BNP Paribas, banque d’un monde qui ment, par Zébu

Billet invité.

La BNP Paribas était une des rares à être passée entre les gouttes, disait-on, lorsque la crise des subprimes eut lieu. Un gage de sérieux et d’orthodoxie, de la banque de détail sur la banque d’investissement, disait-on … Las, quelques années plus tard, on apprenait que la dite banque contrevenait à sa réputation, du coup largement imméritée.

Faut-il le rappeler ?

Apparemment oui, puisqu’il restera toujours des partisans de la lutte contre l’impérialisme américain et de la défense de la nation contre la justice et la vérité : la BNP Paribas a fraudé pendant presque 10 ans (de 2003 à 2011) pour pouvoir effectuer des transactions avec certains pays soumis à des sanctions US (Cuba, Libye, Iran, Soudan, Irak, …), en maquillant ces opérations effectuées en dollar, alors même que toute transaction effectuée en cette monnaie doit être compensée au travers de chambres de compensation sur le territoire américain.

Cette réglementation s’applique à tous les organismes financiers, quels qu’ils soient, et de ce fait, toute transaction compensée sur le sol américain relève bien de la loi américaine sur les sanctions appliquées à certains pays : il n’est donc absolument pas question d’exterritorialité mais bien au contraire du respect de la territorialité des lois applicables sur le sol américain.

Rappelons aussi que selon la loi française, un tel comportement que l’on pourrait qualifier de blanchiment aggravé en bande organisée vaudrait à ses instigateurs personnes physiques jusqu’à 10 ans de prison fermes et pour la personne morale BNP Paribas, le risque de se voir définir une peine de confiscation des biens et/ou la fermeture de l’établissement concerné (BNP Paribas SUISSE, et ses filiales) et/ou une amende record : si on estime selon le droit américain que l’amende est au moins équivalente aux infractions constatées (10 milliards de dollars ?) et qu’en droit français, la personne morale peut être assujettie au quintuple de l’amende maximale appliquée aux personnes physiques (50% des sommes concernées), on perçoit bien toute l’ampleur du méfait commis et des sanctions qui pourraient être prises.

Néanmoins, comme le rappelle un article du Monde, l’application d’une telle jurisprudence américaine est datée historiquement puisqu’une condamnation d’une banque hollandaise, ABN AMRO, intervient pour la première fois le 3 janvier 2006 sur ces mêmes bases juridiques, alors même que par exemple les sanctions concernant le Soudan dataient de 1997, pays par ailleurs qui fut massivement concerné par la fraude de la banque française (près de 80% des transactions).

BNP Paribas pourrait donc se prévaloir d’une certaine instabilité juridique à ce sujet pendant au moins plusieurs années, et ce malgré la visite des officiels américains pour les mettre en garde contre de telles manœuvres, voire contre l’avis même des juristes américains consultés et qui ont exprimé dès 2006 un revirement de positionnement juridique : l’avantage du droit n’est-il pas avec la jurisprudence que celle-ci peut être contestée demain quand aujourd’hui elle se prononce contre ses intérêts ?

À la différence près que sur son site internet dédié à ses clients ‘entreprises’, la banque avertit très clairement au travers de l’une de ses newsletters des risques que prendraient ses clients en tant qu’entreprises qui pourraient avoir à traiter avec les dits pays concernés par les sanctions US : « Les opérations impliquant directement ou indirectement ces pays ou ces personnes, organismes ou groupes doivent donc être contrôlées une à une et si certaines présentent un élément qui pourrait constituer une violation de la sanction applicable, elles peuvent être bloquées ou rejetées, voire, les fonds peuvent être gelés. »

S’ensuit alors cet avertissement : « La politique du Groupe BNP Paribas est de respecter rigoureusement ces sanctions. » (en gras et en souligné), ainsi que la publication d’un code de bonne conduite fourni par la Direction Générale du Trésor français, des sites ressources sur les dites sanctions et surtout un très instructif et très clair passage sur la question qui concerne aujourd’hui la BNP Paribas :

« Tout virement enUSD transite par les États-Unisafin d’être compensé par le système financieraméricain. Dès lors,toute transactionlibellée en USD est automatiquement régie par la loi américaine. »

On ne peut guère trouver plus explicite …

Reste que ce type d’informations délivrées aux clients ‘entreprises’ de la BNP Paribas n’est guère daté, si ce n’est que le code de bonne conduite émis par la Direction Générale du Trésor est daté du 22 novembre 2013. Toutefois, un élément textuel vient mettre la puce à l’oreille : « La liste correspondant aux sanctions françaises est consultable sur le site de la DGTPE ». Or, bien que le lien hypertexte de la ressource mis en ligne sur cette page pointe bien vers la page de la Direction Générale du Trésor, celle-ci ne s’appelle officiellement ‘Direction Générale du Trésor‘ que depuis le 19 mars 2010, laquelle se dénommait depuis le 15 novembre 2004 … le DGTPE.

