Billet invité.
Adolescent, je rêvais beaucoup. J’avais passé des années à lire l’encyclopédie et des dizaines d’autres ouvrages déjà, et mon esprit s’était empli d’images où je puisais l’envie de vivre ces rêves. De plus tout cela était alimenté par de nombreuses années à étudier les arts et à travailler mes dessins, peintures, gravures, sculptures et photographies et à engranger une quantité énorme d’informations à ce sujet. J’aiguisais aussi mon esprit.
J’avais fais beaucoup d’efforts (y compris en travaillant à côté de mes études) et mes efforts étaient couronnés d’un certain succès universitaire – malheureusement, j’échouais étrangement au CAPES d’Arts Plastiques. Les enseignants de Fac aimant particulièrement les jolies filles et non les garçons travailleurs, et n’ayant nullement envie de m’épuiser plus de trois fois à passer ce concours, je me suis donc résolu un jour « à chercher du travail et à travailler comme tout le monde ». Finie l’insouciance. Cette époque me semble désormais si loin.
Adulte, je rêve de nouveau. J’aurais dû persévérer dans mes rêves. Rien que pour vivre fièrement comme je l’entendais – pas richement car il est exceptionnel de vivre de son art. J’aurais dû y croire, et franchir cette terreur de la pauvreté que je voulais plus que tout éviter en me moulant « comme tout le monde » – en prouvant à tous que moi aussi, un pauvre, je le pouvais – dans la société, en exerçant un métier utile et standardisé. Cela fait, ma situation professionnelle et matérielle est depuis huit ans stable (enfin, hormis la dette !). Mais… combien de fois n’ai-je eu envie de reprendre les études ? De me spécialiser ? D’enseigner (les diplômes sont les sésames) ? J’en rêve ! Ou au contraire, n’ai-je pas aussi rêvé de redevenir « pauvre » ou vivant dans la « simplicité volontaire » mais libre et heureux, à créer, du mieux que je le pourrais ? Cependant, j’ai une jeune enfant et je ne peux pas m’y résoudre. Il me faudrait gagner une grande masse d’argent pour pouvoir gagner mon indépendance, et gagner une sécurité pour que ma fille grandisse bien. Ou un mécène !
Adolescent, je me souviens avoir mené la guerre à mes parents. Leur avoir fait le procès de notre pauvreté, de notre misère matérielle, si longue. « Je n’ai pas demandé à naître, alors pourquoi dois-je subir des conditions de vie si indignes ? » criais-je. « Qu’avez-vous fait ? Que n’avez-vous pas fait ? Pourquoi ceci, et pourquoi cela ? » Que de rage, de cris, de pleurs et de portes qui claquent. Il en fut de même pour ma sœur, qui érigea une sorte de bunker ontologique autour d’elle, tandis que moi, je n’ai jamais cessé de chercher.
Mon enfant n’a pas demandé à naître. Aucun être vivant sur terre ne l’a demandé. Des insectes aux humains, tous se reproduisent et de cela naissent des petits, qui à leur tour, à l’instar de leurs géniteurs, doivent lutter pour vivre – et nombre d’entre eux meurent en route. Et ceux qui restent en vie doivent encore surmonter d’innombrables défis. Ceux qui parviennent à la paix et la sérénité sont fort rares. Alors, que faisons-nous de nos vies ? « La vie humaine est précieuse » disent les Tibétains. Il est intolérable de ne pas donner des réponses à nos enfants, de ne pas avoir cherché ni fait, car leur fournir des réponses vagues et mille fois ressassées sont trop faciles et la preuve de la paresse.
Adulte, je rêve de nouveau. Je rêve d’un monde loin des cités tentaculaires, asphyxiées, polluées, bruyantes, mouvementées, marchandes, électriques. Loin du Système, totalitaire, mortifère et consommateur, élaboré par les adorateurs du dieu Argent.
Je rêve d’un monde calme et verdoyant, d’une ferme dans la nature au pied des montagnes et de la rivière. D’enfants riants, d’animaux à nos côtés, des miens heureux, tous vivants de choses simples, nous nourrissant des fruits du jardin et du verger. Cela semble beaucoup demander aujourd’hui, au Système, qui exige une retraite à 70 ans. Mon rêve est-il idyllique ?
L’homme ne peut-il se retenir d’assouvir les autres, de les nier, de les humilier, de les pressurer, de les guerroyer ? L’homme ne connaît-il pas la paix ? Où sont le Paradis et l’Enfer ? Nous nous reposons dans une sorte de Boîte de Skinner, bienheureux de préférer Le Meilleur des Mondes car l’on ne nous a pas imposé la Guerre depuis des décennies – contrairement à ce que l’Occident nous montre de l’Occident agissant à l’étranger.
Je sais bien, pour avoir cheminé, que la sagesse s’acquiert et se conquiert à la lutte avec soi-même, et que Paradis et Enfer sont d’abord en nous – et notre univers humain ressemble plus à un enfer qu’à un paradis. Un jour certainement mon enfant, mes enfants plus tard, me demanderont pourquoi, se demanderont : pourquoi ? Peut-être viendront-ils me demander, de la même façon que je le fis, pourquoi tout cela ? Pourquoi suis-je là ? Où suis-je ? Et, si c’est ainsi alors, qu’as-tu fait pour le rendre meilleur pour moi ?
