Billet invité.
Il nous dirait effectivement, comme il tentait de l’expliquer à ses collègues néo-classiques, notamment Pigou (1877-1959), que la baisse des salaires qu’elle soit plus ou moins volontaire, comme un élément de politique économique, où qu’elle soit la conséquence du chômage, n’est certainement pas la solution pour redresser la croissance et l’emploi. Le fond de sa théorie reste parfaitement pertinent aujourd’hui : les salaires sont un coût, mais aussi un revenu ; dans une société devenue salariale, les baisser porte atteinte à la demande, et même si cette baisse permet aux entreprises de faire baisser les prix, l’offre ne trouve pas sa contrepartie.
Comme le dit Paul Jorion, Keynes s’irriterait, aujourd’hui comme hier face à la politique de Churchill, que dans des circonstances où l’on demande des efforts à la nation , ceux-ci soient seulement demandés aux salariés – ceux qui gagnent leur vie – et non à la « classe des investisseurs et celle des affaires ». Aujourd’hui, plus qu’hier les salaires indécents des « patrons » du CAC 40 rendent la demande d’effort illégitime aux yeux de nombreux salariés.
On peut donc dire que l’austérité que s’imposent aujourd’hui les pays du sud de la zone euro, quand elle revient à baisser les salaires des fonctionnaires – ce qui n’est pas équivalent à geler le point d’indice- ou les petites retraites, comme le fit Monti en Italie, est à la fois contraire aux prescriptions keynésiennes et inefficace en terme de croissance donc d’emploi, donc d’impôts…
Mais la situation actuelle, notamment de la France, présente quand même avec l’époque keynésienne, quelques différences.
D’abord malgré deux années de stagnation (2012, 2013 et premier trimestre 2014 !…), et une forte montée du chômage, les salaires ont continué d’augmenter légèrement, ce qui a contribué à soutenir la consommation. C’est le phénomène que certains dénoncent comme une protection des « insiders », ceux qui ont un emploi en CDI, nuisible aux outsiders, en CDD répétés, temps partiel ou chômage.
Ensuite, alors qu’entre les deux guerres, époque durant laquelle Keynes écrivait sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936), la part des exportations dans le PIB était retombée du niveau de 18% auquel elle était en 1928 (selon Bairoch et un article d’Asselain et Blancheton de 2005) à 10%, elle est aujourd’hui de plus de 25%. Cela signifie que la compétitivité-coût, sans être la seule composante de la compétitivité globale, est d’autant plus importante pour les pays de la zone euro que la dévaluation n’est plus possible.
Comment peut-on alors restaurer la compétitivité-coût aujourd’hui, sans baisse des salaires, car cette règle keynésienne reste valide ? En réduisant les cotisations sociales, celles payées par les employeurs, ce qui réduit les coût de production, mais aussi celles payées par les employés, ce qui soutient le pouvoir d’achat. En contrepartie, évidemment, il faut traquer tous les abus de l’assurance-maladie (la France dépense 12,5% de son PIB pour la santé, contre 10%/11% en Europe du nord, sans différence sur l’espérance de vie) ou allonger la durée de cotisation pour bénéficier de la pleine retraite.
C’est, je crois, le premier conseil que donnerait Keynes à nos dirigeants.
Mais Keynes préconisait aussi de remplacer un investissement privé, trop faible en raison de la trop faible « efficacité marginale du capital » même avec un taux d’intérêt faible, par de l’investissement public. C’est toujours vrai. Mais conseillerait-il à la France pour le financer, d’augmenter ses impôts sur l’épargne privée trop paresseuse. Sans doute plus en 2014, après les hausses des quatre dernières années !
Lui conseillerait-il alors de s’endetter. Là est la différence principale avec 1930. Prenons l’année 1932. Si l’on se réfère aux chiffres fournis par Thomas Piketty*, la dette publique française dans les années trente s’élevait à environ 50% du revenu national**, contre plus de 100 aujourd’hui. Le service de cette dette plombe donc les finances de l’État et interdit un supplément d’endettement.
Mais Keynes découvrirait alors qu’existe une entité nouvelle, l’Union européenne (ou la zone euro), que celle-ci peut s’endetter, et que, de plus l’Allemagne a une capacité interne de relance de l’ensemble de ses voisins avec lesquels elle réalise 60% de son commerce extérieur. Il conseillerait alors une relance de la croissance par un de ces deux canaux. Il n’écrirait plus « The Capacity of Germany to Pay Reparations », comme en 1919, plutôt en faveur de l’Allemagne, mais « How Germany Must Boost – or Let Europe Boost – the European Economy ? »
=========================================
*Le capital au XXIème siècle – graphique 3.4 page 203
**Je parviens à un pourcentage sensiblement plus faible à partir du résumé rétrospectif de l’Annuaire statistique de l’INSEE 1951. Mais le raisonnement n’en est que plus valable.
« Biden vient de soulever un peu la planche de son côté. » « L’élargir hors de l’Ukraine. Zelensky s’y est employé » Ah…