Billet invité.
Cela n’a pas vraiment fait la une des media français, qui ont pourtant largement ‘porté’ le sujet BNP pendant des jours, en dehors de quelques uns et surtout du Monde, qui annonçait hier rien moins que : « Affaire HSBC : les dessous d’une gigantesque fraude fiscale », avec en intertitre au sein de l’article : « HSBC ‘SUSCEPTIBLE D’ÊTRE MISE EN EXAMEN’ ».
Forcément, dans le contexte actuel de ‘bras de fer’ entre Paris et Washington sur une banque française majeure, dévoiler une telle information sur le sujet de la fraude fiscale concernant une grande banque britannique, une des plus importantes banques européennes avec UBS (laquelle est elle aussi concernée et ce depuis 2013), on aurait dû s’attendre à une flopée d’articles sur ces banques étrangères qui viennent jusque dans nos bras effectuer des démarches illicites et font rien qu’à égorger nos recettes et nos budgets (Aux armes citoyens !).
Mais là, rien ou quasi. Des articles, un reportage à la télé au journal de 20h sur la fraude fiscale révélée par des ‘personnalités politiques’, bien connues par ailleurs de la justice, sans plus.
Pourtant, eu égard à la nature même de l’information, la mise en examen d’une banque et non plus seulement d’une personne physique en lien avec celle-ci, en tant que personne morale donc, il aurait été logique qu’on porte davantage d’attention au sujet.
UBS avait certes eu la primeur sur la fraude fiscale l’année précédente mais n’a été, jusqu’à maintenant, inculpée que de démarchages illicites : concernant le blanchiment, et notamment le blanchiment de fraude fiscale, la banque a été placée sous statut de témoin assisté.
Il y avait bien eu aussi la fameuse affaire du Sentier II où plusieurs banques avaient été mises en examen en tant que personnes morales, dont la Société Générale, mais en 2008 toutes étaient sorties blanchies … de l’accusation de blanchiment, devant l’impossibilité de démontrer les faits et surtout l’intention des banques. Une autre affaire, immobilière cette fois, Apollonia, avait conduit à une mise en examen pour blanchiment de plusieurs banques, cependant levée ensuite fin 2013.
Il était manifeste que si quelques affaires avaient pu conduire une banque en tant que personne morale à être inculpée pour blanchiment, de telles inculpations étaient fort rares, traînaient en longueur, étaient sujettes parfois à annulation de l’ordonnance d’instruction par une Cour d’Appel (Sentier II) ou à retrait lors de l’instruction (Apollonia), ne portaient qu’exceptionnellement sur la fraude fiscale (UBS), et jamais sur le blanchiment en bande organisée de fraude fiscale.
Cette éventuelle mise en examen, si on en croit Le Monde, serait donc une première d’importance dans le monde bancaire, qui semble néanmoins devoir s’étendre (où l’on retrouve la BNPPARIBAS à Monaco sur les mêmes chefs d’accusation…) car les faits incriminés sont graves et relèvent du Code Pénal (article 324-2) :
« Le blanchiment est puni de dix ans d’emprisonnement et de 750.000 euros d’amende :
1° Lorsqu’il est commis de façon habituelle ou en utilisant les facilités que procure l’exercice d’une activité professionnelle ;
2° Lorsqu’il est commis en bande organisée. »
On est là loin, très loin du crime de Jérôme Kerviel, lequel avait, pour abus de confiance, introduction de données et faux et usage de faux, écopé de la peine maximale, à savoir 5 ans de prison dont 3 fermes.
On se situe ici bien plus au niveau soit du grand banditisme et du crime organisé, soit des crimes sexuels.
Nonobstant cette importante peine de prison, les personnes physiques impliquées dans ce blanchiment aggravé risquent en plus des amendes financières, lesquelles « (…) peuvent être élevées jusqu’à la moitié de la valeur des biens ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment. » (article 324-3). Or, si on se souvient bien, ce fut M. Eckert, devenu entre-temps Secrétaire d’Etat chargé du budget, qui avait chiffré le montant potentiel des fraudes fiscales à 4 milliards d’euros dans un rapport officiel en 2013.
Les (faibles) amendes que le Code Pénal propose pour ces crimes (blanchiment aggravé : 750.000 €) pourraient donc s’élever jusqu’à 50% de ces 4 milliards, soit 2 milliards d’euros.
