Banques commerciales et masse monétaire, par Jean-Michel Naulot

Billet invité.

Quelques réflexions personnelles que m’inspire « UN TRAITÉ SUR LA MONNAIE » (III) Keynes et la « création monétaire ex nihilo » par les banques commerciales

Comme banquier qui n’a cessé de pratiquer le métier du crédit pendant 37 ans, aux côtés des multiples autres activités de la banque d’affaires, j’ai toujours eu tendance à considérer que le volume global de la masse monétaire, n’était pas le seul fait des banques centrales. Ce sentiment est devenu de plus en plus fort au fil des années. Il me semble que depuis vingt ans la contribution des banques commerciales au volume global de la masse monétaire est devenue beaucoup plus importante que par le passé. Elle n’a plus rien à voir avec la situation antérieure. Deux indices en témoignent.

D’abord, l’effet de levier des banques est sans rapport avec l’effet de levier des banques traditionnelles, des banques telles que nous les connaissions jusque dans les années soixante-dix / quatre-vingt. L’effet de levier des banques, c’est-à-dire le rapport entre leur bilan (leurs engagements) et leur fonds propres est souvent de l’ordre de 20, 30, 40. Il était même souvent supérieur avant la dernière crise.

Ensuite, la réglementation bancaire, dite prudentielle, a subi une vraie révolution depuis les années 2000, sous prétexte de prise en considération de la diversité des risques des banques. C’est la généralisation du système de pondération des risques, ce que j’appelle la « boîte noire » dans mon livre. On peut illustrer ce propos avec un exemple : à partir de 2006, il devenait possible réglementairement, avec un même montant de fonds propres, de faire 4 à 5 fois plus de crédit à une entreprise très bien notée du CAC 40 pour un montant inchangé de fonds propres réglementaires ! Du jour au lendemain ! Pour une entreprise du CAC 40 moins bien notée mais tout de même « investment grade » la pondération des risques était beaucoup plus modeste  mais permettait tout de même d’augmenter l’enveloppe de crédits. De toute évidence, ce système a contribué à accélérer très fortement la création monétaire par les banques.

Comme dans le même temps, les banques centrales faisaient fonctionner à plein régime la planche à billets, notamment depuis le krach financier de 1987, d’une manière de plus en plus intensive et continue, pas seulement pendant l’éclatement des crises (contrairement à ce que recommandait Friedman lui-même), la base monétaire s’est très fortement accrue. P. Artus estime qu’elle a été multipliée par 7 en 15 ans aux Etats-Unis, par 4 en Europe, par 12 dans les pays émergents. Ces liquidités créées par les banques centrales et distribuées à des taux très faibles aux banques commerciales ont permis aux banques de financer très aisément le crédit, d’investir dans les actifs financiers (le solde allant en dépôt à la banque centrale).

Je pense qu’il y a donc eu un effet cumulatif, un véritable effet boule de neige, dans cette création monétaire par les banques centrales à laquelle est venue se combiner la facilité toujours plus grande pour les banques commerciales d’accorder des crédits.

Les récentes mesures prises pour renforcer les fonds propres des banques ne sont qu’une simple remise à niveau par rapport à une situation à très hauts risques. Cette abondance de liquidités est, je pense, une des causes de la très grande fragilité du système financier. C’est une explication du fait que nous sommes, paradoxalement, très exposés à une crise de liquidité lorsqu’il y a abondance de liquidités. Dès que les marchés ont le vertige, dès que la confiance faiblit, tout s’arrête. Les excès, les prises de risques démesurées apparaissent subitement comme lorsque la mer se retire. J’ai un souvenir très précis du printemps 2007. Nous étions véritablement dans un monde de folie où les banques distribuaient le crédit sans compter, presque gratuitement. Or, dès le lendemain de la faillite de Lehman, les banques se sont arrêtées de prêter.

Soit dit en passant, la fameuse boîte noire préside depuis une dizaine d’années à l’allocation des ressources dans le monde. Une vraie révolution. C’est le fruit du travail des experts du Comité de Bâle, c’est-à-dire des banques centrales. L’autorité politique est totalement absente de ce processus. C’est un système qui de surcroît est profondément inéquitable. Pour reprendre l’exemple ci-dessus, comme une banque ne peut augmenter très fortement la marge sur le groupe moins bien noté pour atteindre la même rentabilité des fonds propres que sur le groupe très bien noté, la calculette de la banque attribue automatiquement le crédit au groupe le mieux noté… Selon que vous serez puissant ou misérable…

L’observation du terrain m’incite ainsi à penser que nous sommes entrés dans une période où les banques contribuent largement au gonflement de la masse monétaire, malheureusement trop souvent au profit des actifs financiers et de la spéculation, même si des progrès ont été faits récemment avec le renforcement des exigences de fonds propres. Du côté des banques centrales, la situation est inchangée. Au point que la Fed est prisonnière de ses propres excès.

Je rappelle dans mon livre comment Goethe dans son Second Faust (cité autrefois par J. Rueff) avait déjà tout compris. Evoquant une fête à la Cour du Roi, il décrivait le diable, déguisé en fou du roi, inondant la Cour et le monde de billets, de liquidités. Après une grande période d’euphorie, la fête tournait subitement au drame. Toutes ces richesses n’étaient qu’apparence et se transformaient …en scarabées ! Et Goethe de conclure : « Oh, le fripon qui promet tout et ne donne rien ! ». Tout était dit au sujet du rôle des banques commerciales dans l’accroissement de la masse monétaire.

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