ILS VONT SE FAIRE RATTRAPER AU TOURNANT, par François Leclerc

Billet invité.

L’Europe est comme le terrain d’une course au trésor où les autorités politiques s’efforcent de dénicher les indices d’une amélioration à laquelle est suspendue leur parole. Là une croissance qui frémit, ici un déficit qui rentre dans le rang à force de mesures d’austérité, une inflation qui se reprend marginalement, ou bien un excédent primaire dégagé non sans accommodements … Mais sans doute ne s’approche-t-on pas toujours du but, vu l’attente que continue de susciter une intervention de la BCE.

Dernier coup de bluff sur le mode des précédents, ou annonce d’une prochaine intervention ? les commentateurs penchent pour la seconde solution après la dernière intervention de Mario Draghi. Certains croient même pouvoir annoncer un cocktail de mesures composé d’une baisse de taux et d’achats de titres, soulignant que la BCE s’est déclarée jeudi « être à l’aise pour agir la prochaine fois », c’est à dire en juin. Après s’être tant fait prié pour passer à l’acte, en dernier lieu de manière insistante par l’OCDE, quelles raisons pourraient maintenant l’y conduire ? Mario Draghi l’a donnée : « nous avons eu une discussion sérieuse sur le taux de change, c’est très important pour la stabilité des prix et pour la croissance. Dans une période où l’inflation est basse de manière prolongée, le renforcement de l’euro est une inquiétude sérieuse ». De fait, celui-ci accentue la pression déflationniste, alors que la BCE reconnaît que la reprise économique se poursuit « à un rythme lent » et reste « très modeste ». De quoi faire définitivement capoter une politique qui est déjà mal partie.

La question est moins de savoir ce qui va être exactement décidé que ce qu’il faut en attendre. Faute d’une remise en cause de la politique de désendettement, dont l’application se poursuit contre vents et marées, faite d’austérité et d’abaissement du coût du travail, il ne peut résulter d’une intervention de la banque centrale qu’une stabilisation limitée de la situation, une fois de plus. Les instruments de la politique monétaire, quand bien même ils ne sont pas «
conventionnels », ne peuvent relancer une croissance atteinte par la dévaluation interne et accroître des ressources fiscales que les gouvernements s’ingénient à diminuer par ailleurs. Car, côté exportations, tout ne va pas pour le mieux. Fer de lance de la croissance européenne, les commandes aux industriels allemands ont enregistré en mars dernier un recul prononcé et inattendu qui résulte d’abord de la faiblesse de la demande des émergents, dont on attendait tant. La Bundesbank a fait savoir que la croissance allemande allait « nettement se ralentir ».

Mardi dernier, le ministre des finances français Michel Sapin se rassurait en expliquant que « la valeur de l’euro est pour quelque chose dans cette inflation trop faible », et que « quand la croissance a besoin d’être encouragée et que l’ajustement budgétaire reste à faire, ce faible taux d’inflation ne facilite pas les choses ». Mais la BCE a-t-elle vraiment les moyens de faire baisser significativement l’euro, puisque – si l’on comprend bien le ministre – c’est seulement sur ce « quelque chose » là que l’on peut agir et que sur le reste, qui n’est pas identifié, c’est hors de question ? Selon la BCE, la zone euro a dégagé un excédent courant de 2,6% en février, en hausse de 1% par rapport à l’année précédente, c’est une forte incitation à la hausse de l’euro qu’il va être difficile de combattre…

Dans cette incertitude, une chose au moins ne fait pas débat. La surveillance sourcilleuse des pays sortis de leurs plans de sauvetage va se poursuivre tant qu’ils n’auront pas remboursé les prêts qui leur ont été consentis. En Espagne, la Commission recommande la poursuite des ajustements déjà engagés et annonce dès maintenant que des mesures d’austérité additionnelles seront nécessaires pour atteindre les objectifs de réduction de déficit de 2015 et 2016, tout en exploitant les opportunités de croissance (« positive growth surprise »). Au Portugal, le premier ministre Pedro Passos Coehlo va rendre public le 17 mai prochain ses « engagements pour l’avenir, pour ne pas gaspiller ce que les Portugais ont mis tant de temps à construire ».

Le gouvernement Renzi reste sur la corde raide en Italie, dans l’attente d’élections européennes marquées par le score élevé attendu du mouvement des Cinq étoiles de Beppe Grillo ; les objectifs que le gouvernement français vient de se donner en peinant suscitent un fort scepticisme généralisé tandis qu’il est attendu une poussée du Front national. Le blog Moneybeat du Wall Street Journal estime après pointage que les bad banks de toute nature ont recueilli au sein de l’Union européenne plus de 2.500 milliards de dollars d’actifs douteux. Ceux-ci sont loin d’avoir été tous liquidés et les opérations de cette nature sont appelées à se poursuivre.

Combien de temps va-t-il encore falloir attendre pour que soit reconnu qu’il faut appréhender le désendettement tout autrement ?

Partager :

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta