Darius massacré, ou la désaffection des citoyens par l’État, par Jeanne Favret-Saada

Billet invité.

À mesure que les jours passent, le massacre du jeune Darius, le 13 juin dernier, prend sa vraie place, au cœur de nos impasses judiciaires, civiques, politiques, et morales. Selon toutes probabilités, un groupe d’hommes vivant dans un quartier pauvrissime s’est attaqué à cet enfant, plus pauvre encore et cambrioleur avéré, et l’a quasiment tué. La police a joué un rôle, non précisé mais probable, dans la prévention de cet acte. Depuis, la justice et la police alternent les communications en langue de bois ou en excuses (nous ne savons rien parce que les gens se taisent).

Du coup, « nous, les citoyens », sommes incapables d’arrêter un jugement sur des faits que nous connaissons mal. Certes, nous condamnons les milices, et les meurtres (ainsi, d’ailleurs, que le vol), mais notre ignorance de la situation nous empêche de penser la situation nouvelle des citoyens dans une société d’où les institutions se retirent peu à peu. Car nous n’obtiendrons pas de la police et de la justice qu’elles déclarent tout de go : « Eh bien oui, il y a des quartiers dans lesquels nous n’assurons plus le droit. »

Or les questions que soulève le massacre de Darius ne concernent pas seulement les quartiers les plus déshérités : le retrait des institutions de police et de justice affecte depuis longtemps nos propres quartiers. Essayez donc d’appeler la police la nuit où vous entendez qu’une bande fait intrusion dans votre immeuble ; ou, ensuite, d’aller porter plainte car la serrure a été cassée, des objets ont été salis ou détruits… Chacun aurait mille anecdotes à rapporter sur ces situations quotidiennes où la carence des institutions est évidente, mais personne n’en tire de conséquences par crainte d’éveiller l’attention du FN.

Quand toutes les institutions de l’État font défaut – police, justice, médecine, école, etc. -, bien qu’à des degrés divers ; quand on sait que cette situation va, de façon inévitable, s’aggraver, il est urgent d’explorer à nouveaux frais l’organisation des liens sociaux.

Avec, et sans l’État.

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