mais est-ce bien raisonnable de prétendre réguler un système financier, qui s’en joue, sans commencer par interdire les jeux de casino ? La malfaisance des mécanismes d’un système voué à la concentration de la richesse n’est plus à démontrer. Accorder une protection, même illusoire, au shadow banking, c’est le faire bénéficier d’un aléa moral jusque-là réservé au système bancaire, donnant le signal que tout est permis dans un monde financier où les règles les plus tatillonnes ne bouchent jamais tous les trous de la régulation, car le shadow banking est en permanente mutation. On s’enfonce dans la profondeur des marais.

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