J’ai dit un jour à la mère de ma fille que les enfants étaient certes le fruit de l’égoïsme de leurs parents, mais surtout un espoir, « une lueur pour nos ténèbres » : un espoir qu’ils apporteront de la lumière dans les ténèbres que nous vivons. C’est vrai, cependant, cela ne doit pas être tout car ce n’est pas en nous disant « les enfants régleront notre facture » qu’ils vivront mieux leur futur, et nous notre présent. Ce serait nous déresponsabiliser, et faire d’eux des adultes avant l’heure et ce serait les assassiner symboliquement. Un enfant doit grandir naturellement et nous devons à tous prix préserver cela afin qu’ils restent sains et équilibrés et non broyés et formatés par le Système. Nous devons montrer l’exemple à nos enfants. Si nous voulons qu’ils éclairent l’avenir, nous devons leur montrer que nous aussi savons porter la flamme de l’espoir et du courage, que nous devons avancer de front dans ce brouillard. « Faites en sorte qu’elles existent » dit Paul Jorion, ces générations futures à qui il n’est même rien promis, sauf d’être remplacées par des robots ou de connaître les désillusions de masse et la misère, ou la mort.
Je me rappelle de Dix être humains pour sauver une espèce en danger, et de ma conclusion : « Il s’agit désormais de résister, et d’être activiste. De passer à l’action dans le seul but de nous sauver de nos délires technologiques. Pour garder le plus précieux de l’humain : son humanité. Car c’est le manque de celle-ci qui nous mène au suicide actuel. Si je peux ainsi donner un sens à ma vie et à celle de mon enfant, alors nous méritons tous de nous transformer en activistes, en résistants, en dissidents, et donc, je suis volontaire.»
Je crois que l’heure est effectivement venue. Dans un monde où nos vies ne valent que des dettes, du travail, bien peu de choses en somme, si ce n’est ce que nous sommes; dans un univers où nous sommes éphémères, naissons et mourrons nus, je crois qu’il est temps pour nous de relever la tête et d’oser marcher avec courage. Qu’avons-nous à perdre ? Les meubles et immeubles ? La vie ? Ou la peur de perdre la peur de la mort ? Notre confort relatif et éphémère, matériel et moral, si personnel, vaut-il plus que le futur hypothéqué de nos enfants ?
Finissons par cet extrait d’un discours d’Howard Zinn, de 1970 : « Et notre sujet est sens dessus-dessous : La désobéissance civile. Dès que vous prononcez le mot désobéissance civile comme sujet d’étude, vous dites que notre problème est la désobéissance civile. Ce n’est pas notre problème… Notre problème est l’obéissance civile. Notre problème est le nombre de gens qui ont écouté les diktats des leaders de leurs gouvernements et qui sont allés en guerre de par le monde et des millions de gens ont été tués à cause de cette obéissance. Notre problème est cette scène dans “À l’Ouest rien de nouveau” où les élèves marchent comme un seul homme vers leur devoir de faire la guerre. Notre problème est que les gens sont obéissants, partout dans le monde, face à la pauvreté, face à la famine, la stupidité, la guerre et la cruauté. Notre problème est que les gens obéissent et que les prisons sont pleines de petits délinquants, tandis que les grands truands gèrent le pays. C’est notre problème ».
« Qui n’avance point, recule ».
Remerciements
Bonjour à tous et merci encore à Paul Jorion.
Internet permet de temps en temps des choses incroyables.
Comme celles où un grand nombre de personnes ont lu mon billet de La Dette ! et celles où un certains nombre de lecteurs ont souhaité m’aider financièrement, mais aussi me soutenir matériellement ou moralement, afin de rembourser cette fichue dette bancaire et d’autres encore (prions pour ma vieille voiture).
Mon émotion est extrême mais ma gratitude envers vous tous la dépasse bien plus encore. Car je n’ai même pas tendu la main, j’ai simplement témoigné, et j’ai eu cette immense joie, incroyable, de voir toutes ces mains se tendre généreusement vers moi. En quelques jours, vous m’avez redonné espoir en l’humain, en la vie. Transmis de votre chaleur humaine, de votre compassion.
Aujourd’hui, dans mon bureau, un homme de 45 ans m’a raconté sa vie et celle-ci est un drame. Fruit d’un viol, il a été rejeté enfant par les siens. Il avait relevé la tête ces dernières années, mais ses démons et ses mauvaises fréquentations l’ont renvoyé à l’ombre. Ses parents se meurent – c’est vrai aussi. Je lui ai dit l’avoir entendu et écouté et compris – et c’est vrai – je l’ai reconnu comme être humain. J’avais envie de le serrer dans mes bras. Il pleurait. J’ai dit que je ferais tout ce que je peux pour l’aider.
Nous restons des humains, quoi que l’on ait fait. Même si certains ne méritent pas de vivre pour ce qu’ils font aux autres, au moins 99% d’entre eux, malgré leurs erreurs, malgré leur bêtise ou impulsivité, tous méritent la vie, le regard, la dignité et… qu’on leur tende nos mains.
Je suis derrière mon écran, mais chacun, je vous embrasse et vous serre dans mes bras.
Un immense merci à vous tous.
NB : Si vous souhaitez discuter et venir boire un verre dans le coin de Lille ou un jour au Vicomte, contactez-moi via mon blog, ce sera avec plaisir que je vous accueillerai.
NB2 : un commentateur cherchait à lire Bellegarigue. C’est ici.
« Biden vient de soulever un peu la planche de son côté. » « L’élargir hors de l’Ukraine. Zelensky s’y est employé » Ah…