Billet invité.
Avoir c’est être. Avoir, c’est être ? Avoir n’est pas être – sinon on aurait choisi un des deux mots pour parler des deux en même temps. En vérité, il faudrait plutôt dire les choses moins simplement.
Avoir (quelque chose qui me représente) c’est être (en apparence quelqu’un, aux yeux du monde puis des miens) [la philosophie du langage – ma branche préférée de la philosophie – explique très bien que l’on parle très mal : vouloir tout simplifier pour rendre « plus facile », rend en fait tout plus obscur et moins précis !].
Comme j’analysais ce vendredi soir, pour la première fois depuis, cette incroyable succession d’événements liés à la publication des billets La Dette ! et ses suivants (qui me voyaient plongé dans les tréfonds de la terreur à l’idée de m’endetter, pour ensuite, débordé de gratitude envers tant d’humanité – on m’a tant donné sans rien demander en retour… à moi qui ne demandait rien sauf de témoigner), je me suis dis que le piège était toujours là. Lequel piège ? Celui de l’« avoir, c’est être ».
Je ne sais pas si ce que j’ai vécu et dont j’ai parlé, d’autres l’ont vécu de la même manière, mais il n’empêche que d’avoir vécu tant d’années de mon existence – deux tiers – raillé, moqué, maltraité et même insulté et frappé lors de mes études parce que je n’étais pas comme les autres (en apparence du moins), cela m’a profondément travaillé. Je cherche à en sortir. Intellectuellement, spirituellement, parce que « j’ai compris », il est désormais pour moi une horreur que de vivre dans le confort, l’aisance, la consommation, etc. Le hic, c’est que psychologiquement je suis loin d’être sorti d’affaire. D’autant plus qu’au bout d’un moment, tout ce calvaire que l’on m’a fait vivre – avec au surplus la honte d’être comme j’étais, « pauvre » – eh bien, j’ai tout fait pour sembler moi aussi « normal ». M’élever de l’avant-dernière marche de la « société » pour monter sur la suivante – celle de la classe moyenne (notion qui veut tout et rien dire).
Le 27 avril, je me morfondais en écrivant cette apologie, me disant que « ça y est : je refais un pas en arrière, l’espérance fut de courte durée et bientôt, ce sera l’instabilité de l’hébergement, la rue sûrement, un peu plus loin ». C’est vous dire que traumatisme il y a et comme il est profond.
Il me semble, au vu de mon expérience, qu’une gigantesque pression est exercée depuis longtemps sur les classes laborieuses pour qu’elles consomment et que si elles ne consomment pas, la « société de consommation » vous exclut et vous retire un de ces quatre matins les fameuses cartes d’entrées dans le club. C’est la carotte et le bâton. Surveiller et punir. « Tu es trop pauvre pour consommer, pour paraître, pour avoir ? Ben va coucher dehors, et crève ». Je n’invente peut-être pas le fil à couper le beurre : mais consommer c’est être reconnu par Elle. Aller acheter dans telle enseigne ou celle du discount et chacun saura quelle est la taille de votre portefeuille (même si ceci est un a priori). Il faut acheter pour « Être Vu ».
Quand j’ai vu ces fameux 4.000 euros sur mon compte, je n’en revenais absolument pas. Pour moi c’est toujours irréel. Ils sont comme parus par enchantement. Jamais de ma vie entière je ne saurais exprimer comme je le souhaiterais toute ma gratitude aux 24 donateurs. J’ai une chance formidable que 24 inconnus (hormis Paul) m’aient permis de recevoir cette somme afin de simplement vivre plus dignement et cela depuis dix-huit mois. C’est autrement plus fort et autre chose que si j’avais gagné à un jeu d’argent (ma mère m’a vacciné à cela à force d’y jouer son RMI)… Mille milliards de mercis ! Quand j’ai donc vu ces fameux 4.000 euros, je me suis dis instantanément : gardes-en, ne dépense pas inconsidérément, sois précautionneux et n’utilise que ce dont tu as besoin. C’est ce que je fais. J’aurais honte de dilapider idiotement alors que cet argent me sert à m’en sortir dignement. Bientôt donc je vais pouvoir faire les réparations sur ma voiture qui va ainsi pouvoir passer le contrôle technique, et je vais pouvoir souffler. Je n’aurai plus de dettes également auprès de ma banque, ni « Interdit Banque de France » (Ça c’est de l’anathème !).
Là où je veux en venir, c’est que vous tous, vous m’avez aussi remis sur ma fameuse marche de la classe moyenne. C’est énorme : vous m’avez rattrapé avant le grand saut ! Et là où je veux encore en venir, c’est que vous m’avez permis encore de survivre (mais plus dignement désormais) dans notre « société de consommation » (et du spectacle) [« du pain et des jeux !]. De ne pas devenir un de ces millions d’exclus français et de tous pays. Un de ces exclus que la société de consommation et du spectacle ne souhaite plus providentiellement « assister » (où sont passées la Fraternité et l’Egalité ?) car exclus, ils ne peuvent plus consommer (elle sait qu’elle les condamne) et donc, ils ne sont plus… rentables. Horreur pour elle. Horreur humaine.
Il se trouve que j’en suis donc, encore, revenu à ce schéma : consommer me fait encore me sentir « civilisé » (« domestiqué » serait le bon terme, mais pour la conscience humaine c’est dur d’accepter que nous le soyons). Consommer sans envie car je sais où cela mène et d’où cela vient, mais consommer par besoin car la société de consommation m’a mis dans le crâne, c’est le cas de le dire, qu’avoir c’est être. Or l’on n’Est que lorsque l’on n’A pas. Consommer est antinaturel, artificiel.
Consommer c’est satisfaire un besoin, des besoins. Une fois la chose achetée – sauf si elle est d’ordre vital – on perd de l’intérêt pour elle, immédiatement ou un peu plus tard. L’offre crée la demande (il y a belle lurette que l’on n’a plus de demandes, car ce dont on a besoin pour vivre, on l’a déjà depuis longtemps) non, l’on a besoin de gadgets et autres, afin de passer au second niveau : celui du spectacle, des jeux.
Consommer c’est aussi satisfaire le besoin du producteur-vendeur-distributeur, qui a un grand besoin de pognon, pour l’amasser, pour acheter et consommer à outrance, pour posséder la terre et dominer les peuples. Consommer est un acte politique. Consommer – juste consommer – est politique. Comme le vote ou le non-vote l’est.
Je consomme donc encore. Par dégoût. Et par dépit. Pourquoi ? Je suis papa d’une jeune fille et elle subira également ce que j’ai vécu si elle aussi n’est pas reconnue non pour ce qu’elle est – mais pour ce qu’elle a, même si l’éducation prodiguée lui dira que non. Alors au lieu de tenter le Diable, pourquoi ne lui poserions-nous pas un lapin ?
En parlant de ‘milliards de dollars’ … un trou de serrure indiscret avec vue sur l’intimité du clan TRUMP… C’était…