Billet invité. Également publié ici.
Les déclarations de Jens Weidmann, Président de la Bundesbank, affirmant son opposition à d’éventuels rachats de dettes souveraine en zone euro, venant après les mises en garde de la BCE sur les bulles financières, confirment que la banque centrale n’a désormais que de faibles marges de manœuvre en matière de politique monétaire. Les discours de Mario Draghi sur la possibilité de recourir à des achats « illimités » de dettes souveraines risquent ainsi d’apparaître de plus en plus en décalage avec le texte des traités et avec les exigences de la stabilité financière.
Que les investisseurs rêvent de nouveaux miracles de la BCE est assez logique puisqu’ils en demandent toujours plus pour entretenir la hausse des marchés… Que les gouvernements les rejoignent, comme l’ont laissé entendre certaines déclarations récentes, est beaucoup plus étonnant. Les clés de la croissance sont désormais entre les mains de l’autorité politique, pas de la banque centrale.
Toujours l’austérité, comme si les élections n’avaient pas eu lieu
Au lendemain des élections européennes, nos concitoyens étaient en droit d’attendre un infléchissement des politiques d’austérité, au minimum l’amorce d’un dialogue entre la France et l’Allemagne. Or rien, absolument rien, ne s’est passé. Comme si les élections n’avaient pas eu lieu. Les dernières statistiques confirment que la croissance en zone euro reste anémique. L’Espagne dont certains observateurs osent parfois dire qu’elle se redresse parce qu’elle dégage un excédent de sa balance courante est en train de devenir, selon la formule utilisée récemment par Thierry Pech, un « atelier de sous-traitance industrielle ». Les jeunes, les travailleurs qualifiés émigrent. La dévaluation interne, sans une politique de transferts financiers, nous conduit dans une impasse, sauf à accepter de manière durable une paupérisation relative.
La force de l’euro fait le bonheur de nos concurrents
Le problème de la surévaluation de l’euro reste par ailleurs entier. Les décisions de la BCE ont laissé l’euro de marbre. Sa surévaluation est structurelle, quasi génétique, étroitement liée à sa conception d’origine. Les industriels expriment de plus en plus ouvertement leur inquiétude. Depuis quinze ans, l’euro n’a connu une parité compétitive que pendant deux ou trois ans, pour le plus grand bonheur de nos concurrents. D’innombrables exemples illustrent la désindustrialisation en cours. Dans le même temps, les excédents courants allemands atteignent des niveaux historiques. Une situation absurde. Quand l’autorité politique va-t-elle enfin se pencher sur les moyens d’introduire un peu de flexibilité dans le système monétaire européen plutôt que de décréter que tout est immuable ?
La boîte noire de la distribution du crédit
Enfin, peut-on espérer que l’autorité politique s’intéresse un jour au système réglementaire qui préside à la distribution du crédit, le système dit de pondération des risques ? Ce système joue un rôle essentiel en Europe, une région du monde où, hormis les multinationales qui ont un large accès aux marchés financiers, les entreprises se financent en totalité auprès des banques. Décidé le 26 juin 2004 par les experts du Comité de Bâle sous l’autorité des gouverneurs des banques centrales, ce système a révolutionné la distribution du crédit. Dans leurs déclarations réglementaires, les banques inscrivent les crédits qu’elles distribuent non plus pour leurs montants réels mais pour des montants pondérés en fonction du risque. Une vraie boîte noire, extrêmement complexe, qui privilégie les entreprises les mieux notées. Les multinationales sont ainsi assaillies de propositions de financements par les banques alors même que les entreprises de dimensions plus modestes ont du mal à se financer. La mise en place d’un système moins discriminant, sous l’autorité du régulateur et non pas à la main des banques comme cela est le cas actuellement, serait absolument indispensable pour éviter ces inégalités de traitement.
Affronter chacun de ces problèmes exige du courage. L’autorité politique doit d’abord compter sur elle-même, ne pas s’illusionner sur les marges de manœuvre de la BCE, ne pas perdre de temps pour exiger l’indispensable réorientation de l’Europe. La nomination de Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission serait de ce point de vue, comme le dit très bien David Cameron, un vrai « non sens ». Jean-Claude Juncker est le symbole même de la continuité alors que les électeurs ont affirmé une grande volonté de changement. A croire que le Premier Ministre britannique est le seul chef de gouvernement à avoir tiré les enseignements des élections ! Un nouveau signe de la crise de notre démocratie.
1) On peut utiliser des bombes nucléaires pour stériliser l’entrée d’abris souterrains (au sens galeries bien bouchées, comme au sens…