Billet invité. À propos du billet de Jean-Paul Vignal Le problème de l’énergie est-il bien posé ?.
Dans son billet, Jean-Paul Vignal fait une analyse fine et complète sur « les ressources en énergie » ; j’aimerais partager ses conclusions assez optimistes. Un débat a été engagé avec Timiota ; la question de l’énergie étant essentielle, il n’est sans doute pas inutile d’y revenir – avec des vues complémentaires.
Les ressources en énergie sont devenues un facteur essentiel pour la vie des humains sur Terre ; ça n’a pas été toujours le cas. Une passionnante conférence de François Roddier (thermodynamique de l’évolution) permet de comprendre des aspects fondamentaux pour la survie de l’espèce. Il y évoque « l’effet Reine Rouge » selon Leigh van Valen ; la reine explique à Alice qu’« ici, il faut courir le plus vite possible pour rester sur place » [Lewis Carroll, De l’autre côté du miroir]. Nous sommes confrontés à l’effet Reine Rouge et il faut tenter de se sortir de ce piège. L’explosion démographique est un des facteurs du piège nous forçant à accélérer sans cesse nos efforts pour augmenter toutes nos ressources sans jamais être certains de simplement rester sur place… Il est certes vital de découvrir et développer de nouvelles technologies pour accroître l’offre globale en énergie mais il est tout aussi essentiel de reconsidérer comment nous consommons l’énergie.
Avant l’explosion démographique, en 1900, il y avait 1,6 milliards d’êtres humains sur Terre et d’immenses terres à conquérir et à coloniser (et tant pis pour les autochtones). Les progrès technologiques ont permis (comme Jean-Paul Vignal l’espère pour notre avenir) de multiplier les ressources tant énergétiques avec le pétrole qu’alimentaires avec les engrais – et de nourrir 7,2 milliards d’hommes en 2014 (1). Or la production des engrais consomme beaucoup de pétrole. Ce fut avec des plantes adaptées un des éléments de la Révolution verte qui sauva des millions de gens de la famine – et nul ne peut nier ce progrès qui fit mentir les malthusiens. Un article expose cet aspect qui n’est pas toujours intuitif : « Why Are Food Prices so High? Because We’re Eating Oil » [Pourquoi les prix alimentaires sont-ils si hauts ? Parce que nous mangeons du pétrole].
Deux points apparaissent : on ne peut séparer le problème des ressources en énergie d’autres questions vitales comme celle de l’alimentation et un des paramètres-clé à prendre en compte est celui du nombre d’humains sur Terre, sa stabilisation et l’allocation en ressources diverses pour que tout le monde vive bien.
Les démographes espèrent une stabilisation de la population mondiale à 9 ou 10 milliards à l’horizon 2050 (2). Or si la démographie est une science exacte, elle travaille sur des scénarios paramétrés car la modélisation mathématique est un outil utilisable et plusieurs évolutions sont encore possibles – favorables ou défavorables – comme le montre une présentation animée de l’INED. Quelqueschiffres illustrent ce concept d’explosion démographique. Le Yémen : 5 millions d’habitants en 1960, 24 millions en 2013, 42 millions prévus en 2050 ; le Niger : 2 millions en 1950 ; 55 millions prévus en 2050 ; Philippines : 16 millions en 1939, 98 millions en 2013 et prévisions de 157 millions en 2050. Le scénario favorable de l’INED indique que des chiffres élevés seront atteints par simple inertie. La Chine, par une politique inacceptable d’un point de vue éthique, a ralenti drastiquement sa croissance démographique en passant de 600 millions de Chinois en 1953 à 1,3 milliards en 2012 et une stabilisation se ferait autour d’un milliard en 2100 (sinon 4 milliards étaient prévus en 2075) ; or l’Iran (1956 : 18.9 millions ; 78 millions en 2013 ; 101 en 2050) est parvenu au même succès (méconnu) pour limiter sa population grâce une politique de régulation des naissances, volontaire, gratuite et basée sur la scolarisation des filles (le taux d’alphabétisation des femmes de moins de 26 ans est de 96%) et l’éducation des femmes (3).