Et force est de constater, en cherchant sur internet qui garde trace de nombre d’informations, qu’une page internet du même site de la BNP Paribas, toujours dans le cadre de la newsletter ‘entreprises’, que cette même information, « Réglementation et vigilance sur les transferts de fonds », se trouve datée du … 08 juin 2009, avec la liste des pays concernés : « Nous vous rappelons que tout virement en USD transite par les États-Unis afin d’être compensé par le système financier américain. Dès lors, toute transaction libellée en USD est automatiquement régie par la loi américaine [en gras dans le texte].

Liste (exemple) des pays sous sanctions financières au (8 juin) 2009

1. Pays à la fois sous sanctions européennes, françaises et américaines : Biélorussie, République Démocratique du Congo (RDC), Côte d’Ivoire, Corée du Nord, Iran, Irak,  Libéria, Myanmar, Soudan, Zimbabwe.

2. Pays seulement sous sanctions européennes : Liban, Libye, Ouzbékistan, Sierra Leone, Somalie

3. Pays seulement sous sanctions américaines : Cuba et Syrie ».

Où l’on retrouve, bien évidemment, le Soudan, entre autres.

Or, les faits reprochés à la BNP Paribas concernent des transactions entre 2003 et 2011 !

Ce qui signifie que la banque française informait très clairement ses clients personnes morales des risques liés aux transactions effectuées en direction de ces pays et plus spécifiquement encore, des obligations liées aux transactions effectuées en dollar, et ce depuis au moins le 8 juin 2009, quand dans le même temps, elle continuait allègrement à violer ces mêmes règles qu’elle enjoignait ses clients de respecter !

On se souvient de l’affaire Goldman Sachs, qui conseillait ses clients de parier dans une direction alors qu’elle pariait dans la direction opposée.

Mais bon, il s’agissait de Goldman Sachs : le ‘méchant absolu’.

Force est donc de constater que lorsqu’on n’est pas le ‘méchant absolu’, on a le droit de bénéficier d’un traitement ‘de faveur’ par certains acteurs, ceux-là même parfois qui dénoncent les tromperies de la grande finance internationale : que voulez-vous, faut défendre son bifteck national, dans un tel cadre concurrentiel ! Autre forme de schizophrénie …

Mais il y a mieux !

Comme BNP Paribas Suisse connaissait évidemment les risques liés à ces transactions puisqu’elle les maquillait, elle engagea en septembre 2008 en pleine phase d’activité pour ce qui concerne les transactions illégales en dollars un ‘expert’ pour devenir « (…) responsable de la Conformité, des Affaires juridiques et du Contrôle permanent. », Paul Perraudin, ancien juge d’instruction fédéral, chargé notamment des affaires politico-financières en Suisse avec entre autres son homologue français Van Ruymbeke, à tel point qu’il fut surnommé ‘Paul Pot’ dans le milieu bancaire suisse, comme le relate en 2013 un article de Bakchich.

« Outre ses éminentes qualités personnelles, Paul Perraudin apportera à notre banque sa vision internationale et la valeur de son parcours aux plus hauts niveaux de responsabilité. C’est pourquoi je me réjouis de son arrivée dans notre groupe », se félicite Georges Chodron de Courcel, Président du Conseil d’administration de BNP Paribas (Suisse) SA. », le même Chodron de Courcel dont la tête est semble-t-il exigée et pourrait être obtenue par le procureur de l’État de New-York pour cette affaire de transactions illégales.

On imagine donc fort bien que M. Perraudin fut le plus à même de conseiller la BNP Paribas Suisse quant à la conformité, au respect juridique et au contrôle permanent et ce au plus haut niveau, puisqu’il siégeait à la Direction Générale jusqu’en 2013, année où il prit sa retraite, amplement méritée au vu des résultats, on en convient. Une Direction Générale en la personne de M. Pascal Boris, PDG de la filiale suisse, qui fut remercié en 2013 en quittant son poste (qu’il occupait depuis 2007, soit toute la période post-avertissement des américains)… pour entrer au Conseil d’Administration en tant que membre !

