Billet invité.
« On devrait vivre sa vie à l’envers…
On commence par mourir, ça élimine ce traumatisme qui nous suit toute la vie.
Après on se réveille dans une maison de retraite, en allant mieux de jour en jour.
Alors, on est mis dehors sous prétexte de bonne santé et on commence par toucher sa retraite.
Ensuite pour son premier jour de travail, on nous fait cadeau d’une montre en or et d’un beau salaire.
On travaille quarante ans jusqu’à ce que l’on soit suffisamment jeune pour profiter de la fin de sa vie active.
On va de fête en fête, on boit, on vit plein d’histoires d’amour ! Aucun problème grave.
On se prépare à faire des études universitaires.
Puis c’est le collège, on s’éclate avec ses copains, sans aucune obligation, jusqu’à devenir bébé.
Les neuf derniers mois on les passe tranquille à se baigner, avec chauffage central, « room service », etc.
Et au final, on quitte ce monde dans un orgasme ! »
Woody Allen
Auparavant, j’étais pris d’une certaine frénésie. J’avais peur de la mort. J’avais saisi qu’à tout moment, sans crier gare, je pouvais passer l’arme à gauche et cela de n’importe laquelle des manières, de la plus idiote à la plus horrible – l’impermanence m’imprégnait déjà sans que j’en aie conscience. Je vivais donc dans l’urgence : je devais à tout prix réaliser chacun de mes rêves, et vite, et m’exprimer le plus possible, et vite. Je n’avais pas demandé à naître et désormais, il fallait que je fasse de cela quelque chose. J’étais coincé. Merci les parents.
Il fallait donc que mon passage sur terre soit « utile ». Je me destinais à laisser ma trace dans l’histoire d’une manière ou d’une autre. Comme il ne reste rien de nous à notre mort – sauf nos actes, notre art et notre science, notre renommée, et encore ; bien des choses peu matérielles ! – j’avais cette angoisse que l’on m’oublierait. Adolescent, je ne voulais pas être un de ces milliards d’humains qui meurent sans que l’on ait appris leur existence ; je voulais « être quelqu’un ». J’avais l’angoisse de ne pas réussir à exister. Je devais me distinguer de la masse.
Désormais, la NSA et ses sbires se chargent de nous répertorier sans notre avis (les entreprises aussi), de nous ficher « au cas où potentiellement » nous deviendrions dangereux – à trop penser puis à vouloir agir. Plus les semaines passent, plus je constate avec effarement comment Le Meilleur des Mondes, nous y baignons de plus en plus. Nous sommes des grenouilles dans la marmite ! Il est donc inutile que chacun soit quelqu’un, puisque nous sommes tous potentiellement un ennemi. Quelle guerre numérique ! Et dans le même temps, les États lissent les consciences – et si vous n’êtes pas assez lisse, vous êtes suspect (je ne retrouve plus l’article citant cela de la part de la NSA : si vous n’êtes pas sur Facebook, vous êtes suspect !).
Puis en mars 2011, je redécouvris que j’étais bouddhiste et le suis même devenu officiellement. J’y ai remis le nez dedans car je souffrais trop. En effet le premier propos du « bouddhisme » – du Dharma faudrait-il dire – est de chercher à comprendre pourquoi l’on souffre et que faire pour y remédier de suite – il propose une conduite et philosophie de vie, sans chercher à expliquer le monde ni à donner réponse à tout, chacun faisant son expérience personnelle de la vie.
C’est avec le Dharma que j’ai compris certaines notions relatives à « la mort ». Je n’en ai désormais plus peur – j’ai parfois simplement l’appréhension de la manière dont cela se passera et de la probable souffrance que cela engendrera. En fait j’ai peur de mourir car cela laisserait ma fille sans papa. Cela ne doit donc pas intervenir trop vite. Néanmoins avec ce deuil de la mort, je fis également le deuil de ma frénésie d’exister (tout cela n’est pas si simple, mais je ne vais pas vous faire des cours sur les notions de la philosophie du Dharma). L’existence (pas la vie) est courte certes mais on lui accorde énormément d’importance. Or, « Je » n’existe pas.
