CES TAPIS QU’IL N’EST PAS TROP TARD DE SOULEVER, par François Leclerc

Billet invité.

Les banques BNP Paribas et Crédit Suisse vont-elles faire les frais d’un durcissement des autorités américaines et d’une grande première ? La procédure de règlement à l’amiable permettant de mettre fin aux poursuites judiciaires en payant une forte amende sans avoir à reconnaître sa culpabilité va-t-elle cesser d’être systématiquement employée aux États-Unis ?

Après avoir été considérées comme trop grosses pour faire faillite (« too big to fail »), et à ce titre renflouées sans trop y regarder, les grandes banques bénéficiaient d’une autre protection de facto : elles étaient trop grosses pour aller en prison (« Too big to jail »). Il semblait inconcevable que les poursuites engagées puissent, sans aller jusque-là, aboutir à des condamnations en bonne et due forme, en raison du rôle prédominant joué par les banques et des conséquences économiques qui en résulteraient. Par voie de conséquence, les amendes des régulateurs pleuvaient, mais une mansuétude relative s’était installée.

Eric Holder, le ministre de la justice, a bouleversé lundi ce paysage en affirmant qu’aucune « entité n’est trop grande pour faire l’objet de poursuites ». S’il s’est refusé à identifier les banques qui pourraient faire les frais de ce changement de politique, la presse américaine a désigné le Crédit Suisse et BNP Paribas comme étant dans le collimateur. La première pour avoir permis à des milliers de citoyens américains fortunés d’échapper au fisc (pour un montant reconnu par la banque d’environ 7 milliards de dollars), la seconde pour avoir réalisé des transactions en dollars entre 2002 et 2009 avec des pays soumis à des sanctions économiques (Iran, Soudan, Libye, Cuba…).

L’enjeu n’est plus le montant de l’amende qui pourrait être encourue – pour le paiement de laquelle le Crédit Suisse a provisionné 476 millions de dollars et BNP Paribas 1,1 milliard d’euros – mais une procédure pénale menée à son terme et aux lourdes conséquences commerciales aux États-Unis. Le plan stratégique dévoilé en mars par BNP donne pour objectif un développement de ses activités prévoyant que la région Amérique du nord représentera 12 % de son produit net bancaire en 2016. Il pourrait se trouver entravé, ainsi que la perspective de retrouver un retour sur fonds propres à deux chiffres, cet enjeu ultime. Le groupe a pour l’instant annoncé que la pénalité qui pourrait être prononcée pourrait fortement dépasser la provision qu’il a constituée, mais les autorités américaines en resteront-elles cette fois encore à un accord à l’amiable ?

Le Crédit Suisse a de son côté tenté une parade, dont on devrait d’ici peu connaître l’efficacité. La banque a créé une nouvelle filiale à laquelle elle a transféré ses activités aux États-Unis, la désignant ainsi aux foudres de la justice pour mieux être épargnée et repartir du bon pied. On ne connait pas par ailleurs le soutien politique dont BNP est susceptible d’avoir bénéficié, mais la rencontre à Washington entre Eric Holder et Eveline Widmer-Schlumpf, la ministre des finances suisse, n’est pas passé inaperçue, rien n’en ayant filtré.

Longtemps restée comme immunisée contre toutes les poursuites, contrairement à son homologue la Deutsche Bank qui croule sous celles-ci, BNP Paribas bénéficie avec ses consœurs de la haute protection des autorités françaises, Banque de France en première ligne. Sa taille est sa meilleure défense, mais celle-ci va-t-elle jouer de l’autre côté de l’Atlantique ?

François Hollande s’est essayé ce matin à un plaidoyer, notamment à propos de la finance. Cédons-lui la parole pour en mesurer la crédibilité : « nous avons stabilisé la zone euro, installé une union bancaire pour lutter contre la finance que je dénonçais au Bourget. La taxe sur les transactions financières était inexistante jusqu’à présent, elle est là. En France, nous avons taxé les bonus bancaires, introduit une loi de séparation des activités spéculatives des activités de dépôt et fait en sorte que nous ayons une banque publique d’investissement. Est-ce qu’aujourd’hui les taux d’intérêt en France sont hauts ? Ils sont les plus bas de notre histoire. Donc la finance, elle a été maîtrisée. »

La vérité toute simple, c’est que tout ce dont se prévaut le président de la République est en trompe-l’œil, au diapason de bilans bancaires présentés durs comme du roc. Venant conforter cette constatation, le projet d’accord sur les transactions financières présenté par Michel Sapin, le ministre des finances français, comme « un pas décisif » a fait l’objet d’un accord a minima à Bruxelles, réédition des épisodes précédents de l’Union bancaire. Les ministres ont reporté son application au 1er janvier 2016 et elle ne concernera dans cette première étape que les actions et quelques produits dérivés qui feront de la figuration.

Décidément, l’emphase ne fait pas une politique.

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