Billet invité
Les épisodes de la crise européenne se suivent. Hier au bord de l’éclatement, la zone euro était soumise à une double peine. Les taux souverains se tendaient à l’extrême, et une politique de réduction du déficit public à marche forcée était instituée. Un précipice s’ouvrait, mais par l’effet d’un Deus ex machina, la BCE parvenait à calmer le jeu sur le marché obligataire. Une accalmie s’en suivait, qui se poursuit aujourd’hui, alors que s’entame une réévaluation encore marquée de beaucoup d’incertitudes quant à la politique engagée.
La mise en musique de la réduction des déficits publics créant une cacophonie, son inflexion ne va-t-elle pas finir par être distillée ? S’il a été aisé de contraindre les pays périphériques à se plier à la rigueur extrême en raison des sommets atteint sur le marché obligataire, c’est au prix d’une profonde crise économique, sociale et politique dont ils ne sont pas prêts de sortir. Mais une toute autre partie s’engage désormais avec l’Italie et la France. Bâties dans l’improvisation et destinées à un affichage politique, leurs prévisions budgétaires gouvernementales sont vouées à être démenties par les faits, conduisant ces deux pays à dévier des trajectoires de réduction du déficit et de la dette requises. Avec comme choix d’engager ou non une épreuve de force.
Tel est le moteur de l’évolution en cours, qui ne va pas aller sans atermoiements et demi-mesures. À cet effet, le principal sera distingué du secondaire. Le corpus de réformes censées libérer des potentialités bridées constituera un socle intouchable alors que des modulations du rythme du désendettement pourront avec parcimonie être consenties, sous la pression des faits. Quand la pression sera trop forte, comme d’habitude.
C’est tout le sens de la proposition de Matteo Renzi qui voudrait associer sous la forme d’un échange de bons procédés la réalisation de réformes avec des assouplissements des contraintes budgétaires. Dans cette optique, la Commission européenne et le Conseil européen pourraient disposer des pouvoirs lui permettant d’attribuer les fonds existants afin de cofinancer des programmes d’investissement et disposeraient en contrepartie de moyens de supervision de la réalisation d’un programme de réformes. Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres… De son côté, le FMI vient une nouvelle fois de se manifester. Reza Moghadam, le directeur du département Europe, s’est adressé à la Commission en proposant que le ratio dette/PIB soit désormais seul pris en compte pour évaluer les progrès du désendettement, ce qui aurait pour effet de relâcher la bride à propos de la réduction du déficit. Car cette dernière contrainte a pour effet paradoxal d’accroître l’endettement en raison de la baisse des rentrées fiscales qui en résulte, ainsi que des allégements de taxes et d’impôts destinés à relancer la machine.
Les divergences sont grandes à propos de l’avenir de la construction européenne dont les visions sont irréductibles. Les deux dossiers de la politique et de la structure de l’Europe sont d’ailleurs étroitement liés : le renforcement de sa gouvernance économique et fiscale permettrait d’instaurer plus de coordination économique et d’accorder un peu de souplesse budgétaire, les déficits pouvant alors être contenus en amont. Berlin s’y est déclaré à terme favorable, à l’opposé de Londres comme l’on pouvait s’y attendre. Quant à François Hollande, il n’a pas clarifié le débat en déclarant : « L’Europe, elle est devenue illisible, j’en suis conscient, lointaine, et pour tout dire incompréhensible, même pour les États, ça ne peut plus durer. L’Europe doit être simple, claire, pour être efficace là où elle est attendue, et se retirer là où elle n’est pas nécessaire ». Mais encore ?
Bien qu’inscrite dans la logique de la situation, cette dynamique d’assouplissement ne va pas se concrétiser rapidement. Sans doute va-t-il falloir attendre, pour qu’elle se confirme, qu’une autre fasse son œuvre. Celle qui résultera de la persistance de la forte poussée désinflationniste qui se traduit déjà par l’entrée dans la déflation d’une partie notable de la zone euro, en attendant la suite. La BCE s’est donnée six mois pour analyser les conséquences de ses dernières mesures, et s’il se confirme qu’elles sont sans autre effet que de soutenir une fois de plus le système bancaire, il faudra bien en tirer les conclusions. D’ores et déjà, on entend prédire que la relance de l’activité économique par le crédit bancaire aux entreprises sera modeste : les libéralités de la BCE auront pour principal résultat de soulager les banques en freinant l’accroissement du taux de défaut des PME, aidant ces dernières à rouler leur dette à des conditions plus favorables. Et l’offre de crédit ne débouchera qu’à la marge sur l’investissement.
Après le livre de Thomas Piketty sur les inégalités, un autre livre d’économie s’annonce comme allant susciter un grand intérêt aux États-Unis, dont le titre est « House of Debt ». Sa thèse centrale, qui s’appuie sur l’analyse de la crise dans sa version américaine, peut se formuler par une interrogation : fallait-il aider les banques ou désendetter les emprunteurs pour relancer la consommation et l’économie et éviter la récession ? On devine la réponse des deux auteurs, les professeurs Atif Mian de Princeton et Amir Sufi de l’université de Chicago ! Adaptée, elle pourrait encore trouver une judicieuse application en Europe. Les gouvernements mettent actuellement à profit les faibles taux du marché obligataire pour refinancer et diminuer leur dette, sans profiter d’une bonne occasion – qui ne va pas nécessairement durer – pour investir. Décidément, ils agissent à contretemps !
@Khanard et Pascal Pour moi, Marianne reste un média de gauche ou de centre gauche, heureusement, il n’est pas encore…