De cet inquiétant imbroglio, que faut-il en retenir comme leçons ?

En premier lieu, que la plus grande banque française mentait.

Elle mentait à des autorités américaines en fraudant, en maquillant ses transactions avec des pays dont elle connaissait les risques, à point tel qu’elle affichait même sur son site internet en direction de ses clients entreprises, les caractéristiques spécifiques des transactions réalisées en dollars.

Elle mentait tout autant à ses clients entreprises, quand dans le même temps elle fraudait ces transactions illégales.

Elle mentait aussi à tous les clients de sa filiale suisse, en recrutant un ‘expert’ issu du monde judiciaire pour assurer la mise en conformité, le respect du droit et le contrôle permanent de ses activités.

Elle ment aussi, à tous ses clients, en affichant en mars 2012 sur sa ‘Charte des responsabilités‘ ceci :

« Le Groupe considère que les contrôler étroitement relève de sa responsabilité tant vis-à-vis de ses clients que du système financier dans son ensemble. Les engagements du Groupe sont donc décidés au terme d’un processus collégial et contradictoire, s’appuyant sur une forte culture du risque partagée à tous les niveaux de la banque. Ceci vaut tant pour les risques de crédit liés aux prêts – acceptés après analyse approfondie de la situation des emprunteurs et de leurs projets – que pour les risques de marchés résultant des transactions avec les clients : ceux-ci sont évalués chaque jour, soumis à des scénarios de tension et encadrés par un système de limites.

(…) Le Groupe est organisé et géré de manière que les éventuelles difficultés d’un de ses métiers ne mettent pas en péril les autres domaines d’activité de la banque.

(…) L’éthique commerciale de BNP Paribas, c’est aussi le refus de travailler avec tout client ou organisation dont l’activité est liée à la fraude, à la corruption ou à des commerces illicites. »

Mais, en second lieu, n’avons-nous pas été abusés, à « l’insu de notre plein gré » ?

Comment croire en effet que de simples ‘chartes’ et autre ‘engagements’ peuvent permettre de faire respecter les responsabilités que l’on a sciemment, délibérément attribuées à ces organismes, sinon en se mentant à soi-même ?

Comment croire que le modèle d’une banque ‘universelle’, le modèle bancaire phare « que le monde nous envie », le modèle ‘à la française’, pouvait permettre autre chose qu’une compensation au sein de ces mêmes organismes des pertes et des profits entre les deux branches de l’industrie bancaire que sont la banque de détail et la banque d’investissement ?

Comment croire surtout qu’un tel modèle, parce qu’alliant les deux pôles, pouvait ne faire autre chose que mettre en péril par l’activité de spéculation, l’ensemble ?

Comment croire enfin que séparer les deux types d’activités bancaires ne permettrait autre chose que de réduire les risques au sein d’une seule et même institution, et non pas le risque global pour tous issu de la spéculation ?

Comment croire dès lors à ce système ?

La réponse est que l’on ne peut pas. On ne peut plus.

Et qu’on doit en tirer les conséquences.

Malheureusement, il s’avère que nos responsables élus, ceux-là mêmes que nous élisons le plus souvent par défaut, sont inconséquents.

À leur décharge, ils diront que dans le cadre qui est le nôtre, celui de la concurrence généralisée et globalisée, il n’est possible que de défendre nos pré-carrés et ce sera là encore une mensonge dont ils s’entretiendront eux-mêmes ainsi que leurs concitoyens, car à force d’entretenir ce monde de mensonges, c’est bien un monde qui ment sur lequel la BNP Paribas continue de régner.

Que faudra-t-il donc faire ?

Probablement rien, car rien de ce qui pouvait être fait, sur cette même période (depuis ‘l’avertissement américain’ de l’été 2006 jusqu’à hier) n’aura été fait.

La faute au mensonge du monde tel qu’il est, sans doute.

Il faudra donc attendre l’apocalypse, autrement dit la révélation de la vérité aux yeux de tous pour que ce monde  s’effondre de lui-même.

A moins que l’inattendu, l’improbable, l’effarant hasard toujours possible et que jamais un coup de dés n’abolira ne vienne, tel un appel d’Eric Cantona qui aurait fonctionné à retirer comme un seul homme nos ‘valeurs monétaires’ de ce monde qui ment, rappeler à tous ce que sont les responsabilités.

Écrivant cela, me mens-je à moi-même ?

Lisant cela, lecteur, te mens-tu à toi-même ?

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