Le Bouddha a enseigné toutefois que l’existence est précieuse car rare et qu’il faut en profiter afin de bien se comporter et de se montrer fraternel, amical et compassionnel avec les autres humains, tout cela afin que soi et les autres souffrent moins. Il est aujourd’hui évident que le Système nous éloigne le plus possible de l’essence de l’existence humaine, c’est-à-dire de la vie naturelle et simple, afin que nous poursuivions jusqu’à nos limites l’existence qu’elle nous fabrique dans son seul intérêt. Nous n’avons plus la maîtrise de nos existences – celles-ci sont partielles. Nos souffrances ne font qu’augmenter.
Une fois finie notre journée de travail (quand nous avons cette « chance » de travailler pour que d’autres s’enrichissent), nous avons encore moult choses à faire, qui engendrent de la fatigue, de l’épuisement, etc. Où est le temps dont nous aurions besoin pour apprendre à nous connaître ? Et celui destiné à apprendre qui sont les autres et les aider ? Comment pourrait-on réussir aujourd’hui avec cet accaparement par le Système de nos existences, à réaliser l’idéal de la démocratie, c’est-à-dire à appliquer la devise républicaine ?
Comme il est dit dans Alice, si l’existence n’a pas de sens pourquoi chacun ne peut-il lui en donner un ? J’ai envie de vivre et il m’est impossible de le faire pleinement, tant que je serai attaché d’une manière ou d’une autre au Système. L’existence n’a aucun sens tandis que la vie si : celle d’être en vie. Exister pour un système, pour quelques personnes, en somme donner de sa personne un sacré paquet d’heures et de journées par an à d’autres, cela n’est absolument pas normal – c’est une règle de société par contre que nous cautionnons. Mais ce n’est pas ça la vie. Sérieusement, exister ne m’intéresse pas. Vivre oui.
Le gros souci, le grand drame de nos existences, est que nous les subissons ; c’est qu’un système décidé et organisé par un nombre restreint et intouchable nous fait subir son Système (non démocratique) – et que nous confondons existence et vie. Nos existences sont si complexes que nous n’en n’avons plus vraiment la maîtrise. Certains d’ailleurs préfèrent ne pas voir qu’ils ne vivent pas et font de leur carrière une vie… Mais combien aujourd’hui de jeunes se tuent au travail, s’épuisent en burn-out, et combien de « fins de carrière » décèdent avant la retraite ?
Je n’ai donc plus cet impérieux besoin d’exister, de laisser une trace, de faire à tout prix. Du moins je ne suis plus dans l’urgence. Plutôt que d’être quelqu’un, je préfère que l’on se souvienne de moi comme quelqu’un qui a fait. C’est à quelqu’un qui fait – ou qui ne fait pas – que l’on mesure la valeur d’un homme.
Comme je le disais, nous sommes malheureusement dans la mouise, car nous subissons. Nous partons tous, au moins 99% d’entre nous, avec ce handicap de devoir évoluer sans trop de casse dans ce Système qui, si l’on n’y prend pas gare, n’aura aucune pitié à nous casser, à nous mettre au rebut, dès lors qu’on ne lui sera plus rentable ou nécessaire. Je crois désormais qu’il est impossible, sur cette Terre en perdition, d’échapper au Système qui est global. Nous devons donc agir pour la vie, les nôtres, celles de nos enfants – sans peur de mourir. Car bientôt, nous tous, pauvres hères, nous heurterons à une « armée » de robots dans nos quotidiens. Quel sens nos enfants pourront-ils donner à leur existence dans un tel univers dépossédé d’humanité ?
« Vous n’êtes pas votre travail. Vous n’êtes pas votre compte en banque. Vous n’êtes pas votre voiture. Vous n’êtes pas votre portefeuille, ni votre putain de treillis. Vous êtes la merde de ce monde prête à servir à tout. » Tyler Durden (Fight Club)
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