Pire, concernant les personnes morales cette fois, soit les banques (HSBC potentiellement, UBS peut-être), c’est le quintuple en termes d’amendes financières que risquent ces banques, soit 10 milliards d’euros, soit 13,6 milliards de dollars, plus que le dernier montant annoncé concernant BNP et sa fraude sur ses activités définies comme illicites aux Etats-Unis !
Pire encore, en tant que personne morale, les dites banques s’exposent à des saisies dont le renversement de la charge de la preuve leur incombe, comme le précise la circulaire du 23 janvier 2014 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière.
Pire encore, les dites banques s’exposent à la confiscation partielle ou totale des biens, de quelque nature que ce soit, en cas de condamnation pour blanchiment ou encore la dissolution pour les sociétés créées (sociétés off-shore par exemple ayant servi de truchement à la fraude fiscale).
Pire encore, l’interdiction, définitive ou temporaire d’exercer son activité bancaire et/ou de placer des titres sur les marchés financiers.
En clair, la mort annoncée d’une banque : même temporaire, une telle condamnation viderait de tous ses clients une telle banque.
Quelque part donc, Jérôme Cahuzac aura rendu service à la justice, en faisant produire par le législateur une loi, celle du 6 décembre 2013, qui aggrave lourdement les crimes fiscaux et financiers, notamment ceux de blanchiment, loi qui a permis aussi aux ‘lanceurs d’alerte’ comme Falciani de bénéficier non seulement d’une protection de la part de l’État français mais aussi d’un statut juridique lui permettant d’être tenu à l’abri de poursuites à son encontre, tout en reconnaissant valides les données qu’il a pu fournir à la justice, d’abord espagnole, puis française.
C’est là, en soi, une première bonne nouvelle pour tous les lanceurs d’alerte actuels et surtout à venir : prendre des risques peut permettre, réellement, de mettre en examen non plus seulement le trader de passage comme Kerviel, mais bien directement les personnes morales que sont les banques, pour saisir les biens litigieux, les inculper pour crimes passibles de 10 ans de prison, confisquer leurs biens, dissoudre des sociétés-écran et leur interdire d’exercer.
On finira donc peut-être par voir un jour un banquier, plutôt qu’un lampiste ou un fusible, finir en prison, les banques payer de réelles amendes proportionnées à leurs réels délits, reconnues coupables et non plus seulement ‘responsables de négligence’ comme pour la Société Générale et pourquoi pas, pour faire un exemple, être interdites d’exercer sur le territoire français, histoire de leur faire goûter la saveur de la cendre.
Dans un billet précédent, j’avais fait observer que finalement, la BNP avait, en comparaison du droit français, quelques raisons d’être optimiste, puisque cette banque pourra plaider coupable aux US et négocier avec le procureur la peine et l’amende, ce qui est impossible en France.
La BNP paiera donc sans doute une amende ‘extraordinaire’, pour ses délits ‘extraordinairement faramineux’ aux US, subira sans doute le joug (temporaire) de l’interdiction de compenser en dollars, perdra des clients, perdra en capitaux propres, perdra (peut-être) en bourse, mais subsistera.
Le plus dur sera certainement d’avoir dû accepter la liste définie par le procureur américain des ‘condamnés’ à livrer soi-même au bourreau.
Mais en comparaison, au regard de ce que risque HSBC, en France, en Espagne et en Belgique, sur tous les plans décrits plus hauts, c’est peu cher payé.
À condition, bien évidemment, que la justice française puisse continuer à faire son travail, que les mises en examen s’effectuent en lieu et place d’un plaider coupable, que les procès se tiennent et que les condamnations soient prononcées.
Pour Jérôme Kerviel, il a fallu moins de deux ans pour qu’il soit reconnu coupable en première instance. On attend bien évidemment que, concernant les banques, toutes les banques, une telle célérité soit de mise et que les amendes et condamnations soient à la hauteur des crimes commis, s’ils ont bien été commis.
Et quand cela sera éventuellement le cas, letemps sera alors venu de comprendre qu’en lieu et place de 1) courir aux données transmises à leurs risques et périls par des lanceurs d’alerte courageux, 2) instruire de longues et coûteuses instructions, 3) attendre de longs et coûteux procès à l’issu incertaine, il serait de loin préférable de simplifier tout cela radicalement en interdisant les paris sur les fluctuations des prix et en interdisant toute compensation entre des entités financières et des havres fiscaux ou des entités opaques.
Si néanmoins l’état critique actuel du système bancaire et financier nous en laisse le temps …
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