Le problème démographique commande donc les besoins en énergie sous de nombreux aspects. Il y a ainsi un lien entre énergie et eau. En effet dans des pays aux ressources hydrauliques trop faibles subissant une forte pression démographique, il faudra utiliser encore davantage la désalinisation l’eau de mer, opération énergivore …
Quelles solutions ? Jean-Paul Vignal pense que la créativité humaine n’a pas dit son dernier mot et comme le souligne Timiota, les économies d’énergie sont évidemment une action prioritaire. L’isolation des bâtiments fait partie des plus immédiates à mettre en œuvre. Il y a aussi des économies possibles en améliorant le rendement des moteurs thermiques – l’industrie automobile a réussi à abaisser fortement les consommations. Ces économies sont dues à des non-consommations pour des services identiques en confort ou transport. Mais il y a une autre source de non-consommation énergétique, plus indirecte, à ne pas oublier : le non-gaspillage des biens de consommation. En effet un produit incorpore de l’énergie à tous ses stades de fabrication : de l’extraction des matières premières à leur transformation puis la fabrication, l’assemblage, les transports de composants et produits finis, etc. Il est nécessaire d’optimiser leur consommation énergétique mais un facteur-clé est trop passé sous silence : les effets délétères de l’« obsolescence programmée » sur le gaspillage en énergie.
Osons rappeler qu’il fallait parfois changer une lampe dans un téléviseur à tube cathodique mais que sa durée de vie (tout comme celle du réfrigérateur) dépassait les vingt ans. Nos écrans plats (dont la qualité d’image est indéniablement meilleure) ne devraient normalement pas durer moins car a priori cette technique devrait être encore plus fiable. Et pourtant, son logiciel se plante, des pixels manquent et surtout une pression constante est exercée sur le consommateur pour renouveler sa télé sous le prétexte de progrès ou plutôt d’illusoires innovations. Personne n’a demandé la 3D, la UHD, ni la wifi pour en faire un terminal Internet mais peu à peu ces fonctions exigent des remplacements… A-t-on besoin de parler du renouvellement des « smartphones » et leur générations xG ? Et de l’ensemble de nos nouveaux objets qui sont programmés pour l’obsolescence. Certes la manière rustique décrite dans le fameux documentaire de ARTE où on l’on voit une imprimante mise en panne parce qu’un petit logiciel impose un nombre maximal de copies, est peut être moins actuelle mais nous sommes fréquemment confrontés à des objets neufs qui au bout de deux trois ans ne marchent plus. L’ampoule à incandescence fut, elle, volontairement programmée par un cartel illégal pour durer 1000 heures alors qu’en pratique elle pouvait éclairer durant des années. Une controverse s’est engagée pour justifier cette durée par d’autres facteurs d’optimisation mais le fait qu’il y ait eu entente et que cette optimisation prétendue ne se soit faite que dans une certaine stratégie est difficile à nier. Un fabricant Est-allemand avec ses ampoules à longue durée l’apprit rapidement et finalement son usine fut fermée. Pour les bas en nylon aucun démenti n’est venu ; le lobby est plus faible probablement. Par analogie, on pourrait rêver que des objets à durée de vie extrêmement longue, disponibles pour tous sur Terre, permettent des économies à long terme. En rendre réparable le plus grand nombre serait en outre un bon gisement d’emplois, à composante créative.
