b) La gestion des taux d’intérêt nationaux
Une autre préoccupation majeure de Keynes quand il envisage ce que devrait être un ordre monétaire international, est que chaque nation ait la possibilité de gérer ses propres taux d’intérêt sans que leur niveau ne soit déterminé par la prédation qu’exercent des capitaux pirates à la recherche de l’opportunité la plus alléchante à l’échelle internationale en matière de versements d’intérêts, drainant vers un pays peu dynamique la richesse de pays qui ont le malheur d’être en pleine croissance. La maîtrise des taux d’intérêt domestiques, c’est selon Keynes le moyen d’assurer le plein-emploi en allant les fixer, par une politique appropriée de la banque centrale, au niveau qui permettra de réaliser celui-ci ; c’est également le moyen pour l’État de dégager les ressources qui lui permettront de mener une politique sociale.
La gestion par une nation des taux d’intérêt qui prévalent dans son économie implique donc pour Keynes une mise hors-la-loi du « carry trade » par une interdiction faite aux capitaux spéculatifs de circuler. Il est très explicite à ce sujet, en particulier dans une série de documents préparatoires à ce qu’il appelle l’Union Monétaire Internationale, où l’on trouve en fait l’ébauche de la proposition britannique qui sera présentée à Bretton Woods en 1944. Keynes y insiste sur la nécessité de distinguer soigneusement capitaux socialement utiles et capitaux socialement nuisibles.
Sont socialement utiles les capitaux qui constituent un authentique investissement permettant de tirer le meilleur parti des ressources existant à l’échelle de la planète. Sont au contraire socialement nuisibles, les capitaux flottants à la recherche d’une opportunité quelconque de se placer au meilleur rendement. Sont également socialement utiles les capitaux en provenance de pays excédentaires, exportant davantage qu’ils n’importent, en direction de pays déficitaires, important davantage qu’ils n’exportent, dont le transfert est susceptible de contribuer à un retour à l’équilibre. Sont aussi socialement nocifs, les capitaux purement spéculatifs ainsi que ceux qui cherchent à s’évader pour des raisons fiscales d’un pays déficitaire pour se rendre dans un pays excédentaire, ou se déplaçant entre deux pays excédentaires (Keynes [1941] 1980).
Dans le cadre d’un nouvel ordre monétaire international, placé sous l’égide de la monnaie de compte commune qu’est le bancor, les mouvements de capitaux spéculatifs seront prohibés. Keynes écrit à ce propos dans ses Proposals for an International Currency Union (« Propositions pour une Union Monétaire Internationale ») :
« Aucun pays ne pourra à l’avenir autoriser impunément la fuite de fonds pour des raisons politiques, pour échapper à l’impôt national ou dans l’anticipation pour leur détenteur de se transformer en exilé fiscal. De même, aucun pays ne pourra accueillir en toute sécurité des fonds en fuite, constituant une importation non-souhaitée de capital, qui ne peuvent servir de manière sûre d’investissement à taux fixe » (ibid. 185).
L’évasion fiscale est ainsi prohibée, et la possibilité pour un pays de jouer le rôle de havre fiscal s’évapore.
c) Autres conditions à remplir par un système monétaire international
Facteur clé du système monétaire international idéal : que les nations en déficit n’aient pas à recourir à la déflation, le fléau économique sous sa forme ultime aux yeux de Keynes, car cause de récession, voire même de dépression, et dans leur sillage, bien entendu, cause majeure de chômage. Phénomènes qui peuvent déboucher sur des situations où certaines nations se retrouvent de manière chronique dans une relation d’esclavage pour dettes vis-à-vis d’autres qui, volontairement ou involontairement, les maintiennent dans cette sujétion.
Il faut éviter à tout prix à l’avenir que le puissant puisse écraser le faible, que, comme Keynes le dit à propos du système qui prévaut en son temps, « le pauvre n’ait d’autre choix que de se soumettre, alors que le riche a le choix de la compassion oui ou non envers le pauvre ». Il faut mettre hors d’état de nuire la rétroaction positive : l’effet boule de neige, la réaction en chaîne, inscrites dans le système économique de son temps, et du nôtre encore aujourd’hui , et destructrices de leur existence même.
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Keynes, John Maynard, Proposals for an International Currency Union [Second Draft, November 18, 1941], Donald Moggridge (sous la dir.) The Collected Writings of John Maynard Keynes, Volume XXV, Activities 1940-1944, Shaping the Post-war World : the Clearing Union. London : Macmillan, 1980 : 42-66.
L’orgueil est un sentiment de supériorité fondé sur une estime exagérée de sa propre valeur, au détriment du respect d’autrui…