La production d’objets jetables, généralement parce qu’ils ont été sciemment conçus pour ne pas être facilement réparables, est inacceptable. Chacun de nous ressent cette frustration de voir un produit soudain inutilisable, car le logiciel pilote n’est plus à jour alors que le système d’exploitation sur un nouvel ordinateur a changé – sans nul besoin véritable du client. Et comble de la folie du système consumériste, des imprimantes ou ordinateurs quasi-neufs sont envoyés par containers entiers (illégalement ?) en Afrique pour des « recyclages » sauvages et faits dans des conditions terribles, souvent par des enfants…
Un piège constant se referme par cette course sans fin à des innovations dans lesquelles nous sommes tous piégés comme Alice et la Reine Rouge. La photographie numérique permet à des millions de gens de créer des images, les modifier, les diffuser… Mais le nombre d’images devient absolument colossal. Qu’à cela ne tienne : on propose une solution de stockage pernicieusement appelée « cloud »… dans les nuages ? Ce « nuage » où vont s’entasser nos souvenirs sont de grandes fermes de serveurs énergivores puisqu’il faut en permanence les refroidir (4). Là on programme l’évanescence : en effet il y a une grande fragilité inhérente à ces types de stockage et les souvenirs de famille sont plus menacés qu’autrefois avec les photographies en noir et blanc. Une autre technologie en ligne provoquera un gaspillage d’énergie : voir un film en streaming car deux heures de vidéo obtenues en ligne est équivalent à voir un DVD, pratiquement obsolète (5), mais par contre cette pratique s’accroît vertigineusement. C’est aussi une conséquence de cette complexité croissante qui envahit tout notre quotidien par le biais de nos écrans et qui rend nos comportements en apparence plus simples (voir un film où l’on veut, quand on veut) mais au prix d’une saturation par la pléthore de choix qui se déversent continuellement sur nous – et cela provoque un gaspillage d’énergie insoupçonné (6).
Une action pour améliorer nos ressources énergétique serait donc d’interdire toute obsolescence programmée et imposer la réparabilité. Oui, mais « interdire » quel gros mot ! Attention, on sort du champ technologique évoqué sur les inventions, innovations et les énergies nouvelles ; on aborde la politique ! Comme on l’a brièvement évoqué, bien d’autres actions indirectes pour maîtriser mieux l’énergie sont envisageables – à titre d’exemples : le contrôle démographique : égalité des hommes et des femmes par l’éducation ; les rendements agricoles : manger nettement moins de viande ; contre la frénésie consommatrice : « désintoxiquer » les classes moyennes mondiales, etc. Ce type d’actions permettent – indirectement – une amélioration du bilan énergétique et – directement – une augmentation du bien-être : qui dit mieux ?
Mais quand on est face à l’intrication des crises (économiques et financières ; écologique et complexité non-maîtrisée) décrites par l’analogie du soliton, il est normal qu’il soit très ardu, ou peut-être illusoire, d’agir sur une composante à la fois. Guy Weets dans ses Réflexions pratiques sur les aspects pervers des systèmes en place décrit cet obstacle. En généralisant, il semble que le plus grand obstacle à franchir est de convaincre la caste mondiale dirigeante que la situation est grave et urgente et qu’ils sont embarqués dans le même vaisseau spatial que nous tous, sans canot de sauvetage – à la différence du Titanic.
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(1) – ce graphique de la population mondiale doit être gardé en mémoire.
Plus de données par pays : tableau INSEE 2013-2050 :
(2) – parler de 9 ou 10 milliards, relève d’un biais du langage : ce n’est pas 9 ou 10, c’est 1000.000.000 humains en plus, et qui iront dans les centaines de mégalopoles déjà surpeuplées. La stabilisation à 10 milliard n’est pas acquise. Comme indiqué par J.-P. Vignal des « experts » tablaient sur 7,8 milliards en 2025 et nous en sommes déjà à 7,2 milliards …
(3) – Alan WEISMAN, « Compte à rebours, jusqu’où pourrons-nous être trop nombreux sur terre ? », Flammarion, 2014. Ce livre intéressant contient des informations nombreuses et éclairantes.
(4) – Centres de données, gros consommateurs d’énergie :
(5) – Le streaming et effet de serre
(6) – Un i-phone consomme plus qu’un réfrigérateur ; citation : « On utilise déjà 50 % d’énergie de plus pour faire circuler des octets que pour déplacer tous les avions du monde »,rapporte aussi le Time.
Je connais le site mais je n’ai pas les compétences pour avoir un avis sur le contenu. Je suis toujours…